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Ariane Web: Conseil d'État 450970, lecture du 8 novembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:450970.20211108

Décision n° 450970
8 novembre 2021
Conseil d'État

N° 450970
ECLI:FR:CECHR:2021:450970.20211108
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Mathieu Le Coq, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP OHL, VEXLIARD ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du lundi 8 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu les procédures suivantes :

1° Mme C... T... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune d'Allauch en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires et de prononcer l'inéligibilité des candidats des listes " Allauch d'abord ", " Générations Allauch " et " Ensemble pour Allauch ". Par un jugement n° 2004858 du 23 février 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette protestation.

Sous le n° 450970, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 mars, 23 avril et 6 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme T... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Sous le n° 451000, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 mars, 23 avril et 6 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme Robineau-Chailan demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de M. S... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de Mme T..., à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de Mme Robineau-Chailan ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 octobre 2021, présentée par M. S... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 novembre 2021, présentée par Mme T... ;



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées sont relatives aux mêmes élections. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

2. A l'issue du second tour du scrutin qui s'est déroulé le 28 juin 2020 dans la commune d'Allauch (Bouches-du-Rhône) en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires, la liste " Générations Allauch " conduite par M. S..., a obtenu 5 128 voix, soit 59,66 % des suffrages exprimés, tandis que les listes conduites par Mme Robineau-Chailan, " Ensemble pour Allauch d'abord " et M. O..., " Sécurité proximité identité " ont obtenu, respectivement, 2098 voix, soit 24,41 % des suffrages exprimés, et 1 368 voix, soit 15,91 % des suffrages exprimés. Mme T..., qui conduisait la liste " Allauch le renouveau ", qui a recueilli au premier tour 768 voix, soit 9,8 % des 7 836 suffrages exprimés, fait appel du jugement du 23 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa protestation dirigée contre ces opérations électorales. Mme Robineau-Chailan fait appel du jugement du même jour par lequel ce tribunal a rejeté sa protestation dirigée contre l'élection de M. S....

Sur les griefs relatifs au déroulement de la campagne électorale :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 581-13 du code de l'environnement : " Sous réserve des dispositions du présent chapitre, le maire détermine par arrêté et fait aménager sur le domaine public ou en surplomb de celui-ci ou sur le domaine privé communal, un ou plusieurs emplacements destinés à l'affichage d'opinion ainsi qu'à la publicité relative aux activités des associations sans but lucratif (...) ". Aux termes de l'article L. 51 du code électoral dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. / Dans chacun de ces emplacements, une surface égale est attribuée à chaque candidat ou à chaque liste de candidats. / Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe ". Aux termes de l'article L. 52-8 du code électoral : " (...) Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ".

4. Il résulte de l'instruction qu'en méconnaissance des dispositions de l'article L. 51 du code électoral qui autorisent, pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin, l'utilisation des panneaux d'expression libre pour l'affichage électoral, le maire d'Allauch, après en avoir informé les candidats par un courrier du 23 janvier 2020, a fait procéder à la dépose par les services municipaux des affiches électorales apposées sur les panneaux d'affichage d'expression libre installés par la commune. Cependant, la dépose des affiches en cause a eu lieu du 23 janvier au 23 février 2020, date à laquelle le maire a renoncé à interdire de tels affichages, soit environ trois semaines avant le premier tour du scrutin et il n'est pas contesté que tous les candidats ont bénéficié dans les mêmes conditions de la mise à disposition par la commune d'emplacements réservés à l'affichage électoral à partir du 17 février 2020, de sorte qu'ils n'ont pas été privés de la possibilité de mener utilement campagne par voie d'affichage. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le maire n'aurait pas réservé le même traitement, sur la période en cause, à tous les candidats ayant apposé des affiches électorales sur des panneaux d'expression libre. Il résulte de ce qui précède qu'alors même que 16 voix seulement manquaient à la liste menée par Mme T... pour pouvoir se maintenir au second tour, la dépose des affiches en cause par les services municipaux qui, contrairement à ce que soutient l'appelante, ne saurait être regardée comme un don ou un avantage prohibé par les dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, n'a pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales : " Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations ou partis politiques qui en font la demande. / Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que, par une demande du 11 janvier 2020, Mme T... a sollicité la mise à disposition d'une salle communale pour tenir une réunion de campagne entre le 24 et le 28 février 2020. Par un courrier du 14 février 2020, envoyé le 25 février suivant, le maire a rejeté sa demande au motif que le planning d'occupation des salles communales était complet sur cette période et en indiquant qu'une salle serait mise à disposition de tous les candidats entre le 2 et le 13 mars 2020 en vue du premier tour, sur demande adressée quinze jours avant la date de l'événement. S'il est vrai qu'elle a été avertie tardivement de ce délai de quinze jours, il n'est ni allégué ni établi que Mme T..., qui a organisé une réunion électorale le 6 mars 2020 dans une salle privée, aurait présenté en vain une nouvelle demande de mise à disposition d'une salle communale après avoir reçu le courrier du maire. Il s'ensuit que Mme T... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a écarté le grief tiré de la rupture d'égalité de traitement entre les candidats dans les conditions de mise à disposition de salles communales.

7. En troisième lieu, Mme T... soutient que le maire d'Allauch aurait fait un usage illicite, en février et mars 2020, d'une liste recensant les plaintes et mains courantes déposées auprès des services de la police nationale par des habitants pour des faits de vols afin de leur adresser un courrier soulignant l'action de la commune en matière de sécurité et de les joindre par téléphone dans un but électoral. Si l'appelante fait valoir que 55 personnes figurent sur cette liste, elle ne rapporte la preuve de telles démarches qu'à l'égard de 6 électeurs. Pour regrettables que soient ces agissements, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient pu, au regard notamment du nombre de voix manquant à la liste menée par l'appelante pour se maintenir au second tour, vicier les résultats du scrutin.

8. En quatrième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les photographies de chèvres sauvages et du bâtiment de la mairie d'Allauch reproduites dans le programme électoral du maire sortant, qui avaient été auparavant publiées dans le bulletin municipal, auraient été la propriété de la commune dont l'usage par la liste menée par le maire constituerait un don prohibé par l'article L. 52-8 du code électoral ou qui aurait dû figurer dans le compte de campagne en application de l'article L. 52-12 du code électoral. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par M. S..., le grief tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 52-8 et L. 52-12 du code électoral doit être écarté.

Sur les griefs relatifs à la constitution de la liste " Ensemble pour Allauch d'abord " :

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 260 du code électoral dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste à deux tours, avec dépôt de listes comportant au moins autant de candidats que de sièges à pourvoir, et au plus deux candidats supplémentaires, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation, sous réserve de l'application des dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 264 ". Aux termes de l'article L. 264 du même code : " Une déclaration de candidature est obligatoire pour chaque tour de scrutin. La liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. / Seules peuvent se présenter au second tour les listes ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 10 % du total des suffrages exprimés. Ces listes peuvent être modifiées dans leur composition pour comprendre des candidats ayant figuré au premier tour sur d'autres listes sous réserve que celles-ci ne se présentent pas au second tour et qu'elles aient obtenu au premier tour au moins 5 % des suffrages exprimés. En cas de modification de la composition d'une liste, l'ordre de présentation des candidats peut également être modifié. / Les candidats ayant figuré sur une même liste au premier tour ne peuvent figurer au second tour que sur une liste. Le choix de la liste sur laquelle ils sont candidats au second tour est notifié à la préfecture ou à la sous-préfecture par la personne ayant eu la qualité de responsable de la liste constituée par ces candidats au premier tour ". Aux termes de l'article L. 265 du même code : " La déclaration de candidature résulte du dépôt à la préfecture ou à la sous-préfecture d'une liste répondant aux conditions fixées aux articles L. 260, L. 263, L. 264 et LO. 265-1. Il en est délivré récépissé. / Elle est faite collectivement pour chaque liste par la personne ayant la qualité de responsable de liste. A cet effet, chaque candidat établit un mandat signé de lui, confiant au responsable de liste le soin de faire ou de faire faire, par une personne déléguée par lui, toutes déclarations et démarches utiles à l'enregistrement de la liste, pour le premier et le second tour. (...) / Récépissé ne peut être délivré que si les conditions énumérées au présent article sont remplies (...) ". Enfin aux termes de l'article L. 269 dudit code : " Est nul tout bulletin établi au nom d'une liste dont la déclaration de candidature n'a pas été régulièrement enregistrée ".

10. D'une part, à la suite du décès, le 11 mai 2020, de M. P..., qui était candidat tête de la liste " Allauch d'abord " et responsable de cette liste, à défaut pour les colistiers d'avoir désigné une autre personne à cette fin et en l'absence de dispositions du code électoral envisageant le cas du décès d'un responsable de liste entre les deux tours de scrutin, le second de cette liste doit être regardé, pour l'application des dispositions citées au point 9, comme ayant eu qualité de responsable de liste pour l'accomplissement des opérations de candidature du second tour. Il était par suite habilité, en cette qualité, à notifier le choix de fusionner cette liste avec la liste " Ensemble pour Allauch ". D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que Mme V... n'aurait pas reçu mandat des candidats figurant sur la liste " Ensemble pour Allauch d'abord ", issue de cette fusion, afin de réaliser les démarches nécessaires à l'enregistrement de cette liste. Par suite, Mme T... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a écarté le grief tiré de l'irrégularité de la constitution de la liste " Ensemble pour Allauch d'abord ".

Sur le grief tiré de l'inéligibilité de M. S... :

11. En sixième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 231 du code électoral, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois : (...) / 8° Les personnes exerçant, au sein du conseil régional (...), les fonctions de directeur général des services, directeur général adjoint des services, directeur des services, directeur adjoint des services ou chef de service, ainsi que les fonctions de directeur de cabinet, directeur adjoint de cabinet ou chef de cabinet en ayant reçu délégation de signature du président, du président de l'assemblée ou du président du conseil exécutif (...) ".

12. Il appartient au juge de l'élection, saisi d'un grief relatif à l'inéligibilité d'un candidat à une élection municipale, de rechercher, lorsque le poste que l'intéressé occupe au sein d'une collectivité territoriale n'est pas mentionné en tant que tel au 8°) de l'article L. 231 du code électoral, si la réalité des fonctions exercées ne confère pas à leur titulaire des responsabilités équivalentes à celles exercées par les personnes mentionnées par ces dispositions.

13. Au moment de son élection, M. S... occupait, par contrat, un poste de directeur de projet au sein de la direction de la communication et de la marque de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, correspondant au grade d'administrateur. Il résulte de l'instruction que, chargé en particulier de développer les relations avec les institutions et la presse nationales et d'assurer la promotion de la marque " Région Sud-Provence-Alpes-Côte d'Azur ", il exerçait des fonctions d'expertise stratégique en matière de communication auprès de la directrice de la communication et de la marque, sans mission d'encadrement de personnel, et ne disposait d'aucune délégation de signature ni d'aucun pouvoir de décision. Par suite, c'est à bon droit que, par un jugement suffisamment motivé et exempt de contradiction de motifs, le tribunal a jugé que l'intéressé ne pouvait être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme exerçant des responsabilités équivalentes à celles d'un chef de service.

14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme T... et Mme V... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal a rejeté leur protestation. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge des défendeurs, qui n'ont pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, la somme qu'elles réclament au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée par M. S... sur le fondement des mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de Mme T... et Mme V... sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. S... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C... T..., à M. D... S..., à Mme H... V..., à M. F... O..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 octobre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. M... E..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. K... Q..., M. L... I... M. G... N..., M. B... R..., M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 8 novembre 2021.


Le Président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Mathieu Le Coq
La secrétaire :
Signé : Mme A... J...



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