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Ariane Web: Conseil d'État 442348, lecture du 18 novembre 2021, ECLI:FR:CECHS:2021:442348.20211118

Décision n° 442348
18 novembre 2021
Conseil d'État

N° 442348
ECLI:FR:CECHS:2021:442348.20211118
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
M. Réda Wadjinny-Green, rapporteur
M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public
CABINET ROUSSEAU ET TAPIE ; LE PRADO, avocats


Lecture du jeudi 18 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

L'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le directeur général du centre hospitalier Sainte-Marie, à Privas (Ardèche), sur sa demande du 18 octobre 2018 tendant à la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement correspondant à l'année 2017 et du rapport annuel établi pour cette même année et, d'autre part, d'enjoindre au centre hospitalier Sainte-Marie de lui communiquer les documents demandés, sous astreinte de 762,25 ? par jour de retard.

Par un jugement n° 1909334 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision refusant la communication de ces documents et a enjoint au centre hospitalier Sainte-Marie de les communiquer à l'association dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 juillet 2020, 30 octobre 2020 et 1er mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier Sainte-Marie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'association CCDH la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du Centre Hospitalier Sainte-Marie et au cabinet Rousseau et Tapie, avocat de l'association Commission des Citoyens pour les Droits de l'Homme (CCDH) ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier Sainte-Marie de Privas (Ardèche), saisi par l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) d'une demande de communication d'une copie de son registre de contention et d'isolement de l'année 2017 et du rapport annuel de la même année rendant compte des pratiques de contention et d'isolement dans l'établissement, lui a opposé une décision de refus. Le centre hospitalier se pourvoit en cassation contre le jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon, faisant droit à la demande de l'association, a annulé sa décision de refus et lui a enjoint de communiquer les documents demandés.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en défense par la CCDH :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. L'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en oeuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. / Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. / L'établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en oeuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l'article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l'article L. 6143-1 ".

4. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (...) ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ". Enfin, aux termes de l'article L. 311-7 de ce code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. "

5. Les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, citées au point 3, qui prévoient, d'une part, que le registre de contention et d'isolement doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires et, d'autre part, que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement, n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces documents aux règles du code des relations entre le public et l'administration régissant le droit d'accès aux documents administratifs. Il s'ensuit que ces dispositions ne sont pas applicables au litige, lequel porte exclusivement sur la communicabilité de ces documents. Par suite, il n'y pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Sur le pourvoi du centre hospitalier Sainte-Marie :

6. En premier lieu, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et d'erreur de droit que le tribunal administratif a estimé, pour écarter la fin de non-recevoir soulevée en défense devant lui, que rien ne permettait de penser que le centre hospitalier n'avait pas reçu le courriel de l'association requérante du 18 octobre 2018 demandant la communication des documents en cause.

7. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé les dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration applicables au litige qui lui était soumis.

8. En dernier lieu, s'il n'est pas contesté que, en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration cités au point 4, les informations permettant d'identifier les patients doivent être occultées préalablement à la communication du registre de contention et d'isolement, pour préserver le secret médical et la protection de la vie privée, comme doivent également l'être celles permettant d'identifier les soignants, pour éviter que la divulgation d'informations les concernant puisse leur porter préjudice, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le registre de contention et d'isolement comporte des mentions qui ne sont pas soumises à occultation préalable avant leur communication, telles que les dates, les heures et la durée de chaque mesure de contention forcée ou d'isolement. Le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait entaché son jugement d'une erreur de qualification juridique en jugeant que le contenu du registre de contention et d'isolement du centre hospitalier ne se réduisait pas à des mentions non communicables ne peut donc qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi du centre hospitalier Sainte-Marie doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros à verser à l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " au titre de ces dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la CCDH.
Article 2 : Le pourvoi du centre hospitalier Sainte-Marie est rejeté.
Article 3 : Le centre hospitalier Sainte-Marie versera la somme de 2 000 euros à l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier Sainte-Marie de Privas et à l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme ".
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de la santé et des solidarités.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 novembre 2021 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Réda Wadjinny-Green, auditeur-rapporteur.

Rendu le 18 novembre 2021.

Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :
Signé : M. Réda Wadjinny-Green

La secrétaire :
Signé : Mme A... B...