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Ariane Web: Conseil d'État 449905, lecture du 30 décembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:449905.20211230

Décision n° 449905
30 décembre 2021
Conseil d'État

N° 449905
ECLI:FR:CECHR:2021:449905.20211230
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Agnès Pic, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public


Lecture du jeudi 30 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 février et 7 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires fonction publique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 18 décembre 2020 relative à la reconnaissance des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 dans la fonction publique de l'Etat ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. D'une part, aux termes de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) II.- Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. / IV.- Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. / Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée par un tableau peut être reconnue imputable au service lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est directement causée par l'exercice des fonctions. / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Le deuxième alinéa du II de l'article 47-3 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires précise que : " Lorsque des modifications et adjonctions sont apportées aux tableaux de maladies professionnelles mentionnées aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale après qu'il a été médicalement constaté qu'un fonctionnaire est atteint d'une maladie inscrite à ces tableaux, la déclaration est adressée par l'agent à l'administration dans le délai de deux ans à compter de la date d'entrée en vigueur de ces modifications ou adjonctions. (...) ". L'article 47-6 de ce décret prévoit que : " La commission de réforme est consultée : / (...) 3° Lorsque l'affection résulte d'une maladie contractée en service telle que définie au IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 précitée dans les cas où les conditions prévues au premier alinéa du même IV ne sont pas remplies. "

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale : " (...) Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. / Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime. / Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé. / Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1 ". En vertu de l'article L. 461-2 du même code : " Des tableaux annexés aux décrets énumèrent les manifestations morbides d'intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d'une façon habituelle à l'action des agents nocifs mentionnés par lesdits tableaux, qui donnent, à titre indicatif, la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l'emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d'origine professionnelle. / Des tableaux spéciaux énumèrent les infections microbiennes mentionnées qui sont présumées avoir une origine professionnelle lorsque les victimes ont été occupées d'une façon habituelle aux travaux limitativement énumérés par ces tableaux (...) Les tableaux mentionnés aux alinéas précédents peuvent être révisés et complétés par des décrets, après avis du Conseil d'orientation des conditions de travail ". Le 3° de l'article L. 221-3-1 du même code prévoit que le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie est chargé, pour ce qui concerne la gestion de la caisse nationale et du réseau des caisses régionales, locales et de leur groupements, de prendre les mesures nécessaires à l'organisation et au pilotage du réseau des caisses du régime général et qu'il peut notamment confier à certains organismes, à l'échelon national, interrégional, régional ou départemental, la charge d'assumer certaines missions.

3. Le décret du 14 septembre 2020 a notamment complété les tableaux des maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale pour y insérer un tableau n° 100 intitulé " Affections respiratoires aiguës liées à une infection au SARS-COV2 " et a prévu, par dérogation à l'article D. 461-26, aux six premiers alinéas de l'article D. 461-27 et à l'article D. 461-28 du code de la sécurité sociale, que le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie peut, en application du 3° de l'article L. 221-3-1 du code de la sécurité sociale, confier à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles l'instruction de l'ensemble des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle liées à une contamination au SARS-CoV2.

4. La circulaire du 18 décembre 2020, prise par la ministre de la transformation et de la fonction publiques, précise les modalités d'examen des demandes des fonctionnaires de l'Etat pour la reconnaissance de maladies professionnelles liées à une infection au SARS-CoV2, en rappelant notamment que, pour les fonctionnaires, conformément aux dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 et du titre VI bis du décret du 14 mars 1986, la reconnaissance en maladie professionnelle des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 doit se faire par référence au tableau n° 100 créé par le décret du 14 septembre 2020 et en recommandant aux commissions de réforme, auxquelles sont soumises pour avis les pathologies ne satisfaisant pas à l'ensemble des conditions de ce tableau et les pathologie qui n'y sont pas inscrites, d'appliquer la doctrine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles unique, dans le respect des dispositions réglementaires en vigueur. Contrairement à ce que soutient en défense la ministre de la fonction et de la transformation publiques, eu égard à son caractère impératif, cette circulaire est susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de la mettre en oeuvre. L'Union syndicale Solidaires fonction publique en demande l'annulation pour excès de pouvoir.

Sur la légalité externe de la circulaire attaquée :

5. L'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement dispose que : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...) peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale (...) que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ". La circulaire du 18 décembre 2020 en litige a été signée par Mme H... C..., directrice générale de l'administration et de la fonction publique, pour la ministre de la transformation et de la fonction publiques et par délégation de celle-ci. Mme C... ayant été nommée directrice générale de l'administration et de la fonction publique par un décret du 21 octobre 2020, publié au Journal officiel de la République française du 22 octobre 2020, elle avait, du fait de cette publication, qualité pour signer cette circulaire. Le moyen tiré de ce que cette dernière aurait été prise par une autorité incompétente doit, par suite, être écarté.

Sur la légalité interne de la circulaire attaquée :

6. D'une part, par une décision n° 444500, 446453, 446455, 446459, 446462 du même jour, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté les recours dirigées contre le décret du 14 septembre 2020. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de la circulaire seraient illégales par voie de conséquence de l'illégalité qui entacherait les dispositions du décret du 14 septembre 2020 qu'elle réitère pour une part, notamment tel qu'il était contesté sous le n° 446455, ne peut qu'être écarté.

7. D'autre part, la circulaire attaquée, après avoir relevé que la contamination au SARS-CoV2 dans un contexte de circulation active du virus sur l'ensemble du territoire, ne peut être isolée avec certitude ni datée avec précision, indique en son point 3 que, dans l'hypothèse où des agents auraient déposé des demandes de reconnaissance d'imputabilité au service de pathologies liées à ce virus au titre d'accidents de service, il convient de ne pas remettre en cause les décisions créatrices de droit lorsqu'il a déjà été statué sur la demande et que, pour les demandes sur lesquelles il n'a pas encore été statué, l'administration doit informer les agents que leur demande sera traitée au titre de la maladie professionnelle. Cette préconisation est destinée à orienter les demandes relatives à la reconnaissance des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 vers la procédure apparaissant la plus favorable aux demandeurs et la plus susceptible de permettre à l'imputabilité au service d'être reconnue, sans exclure la faculté pour ces derniers de maintenir, s'ils le souhaitent, une demande tendant à obtenir une déclaration d'accident de service. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la ministre aurait méconnu la présomption d'imputabilité prévue par l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de l'Union syndicale Solidaires fonction publique, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Union syndicale Solidaires fonction publique est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale Solidaires fonction publique et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; Mme A... K..., Mme D... J..., présidentes de chambre ; M. B... I..., Mme F... G..., M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 30 décembre 2021.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
La secrétaire :
Signé : Mme L... E...