Conseil d'État
N° 433965
ECLI:FR:CECHR:2022:433965.20220128
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Christelle Thomas, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats
Lecture du vendredi 28 janvier 2022
Vu la procédure suivante :
M. et Mme M... H... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu et des cotisations primitives de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités afférentes. Par un jugement n° 1430549 du 12 juillet 2016, le tribunal administratif de Paris a prononcé la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à leur charge au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes, et a rejeté le surplus de leurs conclusions.
Par un arrêt n° 16PA02872, 16PA03245 du 27 juin 2019, la cour administrative d'appel de Paris, sur appel de M. et Mme H... et du ministre de l'économie et des finances, a déchargé M. et Mme H... des cotisations primitives de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes, mais les a rétablis au rôle de l'impôt sur le revenu au titre de la même année, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes, dans les limites de l'appel formé par le ministre de l'économie et des finances, a annulé le jugement du 12 juillet 2016 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il avait de contraire à son arrêt et a rejeté le surplus des conclusions de M. et Mme H....
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 août et 27 novembre 2019 et le 3 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme H... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2 à 4 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel et de rejeter l'appel formé par le ministre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de M. et Mme H... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en 2004, la société Wendel Investissement a mis en place un mécanisme visant à associer à son opération de rachat du groupe d'édition Editis certains de ses cadres dirigeants ainsi que des cadres dirigeants du groupe Editis. M. H... a ainsi acquis, le 20 octobre 2004, pour un montant total de 75 000 euros, 37 500 actions de la société Odyssée Management, société détenue indirectement par la société Wendel Investissement et regroupant les cadres du groupe Editis associés à cette opération. Il a revendu ces actions à leur prix d'acquisition, le 19 décembre 2005, à la société de droit belge SPRL P... qu'il avait créée peu avant avec son épouse et leurs trois enfants. Avant la revente du groupe Editis, le 30 mai 2008, par le groupe Wendel, la société SPRL P... a, le 20 mai 2008, cédé l'ensemble de ses actions de la société Odyssée Management à la société Ofilux Finances, filiale du groupe Wendel, au prix de 1 212 746 euros. Le gain ainsi réalisé de 1 137 746 euros a bénéficié de l'exonération totale d'imposition, instituée par l'article 192 du code de l'impôt sur les revenus belge, en faveur des plus-values de cession de participations détenues par des sociétés holdings belges. Mais à la suite d'un contrôle, l'administration fiscale, estimant que la société SPRL P..., dépourvue de substance économique, avait été interposée dans un but exclusivement fiscal, a engagé une procédure de répression pour abus de droit, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à l'encontre de M. et Mme H.... Ecartant l'interposition de cette société, elle a imposé entre les mains de M. H... le gain résultant de la cession des actions de la société Odyssée Management, à hauteur de 60 % dans la catégorie des traitements et salaires et de 40 % selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières prévu à l'article 150-0 A du code général des impôts. M. et Mme H... se pourvoient en cassation contre l'arrêt en date du 27 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Paris les a rétablis au rôle de l'impôt sur le revenu de l'année 2008 en retenant l'existence d'un abus de droit et en jugeant que la totalité du gain en litige était imposable dans la catégorie des traitements et salaires.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. D'une part, l'article R. 611-1 du code de justice administrative dispose que : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 611-7 du même code : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, la chambre chargée de l'instruction en informe les parties Avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué ".
3. D'autre part, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse suivie devant le juge de l'impôt, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée.
4. Il ressort des pièces de la procédure d'appel qu'après clôture de l'instruction, la cour a informé les parties, le 7 mai 2019, de ce que la décision de la cour était susceptible d'être fondée sur un moyen d'ordre public tiré de l'erreur commise par l'administration dans la catégorie d'imposition du gain en litige. Dans ses observations en réponse du 10 mai 2019, le ministre de l'action et des comptes publics ne s'est pas borné à répondre à ce moyen mais a demandé, si la cour retenait le moyen, qu'il soit procédé à une substitution de base légale pour justifier l'imposition. La cour a communiqué, le 13 mai 2019, ces observations à M. et Mme H..., qui y ont répondu par un mémoire produit le 20 mai.
5. C'est sans erreur de droit que la cour a relevé d'office le moyen tiré de l'erreur de catégorie d'imposition du gain en litige, qui présente le caractère d'un moyen d'ordre public. La cour n'a pas commis d'irrégularité en ne se bornant pas à indiquer, dans l'information adressée aux parties sur le moyen relevé d'office, que la catégorie d'imposition du gain en litige retenue par l'administration était erronée mais en précisant en outre quelle était la catégorie dont ce gain était susceptible de relever. La circonstance que le ministre, qui est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de demander au juge de l'impôt de procéder à une substitution de base légale, ait formulé une telle demande à la suite de l'information donnée aux parties par la cour sur un moyen d'ordre public ne méconnaît ni le principe d'impartialité ni le principe de l'égalité des armes.
6. Il ressort en outre des pièces de la procédure devant la cour administrative d'appel que l'instruction, close Avant que ne soit adressée aux parties l'information requise par l'article R. 611-7 du code de justice administrative, a été rouverte, le 13 mai 2019, avec la communication du mémoire du ministre comportant la demande de substitution de base légale à M. et Mme H..., qui y ont répondu par un mémoire du 20 mai Avant que l'audience ne se tienne le 29 mai suivant. Dans ces conditions, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, faire droit à la demande de substitution de base légale du ministre, dès lors que cette dernière, qui faisait expressément référence aux dispositions du code général des impôts relatives à l'imposition des traitements et salaires et demandait leur application à la partie du gain en litige initialement imposée comme plus-value de cession de valeurs mobilières qui avait fait l'objet de l'appel formé par M. et Mme H..., était suffisamment motivée et ne saurait, l'instruction ayant été rouverte, être regardée comme tardive.
7. Il résulte de ce qui précède que les moyens mettant en cause la régularité de l'arrêt attaqué doivent être écartés.
Sur l'existence d'un abus de droit :
8. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ". Il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
9. En premier lieu, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la société P..., à laquelle M. H... a cédé ses titres de la société Odyssée Management, était dénuée de substance économique, la cour a relevé que cette société de droit belge, créée le 12 décembre 2005 par M. et Mme H..., qui ont conservé l'usufruit de leurs parts alors que leurs trois enfants majeurs en devenaient les nus propriétaires, ne disposait ni de locaux, ni de moyens, ni de personnel, que les titres de la société Odyssée Management avaient constitué son seul patrimoine entre sa création et leur vente en 2008, qu'elle avait réglé leur acquisition par inscription au crédit du compte courant d'associé ouvert au nom de M. H... dans ses livres et que, compte-tenu du pacte d'actionnaires conclu par les associés de la société Odyssée Management, elle ne disposait d'aucune autonomie de gestion sur ces titres. En jugeant, au regard de l'ensemble des circonstances de l'affaire, que la société P... était dénuée de substance économique et que sa création ne répondait pas à un motif économique, financier ou patrimonial, la cour s'est livrée, sans les dénaturer, à une appréciation souveraine des faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit, compte tenu de l'absence de substance économique de la société, en ne recherchant pas si l'acquisition des titres de la société Odyssée Management par la société P... était elle-même constitutive d'un abus de droit.
10. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la cour n'a pas regardé comme étant constitutif d'un abus de droit le simple fait pour un contribuable de créer une société en Belgique, notamment en vue de la transmission de son patrimoine à ses enfants, mais elle a jugé qu'en l'espèce la création de la société P... en Belgique avait eu pour seul objectif de permettre à M. H..., résident fiscal français, domicilié en France, de ne pas supporter les impositions auxquelles il aurait été normalement assujetti s'il avait lui-même vendu à la société Ofilux Finances ses titres de la société Odyssée Management. En retenant que l'interposition de la société belge P... dans l'opération en cause était artificielle et qu'elle n'avait eu d'autre but que de faire échapper la plus-value de cession à son imposition en France, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce et n'a pas méconnu le principe de la liberté d'établissement garanti par l'article 47 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
11. En second lieu, dès lors que la cour jugeait que faute de substance de la société P..., son interposition présentait un caractère artificiel ayant pour but d'éluder le paiement de l'impôt dont M. H... aurait été redevable s'il avait cédé lui-même à la société Ofilux Finances les titres qu'il détenait de la société Odyssée Management, elle a pu, sans commettre d'erreur de droit, écarter le moyen tiré de ce que l'apport de ces titres à une société de droit belge n'aurait pas conduit à modifier sa charge fiscale personnelle. Il résulte de tout ce qui précède que la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en retenant l'existence d'un abus de droit à raison de la mise en place d'un montage artificiel.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
12. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si M. H... avait cédé ses actions de la société Odyssée Management à la société P..., l'administration fiscale, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, a écarté l'interposition de cette société comme constitutive d'un abus de droit. Elle a pu ainsi regarder M. H... comme n'ayant jamais cédé les actions de la société Odyssée Management et, par suite, comme ayant perçu lui-même le gain résultant de la cession de ces titres à la société Ofilux Finances. Il s'ensuit qu'en jugeant que l'administration fiscale avait pu mener la procédure de contrôle avec M. et Mme H... en leur qualité de redevables légaux de l'imposition résultant de ce gain, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
Sur la catégorie d'imposition du gain litigieux :
13. Aux termes de l'article 79 du code général des impôts : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 82 du même code : " Pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits ". Aux termes du 1 du I de son article 150-0 A : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que de l'article 150 UB, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux (...) de valeurs mobilières, (...) de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 15 000 euros par an ".
14. Les gains nets retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de bons de souscription d'actions ou d'actions sont en principe imposables suivant le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers institué par l'article 150-0 A du code général des impôts, y compris lorsque ces bons ou actions ont été acquis ou souscrits auprès d'une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès d'une société du même groupe. Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d'investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts, réalisé et disponible l'année de la cession de ces bons ou actions.
15. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Wendel Investissement, qui a acquis le groupe Editis le 30 septembre 2004 et l'a revendu le 30 mai 2008, a élaboré et mis en place des instruments juridiques et financiers pour associer à cette opération certains cadres dirigeants d'Editis et leur permettre d'appréhender une partie du gain réalisé lors de cette revente. A cet effet, les personnes que la société Wendel Investissement a souhaité faire bénéficier de l'opération ont été regroupées au sein d'une société créée le 22 août 2004 et détenue indirectement par la société Wendel Investissement, la société Odyssée Management, dont elles ont pu acquérir, le 20 octobre 2004, 750 000 actions, représentant un peu plus de 60 % de son capital, au prix unitaire de deux euros, sans pour autant que la société Wendel Investissement n'en perde le contrôle, l'une de ses filiales, la société Ofilux Finances, détenant une action lui garantissant un droit de veto sur l'ensemble des décisions. Le même jour, la société Odyssée Management a acquis 43 750 actions de la société Odyssée 3, alors détenue indirectement par la société Wendel Investissement, auprès d'une autre filiale de cette société. A ces actions étaient attachés 87 500 bons de souscription d'actions dits " Ratchet ". Chacun de ces bons permettait de souscrire une nouvelle action de la société Odyssée 3 à l'occasion de la revente du groupe Editis par le groupe Wendel, le nombre de bons pouvant être exercés dépendant du taux de rentabilité interne pour le groupe Wendel de l'opération d'achat et de revente du groupe Editis. Par ailleurs, la société Odyssée 3 a elle-même acquis en 2007 des bons de souscription d'actions dits " Topco ", émis par la société Odyssée Holding, société mère des sociétés opérationnelles du groupe Editis. L'exercice de ces bons de souscription d'actions " Topco " devait permettre à la société Odyssée 3, si l'opération d'achat et de revente du groupe Editis présentait pour le groupe Wendel un taux de rentabilité interne supérieur à 15 %, de détenir jusqu'à 49,94 % du capital de la société Odyssée Holding lors de sa cession. Le 20 mai 2008, les actions de la société Odyssée Management cédées aux cadres du groupe Editis ont été revendues à la société Ofilux Finances au prix unitaire de 32,34 euros. Conformément aux stipulations du pacte d'actionnaires conclu le 29 septembre 2004 entre les actionnaires de la société Odyssée Management, ce prix a été déterminé par transparence avec le prix de cession au groupe Planeta des actions de la société Odyssée 3, en tenant compte d'une participation de la société Odyssée Management au capital de la société Odyssée 3 résultant de l'exercice de l'ensemble des bons de souscription d'actions " Ratchet ".
16. D'une part, en vertu du protocole d'accord conclu le 28 mai 2004 entre la société Wendel Investissement et le président de la société Editis Holding, le mécanisme d'intéressement mis en place, qui était destiné à gratifier certains cadres dirigeants du groupe Editis pour leurs efforts dans le cadre de l'opération d'achat et de revente de ce groupe, subordonnait la souscription d'actions de la société Odyssée Management à leur engagement de les revendre au groupe Wendel en cas de cessation de leurs fonctions. D'autre part, conformément aux stipulations du pacte d'actionnaires conclu le 29 septembre 2004 entre les associés de la société Odyssée Management, les cadres intéressés bénéficiaient d'une garantie de rachat en cas de revente par cession à un tiers, ainsi que, en cas d'introduction en bourse, d'une garantie de valorisation de leurs titres en devenant actionnaires de cette société par absorption de la société Odyssée Management.
17. C'est sans dénaturation des pièces du dossier ni erreur de droit que la cour a pu déduire de l'ensemble de ces circonstances que la souscription des actions de la société Odyssée Management visait à associer M. H... à raison de ses fonctions dirigeantes au sein du groupe Editis, au partage de la plus-value dégagée lors de la cession ultérieure du groupe, et que le gain, dans les conditions dans lesquelles il a été réalisé, résultant de la cession de ses titres de la société Odyssée Management se rattachait aux fonctions exercées au sein de ce groupe. Ayant caractérisé l'existence d'un revenu acquis en contrepartie des fonctions de cadre dirigeant de M. H..., la cour a pu, sans erreur de qualification juridique des faits, juger que l'administration établissait que ce gain ne pouvait être regardé comme un gain en capital taxable dans la catégorie des plus-values mais comme un complément de rémunération, imposable au barème de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts. Il y a lieu par voie de conséquence d'écarter les moyens dirigés contre les motifs surabondants par lesquels l'arrêt se prononce sur l'existence, au profit des cadres dirigeants du groupe Editis, d'une garantie contre le risque de perte afférent à l'opération.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme H... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme H... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme H... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 janvier 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux présidant ; M. I... G..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme L... D..., Mme A... N..., M. E... F..., M. K... B..., M. Arno Klarsfeld, conseillers d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 28 janvier 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Christelle Thomas
La secrétaire :
Signé : Mme J... O...
N° 433965
ECLI:FR:CECHR:2022:433965.20220128
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Christelle Thomas, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats
Lecture du vendredi 28 janvier 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. et Mme M... H... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu et des cotisations primitives de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités afférentes. Par un jugement n° 1430549 du 12 juillet 2016, le tribunal administratif de Paris a prononcé la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à leur charge au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes, et a rejeté le surplus de leurs conclusions.
Par un arrêt n° 16PA02872, 16PA03245 du 27 juin 2019, la cour administrative d'appel de Paris, sur appel de M. et Mme H... et du ministre de l'économie et des finances, a déchargé M. et Mme H... des cotisations primitives de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes, mais les a rétablis au rôle de l'impôt sur le revenu au titre de la même année, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes, dans les limites de l'appel formé par le ministre de l'économie et des finances, a annulé le jugement du 12 juillet 2016 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il avait de contraire à son arrêt et a rejeté le surplus des conclusions de M. et Mme H....
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 août et 27 novembre 2019 et le 3 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme H... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2 à 4 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel et de rejeter l'appel formé par le ministre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de M. et Mme H... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en 2004, la société Wendel Investissement a mis en place un mécanisme visant à associer à son opération de rachat du groupe d'édition Editis certains de ses cadres dirigeants ainsi que des cadres dirigeants du groupe Editis. M. H... a ainsi acquis, le 20 octobre 2004, pour un montant total de 75 000 euros, 37 500 actions de la société Odyssée Management, société détenue indirectement par la société Wendel Investissement et regroupant les cadres du groupe Editis associés à cette opération. Il a revendu ces actions à leur prix d'acquisition, le 19 décembre 2005, à la société de droit belge SPRL P... qu'il avait créée peu avant avec son épouse et leurs trois enfants. Avant la revente du groupe Editis, le 30 mai 2008, par le groupe Wendel, la société SPRL P... a, le 20 mai 2008, cédé l'ensemble de ses actions de la société Odyssée Management à la société Ofilux Finances, filiale du groupe Wendel, au prix de 1 212 746 euros. Le gain ainsi réalisé de 1 137 746 euros a bénéficié de l'exonération totale d'imposition, instituée par l'article 192 du code de l'impôt sur les revenus belge, en faveur des plus-values de cession de participations détenues par des sociétés holdings belges. Mais à la suite d'un contrôle, l'administration fiscale, estimant que la société SPRL P..., dépourvue de substance économique, avait été interposée dans un but exclusivement fiscal, a engagé une procédure de répression pour abus de droit, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à l'encontre de M. et Mme H.... Ecartant l'interposition de cette société, elle a imposé entre les mains de M. H... le gain résultant de la cession des actions de la société Odyssée Management, à hauteur de 60 % dans la catégorie des traitements et salaires et de 40 % selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières prévu à l'article 150-0 A du code général des impôts. M. et Mme H... se pourvoient en cassation contre l'arrêt en date du 27 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Paris les a rétablis au rôle de l'impôt sur le revenu de l'année 2008 en retenant l'existence d'un abus de droit et en jugeant que la totalité du gain en litige était imposable dans la catégorie des traitements et salaires.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. D'une part, l'article R. 611-1 du code de justice administrative dispose que : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 611-7 du même code : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, la chambre chargée de l'instruction en informe les parties Avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué ".
3. D'autre part, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse suivie devant le juge de l'impôt, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée.
4. Il ressort des pièces de la procédure d'appel qu'après clôture de l'instruction, la cour a informé les parties, le 7 mai 2019, de ce que la décision de la cour était susceptible d'être fondée sur un moyen d'ordre public tiré de l'erreur commise par l'administration dans la catégorie d'imposition du gain en litige. Dans ses observations en réponse du 10 mai 2019, le ministre de l'action et des comptes publics ne s'est pas borné à répondre à ce moyen mais a demandé, si la cour retenait le moyen, qu'il soit procédé à une substitution de base légale pour justifier l'imposition. La cour a communiqué, le 13 mai 2019, ces observations à M. et Mme H..., qui y ont répondu par un mémoire produit le 20 mai.
5. C'est sans erreur de droit que la cour a relevé d'office le moyen tiré de l'erreur de catégorie d'imposition du gain en litige, qui présente le caractère d'un moyen d'ordre public. La cour n'a pas commis d'irrégularité en ne se bornant pas à indiquer, dans l'information adressée aux parties sur le moyen relevé d'office, que la catégorie d'imposition du gain en litige retenue par l'administration était erronée mais en précisant en outre quelle était la catégorie dont ce gain était susceptible de relever. La circonstance que le ministre, qui est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de demander au juge de l'impôt de procéder à une substitution de base légale, ait formulé une telle demande à la suite de l'information donnée aux parties par la cour sur un moyen d'ordre public ne méconnaît ni le principe d'impartialité ni le principe de l'égalité des armes.
6. Il ressort en outre des pièces de la procédure devant la cour administrative d'appel que l'instruction, close Avant que ne soit adressée aux parties l'information requise par l'article R. 611-7 du code de justice administrative, a été rouverte, le 13 mai 2019, avec la communication du mémoire du ministre comportant la demande de substitution de base légale à M. et Mme H..., qui y ont répondu par un mémoire du 20 mai Avant que l'audience ne se tienne le 29 mai suivant. Dans ces conditions, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, faire droit à la demande de substitution de base légale du ministre, dès lors que cette dernière, qui faisait expressément référence aux dispositions du code général des impôts relatives à l'imposition des traitements et salaires et demandait leur application à la partie du gain en litige initialement imposée comme plus-value de cession de valeurs mobilières qui avait fait l'objet de l'appel formé par M. et Mme H..., était suffisamment motivée et ne saurait, l'instruction ayant été rouverte, être regardée comme tardive.
7. Il résulte de ce qui précède que les moyens mettant en cause la régularité de l'arrêt attaqué doivent être écartés.
Sur l'existence d'un abus de droit :
8. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ". Il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
9. En premier lieu, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la société P..., à laquelle M. H... a cédé ses titres de la société Odyssée Management, était dénuée de substance économique, la cour a relevé que cette société de droit belge, créée le 12 décembre 2005 par M. et Mme H..., qui ont conservé l'usufruit de leurs parts alors que leurs trois enfants majeurs en devenaient les nus propriétaires, ne disposait ni de locaux, ni de moyens, ni de personnel, que les titres de la société Odyssée Management avaient constitué son seul patrimoine entre sa création et leur vente en 2008, qu'elle avait réglé leur acquisition par inscription au crédit du compte courant d'associé ouvert au nom de M. H... dans ses livres et que, compte-tenu du pacte d'actionnaires conclu par les associés de la société Odyssée Management, elle ne disposait d'aucune autonomie de gestion sur ces titres. En jugeant, au regard de l'ensemble des circonstances de l'affaire, que la société P... était dénuée de substance économique et que sa création ne répondait pas à un motif économique, financier ou patrimonial, la cour s'est livrée, sans les dénaturer, à une appréciation souveraine des faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit, compte tenu de l'absence de substance économique de la société, en ne recherchant pas si l'acquisition des titres de la société Odyssée Management par la société P... était elle-même constitutive d'un abus de droit.
10. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la cour n'a pas regardé comme étant constitutif d'un abus de droit le simple fait pour un contribuable de créer une société en Belgique, notamment en vue de la transmission de son patrimoine à ses enfants, mais elle a jugé qu'en l'espèce la création de la société P... en Belgique avait eu pour seul objectif de permettre à M. H..., résident fiscal français, domicilié en France, de ne pas supporter les impositions auxquelles il aurait été normalement assujetti s'il avait lui-même vendu à la société Ofilux Finances ses titres de la société Odyssée Management. En retenant que l'interposition de la société belge P... dans l'opération en cause était artificielle et qu'elle n'avait eu d'autre but que de faire échapper la plus-value de cession à son imposition en France, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce et n'a pas méconnu le principe de la liberté d'établissement garanti par l'article 47 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
11. En second lieu, dès lors que la cour jugeait que faute de substance de la société P..., son interposition présentait un caractère artificiel ayant pour but d'éluder le paiement de l'impôt dont M. H... aurait été redevable s'il avait cédé lui-même à la société Ofilux Finances les titres qu'il détenait de la société Odyssée Management, elle a pu, sans commettre d'erreur de droit, écarter le moyen tiré de ce que l'apport de ces titres à une société de droit belge n'aurait pas conduit à modifier sa charge fiscale personnelle. Il résulte de tout ce qui précède que la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en retenant l'existence d'un abus de droit à raison de la mise en place d'un montage artificiel.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
12. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si M. H... avait cédé ses actions de la société Odyssée Management à la société P..., l'administration fiscale, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, a écarté l'interposition de cette société comme constitutive d'un abus de droit. Elle a pu ainsi regarder M. H... comme n'ayant jamais cédé les actions de la société Odyssée Management et, par suite, comme ayant perçu lui-même le gain résultant de la cession de ces titres à la société Ofilux Finances. Il s'ensuit qu'en jugeant que l'administration fiscale avait pu mener la procédure de contrôle avec M. et Mme H... en leur qualité de redevables légaux de l'imposition résultant de ce gain, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
Sur la catégorie d'imposition du gain litigieux :
13. Aux termes de l'article 79 du code général des impôts : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 82 du même code : " Pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits ". Aux termes du 1 du I de son article 150-0 A : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que de l'article 150 UB, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux (...) de valeurs mobilières, (...) de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 15 000 euros par an ".
14. Les gains nets retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de bons de souscription d'actions ou d'actions sont en principe imposables suivant le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers institué par l'article 150-0 A du code général des impôts, y compris lorsque ces bons ou actions ont été acquis ou souscrits auprès d'une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès d'une société du même groupe. Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d'investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts, réalisé et disponible l'année de la cession de ces bons ou actions.
15. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Wendel Investissement, qui a acquis le groupe Editis le 30 septembre 2004 et l'a revendu le 30 mai 2008, a élaboré et mis en place des instruments juridiques et financiers pour associer à cette opération certains cadres dirigeants d'Editis et leur permettre d'appréhender une partie du gain réalisé lors de cette revente. A cet effet, les personnes que la société Wendel Investissement a souhaité faire bénéficier de l'opération ont été regroupées au sein d'une société créée le 22 août 2004 et détenue indirectement par la société Wendel Investissement, la société Odyssée Management, dont elles ont pu acquérir, le 20 octobre 2004, 750 000 actions, représentant un peu plus de 60 % de son capital, au prix unitaire de deux euros, sans pour autant que la société Wendel Investissement n'en perde le contrôle, l'une de ses filiales, la société Ofilux Finances, détenant une action lui garantissant un droit de veto sur l'ensemble des décisions. Le même jour, la société Odyssée Management a acquis 43 750 actions de la société Odyssée 3, alors détenue indirectement par la société Wendel Investissement, auprès d'une autre filiale de cette société. A ces actions étaient attachés 87 500 bons de souscription d'actions dits " Ratchet ". Chacun de ces bons permettait de souscrire une nouvelle action de la société Odyssée 3 à l'occasion de la revente du groupe Editis par le groupe Wendel, le nombre de bons pouvant être exercés dépendant du taux de rentabilité interne pour le groupe Wendel de l'opération d'achat et de revente du groupe Editis. Par ailleurs, la société Odyssée 3 a elle-même acquis en 2007 des bons de souscription d'actions dits " Topco ", émis par la société Odyssée Holding, société mère des sociétés opérationnelles du groupe Editis. L'exercice de ces bons de souscription d'actions " Topco " devait permettre à la société Odyssée 3, si l'opération d'achat et de revente du groupe Editis présentait pour le groupe Wendel un taux de rentabilité interne supérieur à 15 %, de détenir jusqu'à 49,94 % du capital de la société Odyssée Holding lors de sa cession. Le 20 mai 2008, les actions de la société Odyssée Management cédées aux cadres du groupe Editis ont été revendues à la société Ofilux Finances au prix unitaire de 32,34 euros. Conformément aux stipulations du pacte d'actionnaires conclu le 29 septembre 2004 entre les actionnaires de la société Odyssée Management, ce prix a été déterminé par transparence avec le prix de cession au groupe Planeta des actions de la société Odyssée 3, en tenant compte d'une participation de la société Odyssée Management au capital de la société Odyssée 3 résultant de l'exercice de l'ensemble des bons de souscription d'actions " Ratchet ".
16. D'une part, en vertu du protocole d'accord conclu le 28 mai 2004 entre la société Wendel Investissement et le président de la société Editis Holding, le mécanisme d'intéressement mis en place, qui était destiné à gratifier certains cadres dirigeants du groupe Editis pour leurs efforts dans le cadre de l'opération d'achat et de revente de ce groupe, subordonnait la souscription d'actions de la société Odyssée Management à leur engagement de les revendre au groupe Wendel en cas de cessation de leurs fonctions. D'autre part, conformément aux stipulations du pacte d'actionnaires conclu le 29 septembre 2004 entre les associés de la société Odyssée Management, les cadres intéressés bénéficiaient d'une garantie de rachat en cas de revente par cession à un tiers, ainsi que, en cas d'introduction en bourse, d'une garantie de valorisation de leurs titres en devenant actionnaires de cette société par absorption de la société Odyssée Management.
17. C'est sans dénaturation des pièces du dossier ni erreur de droit que la cour a pu déduire de l'ensemble de ces circonstances que la souscription des actions de la société Odyssée Management visait à associer M. H... à raison de ses fonctions dirigeantes au sein du groupe Editis, au partage de la plus-value dégagée lors de la cession ultérieure du groupe, et que le gain, dans les conditions dans lesquelles il a été réalisé, résultant de la cession de ses titres de la société Odyssée Management se rattachait aux fonctions exercées au sein de ce groupe. Ayant caractérisé l'existence d'un revenu acquis en contrepartie des fonctions de cadre dirigeant de M. H..., la cour a pu, sans erreur de qualification juridique des faits, juger que l'administration établissait que ce gain ne pouvait être regardé comme un gain en capital taxable dans la catégorie des plus-values mais comme un complément de rémunération, imposable au barème de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts. Il y a lieu par voie de conséquence d'écarter les moyens dirigés contre les motifs surabondants par lesquels l'arrêt se prononce sur l'existence, au profit des cadres dirigeants du groupe Editis, d'une garantie contre le risque de perte afférent à l'opération.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme H... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme H... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme H... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 janvier 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux présidant ; M. I... G..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme L... D..., Mme A... N..., M. E... F..., M. K... B..., M. Arno Klarsfeld, conseillers d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 28 janvier 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Christelle Thomas
La secrétaire :
Signé : Mme J... O...