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Ariane Web: Conseil d'État 443154, lecture du 2 février 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:443154.20220202

Décision n° 443154
2 février 2022
Conseil d'État

N° 443154
ECLI:FR:CECHR:2022:443154.20220202
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Olivier Guiard, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP BOUTET-HOURDEAUX, avocats


Lecture du mercredi 2 février 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2006 à 2008. Par un jugement n°s 1507225, 1507226 du 18 janvier 2018, le tribunal a déchargé M. et Mme B... des impositions litigieuses.

Par un arrêt n° 18NC00754 du 8 avril 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, annulé ce jugement et rétabli les suppléments d'impôts en litige.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 août et 21 novembre 2020 et le 5 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Paris le 31 août 1994 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de M. et Mme B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B... a cédé à un groupe pharmaceutique canadien, le 26 novembre 2002, l'ensemble des droits qu'il détenait dans le " partnership " de droit américain Pharma Pass LLC Limited, en contrepartie du prix de vente initial et de compléments de prix pluriannuels. À l'issue d'un examen de la situation fiscale personnelle de M. et Mme B..., l'administration a remis en cause les crédits d'impôt équivalents à l'impôt français dont les époux, puis M. B... seul, s'étaient prévalus en application des stipulations de la convention fiscale franco-américaine à raison des compléments de prix pluriannuels reçus au titre des années 2006 et 2007 puis au titre de l'année 2008. M. et Mme B... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 8 avril 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 janvier 2018 et rétabli les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. et Mme B... puis M. B... ont été respectivement assujettis au titre des années 2006 et 2007 et au titre de l'année 2008.

2. En premier lieu, les dispositions de l'article 1658 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige, offrent à l'administration fiscale la faculté de procéder au recouvrement des impôts directs, s'agissant notamment de cotisations supplémentaires établies à l'issue d'une procédure de rectification, soit au moyen de rôles rendus exécutoires, soit par voie d'avis de mise en recouvrement. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de l'établissement des impositions litigieuses, faute d'avoir été mises en recouvrement par la notification d'avis de mise en recouvrement, n'est, en tout état de cause, pas fondé.

3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 7 de la convention fiscale signée le 31 août 1994 entre la France et Etats-Unis : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé / (...) / 4. Un associé d'un " partnership " est considéré comme ayant réalisé des revenus (...) dans la mesure de sa part du " partnership " telle qu'elle est prévue par l'accord d'association (...). Le caractère - y compris la source et l'imputabilité à un établissement stable - de tout élément de revenu (...) attribuables à un tel associé est déterminé comme si l'associé avait réalisé ces éléments de revenu ou bénéficié de ces déductions de la même manière que le " partnership " les a réalisés ou en a bénéficié. (...) 8. Lorsque les bénéfices comprennent des éléments de revenu traités séparément dans d'autres articles de la présente Convention, les dispositions de ces articles ne sont pas affectées par les dispositions du présent article ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 13 de la même convention : " (...) 3. a) Les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers qui font partie de l'actif d'un établissement stable ou d'une base fixe qu'une entreprise ou un résident d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant, y compris de tels gains provenant de l'aliénation de cet établissement stable (seul ou avec l'ensemble de l'entreprise) ou de cette base fixe, sont imposables dans cet autre Etat. / (...) / 6. Sous réserve des dispositions du paragraphe 5, les gains provenant de l'aliénation de tous biens autres que les biens visés aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont imposables que dans l'Etat contractant dont le cédant est un résident ".

5. Les revenus issus de la cession d'une participation dans un " partnership " de droit américain ne sauraient être regardés comme ayant été réalisés par l'intermédiaire de cette entité pour l'application du 4 de l'article 7 de la convention franco-américaine relatif aux bénéfices des entreprises et relèvent de l'article 13 de cette convention relatif aux gains en capital. Dès lors que la cession d'une partie des parts d'une telle entité n'est pas constitutive d'une aliénation portant sur l'intégralité d'un établissement stable ou sur des biens mobiliers inscrits à l'actif d'un tel établissement, les stipulations du a) du 3 de cet article 13 ne sont pas applicables aux revenus issus de cette cession. Par suite, en vertu des stipulations résiduelles du 6 du même article, ces gains sont imposables dans l'Etat de résidence du cédant.

6. Il résulte de ce qui précède qu'après avoir relevé, d'une part, que les titres qu'un associé détient dans un " partnership " ne sont pas réputés faire partie de l'actif de cette entité et, d'autre part, que M. B... ne détenait que 25 % du capital du " partnership " Pharma Pass LLC Limited, pour en déduire que les gains provenant de la cession de ces droits, quand bien même ils constituaient des éléments d'actif affectés à l'exercice de la profession de leur détenteur et seraient regardés comme tels pour l'application de l'article 151 nonies du code général des impôts, ne relevaient pas des stipulations du a) du 3 de l'article 13 de la convention fiscale franco-américaine et étaient imposables en France en application du 6 de cet article, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.

7. En deuxième lieu, la circonstance que le " partnership " Pharma Pass LLC Limited soit reconnu comme une entité fiscale transparente par le droit américain est sans incidence pour l'application des stipulations de l'article 13 de la convention fiscale franco-américaine. Par suite, M. et Mme B... ne peuvent utilement soutenir que la cour aurait méconnu la portée de leurs écritures en relevant qu'il n'était pas allégué que ce " partnership " obéissait à un régime de transparence fiscale.

8. En troisième lieu, après avoir relevé que le montant des compléments de prix perçus par M. B... de 2006 à 2008 n'avait pas été déterminé à l'avance par l'acte de cession du 26 novembre 2002, et alors qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis que ce montant aurait pu être déterminé de manière précise antérieurement à la perception de ces compléments de prix, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'administration avait légalement imposé ces revenus au titre des années au titre desquelles ils avaient été perçus et en en déduisant, compte tenu de la date des propositions de rectification adressées à M. et Mme B..., que le droit de reprise prévu par l'article L. 169 du livre des procédures fiscales n'était pas prescrit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. et Mme B... ne peut qu'être rejeté, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 janvier 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G... F..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme I... C..., M. D... E..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 2 février 2022.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Matias de Sainte Lorette
La secrétaire :
Signé : Mme H... J...



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