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Ariane Web: Conseil d'État 457233, lecture du 3 février 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:457233.20220203

Décision n° 457233
3 février 2022
Conseil d'État

N° 457233
ECLI:FR:CECHR:2022:457233.20220203
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Alexis Goin, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
LE PRADO- GILBERT ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du jeudi 3 février 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Formation accompagnement conseil a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation mise en oeuvre par la collectivité de Saint-Martin et ayant pour objet l'attribution du lot n° 2 " Orientation et accompagnement à l'insertion professionnelle - Bilan de compétences " d'un accord-cadre relatif à la mobilisation, l'orientation et l'accompagnement à l'insertion professionnelle et à l'organisation de formations pré-qualifiantes.

Par une ordonnance n° 2100122 du 18 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin a fait droit à sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 et 19 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la collectivité de Saint-Martin et la société Fore Iles du Nord demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la société Formation accompagnement conseil la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ;
- le règlement d'exécution (UE) 2015/1986 du 11 novembre 2015 ;
- le code de la commande publique ;
- le décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark du 17 juin 2021 (C-23/20) ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Le Prado-Gilbert, avocat de la société Fore Iles du Nord et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Formation accompagnement conseil ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin que, le 20 janvier 2021, la collectivité de Saint-Martin a lancé une procédure d'appel d'offres ayant pour objet la passation d'un accord-cadre relatif à la mobilisation, l'orientation et l'accompagnement à l'insertion professionnelle et à l'organisation de formations pré-qualifiantes. Le 26 août 2021, la société Formation accompagnement conseil (FAC) a été informée du rejet de l'offre présentée pour l'obtention du lot n° 2 " Orientation et accompagnement à l'insertion professionnelle - Bilan de compétences " et de l'attribution de ce lot à la société Fore Iles du Nord. La collectivité de Saint-Martin et la société Fore Iles du Nord se pourvoient en cassation contre l'ordonnance du 18 septembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin a, à la demande de la société FAC, annulé la procédure de passation de ce lot.

Sur les conclusions présentées par la collectivité de Saint-Martin :

2. Le désistement de la collectivité de Saint-Martin est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.



Sur les conclusions présentées par la société Fore Iles du Nord :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les accords-cadres peuvent être conclus : / 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; / 2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ; / 3° Soit sans minimum ni maximum ".

4. Par son arrêt du 17 juin 2021, Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark (C-23/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, sans prévoir une application différée dans le temps de cette interprétation, que les dispositions de la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics doivent être interprétées dans le sens que " l'avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu'une quantité et/ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre et qu'une fois que cette limite aurait été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets " et que " l'indication de la quantité ou de la valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre peut figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans le cahier des charges ".

5. Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne mentionné au point 4 que, pour tout appel à concurrence relatif à un marché destiné à être passé sous la forme d'un accord-cadre qui, eu égard à son montant, entre dans le champ d'application de cette directive, l'avis publié à cet effet doit comporter la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur, cette indication pouvant figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans les documents contractuels mentionnés dans l'avis de marché et librement accessibles à toutes les personnes intéressées. Il n'en va différemment que pour les accords-cadres qui ne sont pas régis par cette directive, pour lesquels le décret du 23 août 2021, modifiant notamment les dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique, a supprimé la possibilité de conclure un accord-cadre sans maximum, en différant, en son article 31, l'application de cette règle aux avis de marché publiés à compter du 1er janvier 2022 afin de ne pas porter une atteinte excessive aux intérêts privés et publics en cause.

6. Il ressort, d'une part, des énonciations de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 17 juin 2021 que l'obligation, pour le pouvoir adjudicateur, d'indiquer dans l'avis d'appel à concurrence une quantité ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre découle notamment des principes d'égalité de traitement et de transparence énoncés à l'article 18 de la directive du 26 février 2014. Il résulte, d'autre part, de l'article 76 de cette directive que les Etats membres doivent mettre en place, pour la passation des marchés de services sociaux, " des règles nationales afin de garantir que les pouvoirs adjudicateurs respectent les principes de transparence et d'égalité de traitement des opérateurs économiques ". Il s'ensuit que l'obligation d'indiquer une quantité ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre s'applique dans son principe également aux marchés de services sociaux.

7. Si la société requérante soutient cependant que la partie H de l'annexe V de la directive du 26 février 2014, relative au contenu des avis de marché passés pour la fourniture de services sociaux, n'impose pas de faire figurer un montant maximal en vue de la passation d'un accord-cadre, sa partie I prévoit toutefois que l'avis de préinformation doit comporter une " brève description du marché en question comprenant la valeur totale estimée du marché " et les formulaires prévus aux annexes XVIII et XIX du règlement d'exécution (UE) 2015/1986 du 11 novembre 2015, respectivement consacrés aux avis de préinformation et de marchés de services sociaux, comportent des mentions relatives, pour les accords-cadres, à leur valeur totale maximale pour toute leur durée. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que cette obligation s'appliquait aux marchés de services sociaux et, par voie de conséquence, à la procédure de passation de l'accord-cadre en litige.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / (...) / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

9. Les personnes habilitées à engager le recours prévu à l'article L. 551-1 en cas de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

10. Après avoir souverainement estimé que, en l'espèce, l'absence dans l'avis d'appel à concurrence de mention de la quantité ou valeur maximale des prestations à fournir en vertu de l'accord-cadre en litige, qui relève du champ de la directive du 26 février 2014 mentionnée ci-dessus, n'avait pas mis la société FAC à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Saint-Martin n'a pas inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation en jugeant que ce manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence avait été de nature à léser la société FAC.

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Fore Iles du Nord tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société une somme de 3 000 euros à verser à la société FAC au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : Il est donné acte du désistement du pourvoi de la collectivité de Saint-Martin.
Article 2 : Le pourvoi de la société Fore Iles du Nord est rejeté.
Article 3 : La société Fore Iles du Nord versera à la société Formation accompagnement conseil une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la collectivité de Saint-Martin, à la société Fore Iles du Nord et à la société Formation accompagnement conseil.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 janvier 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... I..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. D... L..., Mme A... J..., M. C... G..., M. E... K..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.

Rendu le 3 février 2022.

Le président:
Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur
Signé : M. Alexis Goin

La secrétaire:
Signé : Mme F... B...