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Ariane Web: Conseil d'État 453073, lecture du 14 mars 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:453073.20220314

Décision n° 453073
14 mars 2022
Conseil d'État

N° 453073
ECLI:FR:CECHR:2022:453073.20220314
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Sébastien Jeannard, rapporteur
M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats


Lecture du lundi 14 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 mai, 20 août 2021 et 11 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Alliance de la presse d'information générale, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine et la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le chapitre 9 et les paragraphes 2120 à 2250 des commentaires publiés le 31 mars 2021 au bulletin officiel de la sécurité sociale sous la référence " Frais professionnels ", ainsi que leur annexe ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi du 29 juillet 1881 ;
- l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ;
- l'arrêté du 31 mars 2021 fixant les modalités de mise à disposition des instructions et circulaires publiées au bulletin officiel de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de l'Alliance de la presse d'information générale, du Syndicat des éditeurs de la presse magazine et de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée ;


Considérant ce qui suit :

1. Les paragraphes 2120 à 2250 des commentaires, formant le chapitre 9 de la partie relative aux " Frais professionnels " du bulletin officiel de la sécurité sociale, portent sur la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels. Le paragraphe 2120 prévoit que : " Les professions prévues à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000 dont l'exercice comporte des frais dont le montant est notoirement supérieur à ceux prévus par l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale peuvent bénéficier d'une déduction forfaitaire spécifique calculée selon les taux fixés par cet article. Le montant de cette déduction est plafonné par salarié et par année civile à 7 600 euros ". Le paragraphe 2130 dispose que : " Pour bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique, le salarié doit faire partie de la liste des professions prévues à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts (voir annexe) dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000 et supporter effectivement des frais lors de son activité professionnelle. / Ainsi, en l'absence de frais effectivement engagés ou en cas de prise en charge ou de remboursement par l'employeur de la totalité des frais professionnels, la déduction forfaitaire spécifique n'est pas applicable dès lors que le salarié ne supporte aucun frais supplémentaire au titre de son activité professionnelle. / Par conséquent, la seule appartenance à l'une des professions visées à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, ou le fait de relever de ce dispositif par des interprétations ayant fait l'objet d'une décision spéciale de la direction de la législation fiscale ou de la direction de la sécurité sociale avant le 1er janvier 2001, ne suffit pas à soi seul à permettre le bénéfice de la déduction forfaitaire spécifique ". Le paragraphe 2140 précise que : " Pour appliquer la déduction forfaitaire spécifique, l'employeur doit disposer des justificatifs démontrant que le salarié bénéficiaire supporte effectivement des frais professionnels. " Le paragraphe 2150 traite le cas particulier de l'absence du salarié. Enfin, le paragraphe 2215 dispose que la disposition selon laquelle " en cohérence avec la jurisprudence de la Cour de cassation, le bénéfice de la déduction forfaitaire spécifique est désormais conditionné au fait que le salarié bénéficiaire supporte effectivement des frais professionnels (...) entre en vigueur le 1er avril 2021 ". Une annexe fixe par ailleurs, pour la détermination des traitements et salaires à retenir pour le calcul de l'impôt sur le revenu, la liste des contribuables ayant droit à une déduction supplémentaire pour frais professionnels ainsi que le taux dont ils bénéficient.

2. Les requérants doivent être regardés comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de ces dispositions en tant qu'elles exigent des employeurs des professionnels dont ils défendent les intérêts de disposer, afin de bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels, de justificatifs démontrant que le salarié supporte effectivement de tels frais.

3. En premier lieu, eu égard, d'une part, à la présentation du bulletin officiel de la sécurité sociale et, d'autre part, aux mentions légales qu'il comporte, les moyens tirés de ce que les commentaires litigieux seraient entachés d'un vice de forme en ce qu'ils ne comporteraient pas de références permettant de les identifier facilement et de ce qu'ils ne seraient pas revêtus des nom, prénom, qualité et signature de leur auteur manquent en fait.

4. En deuxième lieu, les commentaires litigieux n'ayant pas été pris pour l'application de l'arrêté du 31 mars 2021 fixant les modalités de mise à disposition des instructions et circulaires publiées au bulletin officiel de la sécurité sociale et ce dernier n'en constituant pas davantage leur base légale, le moyen tiré de ce qu'ils seraient illégaux faute pour cet arrêté d'avoir été signé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ne peut en tout état de cause qu'être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale : " I.- Les cotisations de sécurité sociale dues au titre de l'affiliation au régime général des personnes mentionnées aux articles L. 311-2 et L. 311-3 sont assises sur les revenus d'activité tels qu'ils sont pris en compte pour la détermination de l'assiette définie à l'article L 136-1-1. (...) " Le deuxième alinéa du I de l'article L. 136-1-1 du même code dispose que : " Ne constituent pas un revenu d'activité les remboursements effectués au titre de frais professionnels correspondant dans les conditions et limites fixées par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget à des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi des travailleurs salariés ou assimilés que ceux-ci supportent lors de l'accomplissement de leurs missions. ". L'article 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisation sociale, pris pour l'application de ces dispositions, prévoit que : " Les professions, prévues à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui comportent des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui résultant du dispositif prévu aux articles précédents peuvent bénéficier d'une déduction forfaitaire spécifique. Cette déduction est, dans la limite de 7 600 euros par année civile, calculée selon les taux prévus à l'article 5 de l'annexe IV du code précité. / L'employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique lorsqu'une convention ou un accord collectif du travail l'a explicitement prévu ou lorsque le comité d'entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord. / A défaut, il appartient à chaque salarié d'accepter ou non cette option (...)".

6. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une convention ou un accord collectif du travail l'a explicitement prévu ou lorsque le comité d'entreprise ou des délégués du personnel ou, désormais, le comité social et économique ont donné leur accord ou lorsqu'à défaut, le salarié concerné l'a accepté, le bénéfice de la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels est subordonné, non seulement à la condition que la profession exercée soit désignée dans le tableau figurant à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts, mais également à la possibilité pour l'employeur de justifier que le salarié en cause expose effectivement les frais professionnels au titre desquels la déduction forfaitaire est appliquée. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions attaquées méconnaîtraient le sens ou la portée de l'arrêté du 20 décembre 2002 ou leur apporteraient une modification entachée d'incompétence en ce qu'elles indiquent, comme le juge également la Cour de cassation, que, pour appliquer la déduction forfaitaire spécifique, l'employeur doit disposer des justificatifs démontrant que le salarié bénéficiaire supporte effectivement des frais professionnels, la seule appartenance à l'une des professions y ouvrant droit ne suffisant pas à soi seul.

7. En quatrième lieu, l'article 81 du code général des impôts prévoit que sont affranchies de l'impôt sur le revenu les " allocations spéciales destinées à couvrir les frais inhérents à la fonction ou à l'emploi et effectivement utilisées conformément à leur objet " et que " les rémunérations des journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux perçues ès qualités constituent de telles allocations à concurrence de 7 650 ? ". Contrairement à ce qui est soutenu, il ne peut être déduit de cette disposition, qui ouvre le bénéfice d'une exonération de plein droit pour la seule détermination de l'impôt sur le revenu des professions qu'elle vise, une présomption d'utilisation des frais professionnels de ces professions conforme à leur destination faisant obstacle à ce que des justificatifs du caractère effectif de l'exposition de tels frais soient requis pour la détermination des cotisations sociales dues.

8. En dernier lieu, il ne saurait être sérieusement soutenu que cette exigence de justifier du caractère effectif des frais professionnels serait susceptible de porter atteinte à la liberté de la presse ou au secret des sources protégé par la loi du 29 juillet 1881.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions qu'ils attaquent. Par suite, leurs conclusions, y compris celle présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Alliance de la presse d'information générale et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Alliance de la presse d'information générale, représentante unique désignée, et au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 février 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme B... L..., Mme D... K..., présidentes de chambre ; Mme C... E..., Mme H... J..., M. I... G..., M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat ; M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur et Mme Carine Chevrier, conseiller d'Etat.

Rendu le 14 mars 2022.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Sébastien Jeannard
La secrétaire :
Signé : Mme A... F...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


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