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Ariane Web: Conseil d'État 438057, lecture du 6 avril 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:438057.20220406

Décision n° 438057
6 avril 2022
Conseil d'État

N° 438057
ECLI:FR:CECHR:2022:438057.20220406
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Françoise Tomé, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH ; SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats


Lecture du mercredi 6 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Le président de l'université Nice-Sophia-Antipolis a engagé contre M. E... M... des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire du conseil académique de l'université. Par une décision du 15 mai 2018, la section disciplinaire a infligé à M. M... la sanction de l'interdiction d'exercice des fonctions de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de cinq ans, avec privation de la moitié du traitement.

Par une décision du 13 novembre 2019, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire, a, sur appel de M. M..., annulé cette décision et infligé à ce dernier la sanction de l'interdiction d'exercer toute fonction d'enseignement et de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de trois ans, avec privation de la totalité du traitement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 28 janvier et 29 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. M... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'université Nice-Sophia-Antipolis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Françoise Tomé, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. M... et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de l'université Côte d'Azur ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le président de l'université Nice-Sophia-Antipolis a engagé contre M. M..., maître de conférences, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire du conseil académique de cette université pour des faits de plagiat et de contrefaçon. Par une décision du 15 mai 2018, la section disciplinaire a infligé à M. M..., sur le fondement des dispositions du 5° de l'article L. 952-8 du code de l'éducation, la sanction de l'interdiction d'exercice des fonctions de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de cinq ans, avec privation de la moitié du traitement. Saisi du seul appel de M. M..., le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire a, par une décision du 13 novembre 2019, annulé pour irrégularité cette décision et, statuant par voie d'évocation, a infligé à M. M... la sanction de l'interdiction d'exercer toute fonction d'enseignement et de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de trois ans, avec privation de la totalité du traitement. M. M... se pourvoit en cassation contre cette décision.

2. Il résulte des principes généraux du droit disciplinaire qu'une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut être aggravée par le juge d'appel, lorsqu'il n'est régulièrement saisi que du recours de la personne frappée par la sanction. Pour l'application de cette règle, dont la méconnaissance doit le cas échéant être relevée d'office par le juge de cassation, la gravité d'une sanction d'interdiction prononcée par la juridiction disciplinaire s'apprécie au regard de son objet et de sa durée, indépendamment des modalités d'exécution de la sanction.

3. Aux termes de l'article L. 952-8 du code de l'éducation : " Sous réserve des dispositions prises en application de l'article L. 952-23, les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l'enseignement supérieur sont : / 1° Le blâme ; / 2° Le retard à l'avancement d'échelon pour une durée de deux ans au maximum ; / 3° L'abaissement d'échelon ; / 4° L'interdiction d'accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ; / 5° L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; / 6° La mise à la retraite d'office ; / 7° La révocation. / Les personnes à l'encontre desquelles a été prononcée la sixième ou la septième sanction peuvent être frappées à titre accessoire de l'interdiction d'exercer toute fonction dans un établissement public ou privé, soit pour une durée déterminée, soit définitivement. ". Les sanctions susceptibles d'être prononcées en application des dispositions du 5° de cet article reposent sur la combinaison de quatre éléments, relatifs, respectivement, à la nature et à l'étendue des fonctions dont l'exercice est interdit, au périmètre de l'interdiction d'exercice, à la durée de celle-ci et à l'étendue de la privation de traitement. Une sanction prononcée sur ce fondement doit être regardée comme aggravée lorsque l'un de ces éléments est aggravé.

4. Il résulte de ce qui est dit au point 3 qu'en étendant aux fonctions d'enseignement l'interdiction d'exercice infligée à M. M..., initialement limitée aux fonctions de recherche, et en portant la privation de traitement de la moitié à la totalité de celui-ci, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire, a aggravé la sanction infligée à M. M..., alors même qu'il en a réduit la durée. Il a ce faisant, alors qu'il n'était saisi que de l'appel de M. M..., méconnu sa compétence. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, sa décision doit être annulée.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'université Côte d'Azur, venant aux droits de l'université Nice-Sophia-Antipolis, une somme de 3 000 euros à verser à M. M... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par cette université.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire, du 13 novembre 2019 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire.
Article 3 : L'université Côte d'Azur versera à M. M... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'université Côte d'Azur au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. E... M... et à l'université Côte d'Azur.
Copie en sera adressée à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 mars 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme A... N..., Mme D... L..., présidentes de chambre ; M. J... H..., Mme I... K..., Mme B... G..., Mme Carine Chevrier, conseiller d'Etat, Mme Catherine Brouard-Gallet conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Françoise Tomé, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 6 avril 2022.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Françoise Tomé
La secrétaire :
Signé : Mme C... F...


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