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Ariane Web: Conseil d'État 462841, lecture du 5 mai 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:462841.20220505

Décision n° 462841
5 mai 2022
Conseil d'État

N° 462841
ECLI:FR:CEORD:2022:462841.20220505
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
M. JP Mochon, rapporteur
SCP OHL, VEXLIARD ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats


Lecture du jeudi 5 mai 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 462841, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er et 28 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT, la CFE-CGC Energies, la Fédération CGT des Mines et de l'Energie FNME-CGT, la Fédération Nationale de l'Energie et des Mines (FNEMFO), Mme C... J..., M. L... F..., Mme D... G..., M. H... A..., Mme I... E... et M. K... B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et de l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par Electricité de France (EDF) au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique l'énergie ;

2°) d'enjoindre, d'une part, à l'Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour suspendre la livraison exceptionnelle de 20 TWh et, d'autre part, aux bénéficiaires ayant déjà perçu les aides versées dans le cadre de cette livraison exceptionnelle, de les rembourser à EDF ou, à titre subsidiaire, de verser l'équivalent de ces aides sur un compte bloqué ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, les mesures contestées portent atteinte à des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, eu égard à la modification qu'elles apportent à l'ARENH, qui doit être regardé comme une condition de compatibilité d'un régime d'aide d'Etat autorisé par la décision n° SA.21918 de la Commission européenne relative aux tarifs réglementé de l'électricité du 12 juin 2012 et comme constituant en lui-même un régime d'aide d'Etat, et que, d'autre part, elles portent gravement atteinte aux intérêts financiers d'EDF et auront une incidence directe sur les conditions d'emploi de ses salariés, alors que l'intérêt public que présenterait l'accès à l'électricité à un tarif abordable n'est pas susceptible de les justifier en l'absence de démonstration de ce que l'aide sera effectivement répercutée aux consommateurs ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées ;
- les mesures contestées sont entachées d'un vice de procédure faute d'avoir été notifiées à la Commission européenne alors qu'une telle notification s'imposait en vertu tant de la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012 mentionnée ci-dessus que de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui impose cette notification pour toute modification d'un régime d'aide et pour tout aide nouvelle, l'ARENH devant être regardé en lui-même comme un régime d'aide d'Etat ;
- elles méconnaissent l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012, qui fixe un plafond applicable au volume d'ARENH ;
- elles trouvent leur base légale dans les dispositions de L. 336-2 du code de l'énergie qui sont incompatibles avec le droit de l'Union européenne faute d'avoir été elles même notifiées à la Commission européenne ;
- elles méconnaissent l'article 5 de la directive 2019/944/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE, en ce qu'elles ne prévoient aucune garantie pour éviter que les prix de détail réglementés donnent lieu à des subventions croisées directes entre clients approvisionnés au prix du marché libre et clients approvisionnés à des prix réglementés ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaissent la liberté d'entreprendre dès lors qu'elles prévoient une livraison exceptionnelle de 20 TWh supplémentaires alors que l'article L. 336-3 du code de l'énergie impose la suspension du dispositif d'ARENH eu égard à la dégradation des conditions de production des centrales d'EDF ;
- elles méconnaissent l'article L. 336-2 du code de l'énergie et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation en ce que la livraison exceptionnelle de 20 TWh n'est pas proportionnée à l'objectif de stabilité des prix qu'il fixe ;
- la Commission européenne doit être sollicitée en application de l'article 29 du règlement 1589/2015 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour soumettre des observations dans la présente instance.
Par une intervention, enregistrée le 14 avril 2022, l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN) demande que le Conseil d'Etat rejette la requête. Elle soutient que son intervention est recevable et qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

Par une intervention, enregistrée le 20 avril 2022, la Commission de régulation de l'énergie demande que le Conseil d'Etat rejette la requête. Elle soutient que son intervention est recevable, que les requérants ne justifient pas d'un intérêt pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête. Il soutient que les requérants ne justifient pas d'un intérêt pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

Par une intervention, enregistrée le 26 avril 2022, le Comité de Liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité (CLEEE) demande que le Conseil d'Etat rejette la requête. Il soutient que son intervention est recevable, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 26 et 28 avril 2022, l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 30 000 euros soit mise à la charge de la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elles soutiennent que les requérants ne justifient pas d'un intérêt pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

Par une intervention, enregistrée le 27 avril 2022, la société coopérative à forme anonyme SIPLEC (Société d'importation Leclerc) demande que le Conseil d'Etat rejette la requête. Elle soutient qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

Par une intervention, enregistrée le 28 avril 2022, l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir (" UFC-Que Choisir ") conclut que le Conseil d'Etat rejette la requête. Elle soutient que son intervention est recevable, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.


2° Sous le n° 463190, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 et 28 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF, le Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise à compartiments (FCPE) EDF ORS, l'Association de défense des actionnaires salariés des Groupes EDF et Engie (ADAS), l'Association EDF Actionnariat Salarié (EAS) et l'Association Energie en Actions concluent aux même fins que par la requête enregistrée sous le n° 462841 et soulèvent les mêmes moyens. Ils soutiennent en outre que l'urgence est également constituée par l'atteinte aux intérêts financiers des actionnaires d'EDF.



Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête, par les mêmes moyens que ceux de son mémoire en défense enregistré sous le n° 462841.

Par un mémoire en défense et un mémoire enregistrés les 26 et 28 avril 2022, l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) concluent au rejet de la requête, par les mêmes moyens que ceux de ses mémoires en défense enregistrés sous le n° 462841.

Par une intervention, enregistrée le 26 avril 2022, le Comité de Liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité (CLEEE) conclut que le Conseil d'Etat rejette la requête, par les mêmes moyens que ceux de son mémoire en intervention enregistré sous le n° 462841.

Par une intervention, enregistrée le 27 avril 2022, la société coopérative à forme anonyme SIPLEC (société d'importation Leclerc) conclut que le Conseil d'Etat rejette la requête, par les mêmes moyens que ceux de son mémoire en intervention enregistré sous le n° 462841.

Par une intervention, enregistrée le 27 avril 2022, la Commission de régulation de l'énergie conclut au rejet de la requête, par les mêmes moyens que ceux de son mémoire en intervention enregistré sous le n° 462841.



3° Sous le n° 463411, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 et 28 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société d'importation Leclerc (SIPLEC) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 5 du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite en raison de l'atteinte que la mesure contestée porte à ses intérêts financiers en ce qu'elle lui impose, pour les volumes d'électricité qu'elle doit fournir à EDF en contrepartie de ceux qui lui sont alloués à titre additionnel pour l'année 2022, un tarif de 256,98 ? le MWh alors qu'elle doit s'en porter acquéreur sur le marché de gros à un tarif variant entre 280 et 400 ? le MWh ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la mesure contestée ;
- elle a été prise à l'issue d'une procédure consultative irrégulière ;
- elle méconnaît l'article 34 de la Constitution, la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle garanties par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les dispositions de l'article L. 336-10 du code de l'énergie en ce qu'elle intervient dans le domaine de la loi ;
- elle méconnaît les objectifs de compétitivité en faveur des fournisseurs alternatifs d'électricité et de baisse de prix en faveur des consommateurs finaux que fixent les articles L. 336-1 et L. 336-2 du code de l'énergie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la mesure contestée.

Les requêtes ont été communiquées au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et à Electricité de France, qui n'ont pas produit d'observations.


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE ;
- la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012 concernant l'aide d'Etat (C17/2007) (ex NN 17/2007) - Tarifs réglementés de vente de l'électricité en France n° SA.21918 ;
- le code de l'énergie ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT, la CFE-CGC Energies, la Fédération CGT des Mines et de l'Energie FNME-CGT, la Fédération Nationale de l'Energie et des Mines (FNEMFO), Mme C... J..., M. L... F..., Mme D... G..., M. H... A..., Mme I... E... et M. K... B..., le Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF, le Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise à compartiments (FCPE) EDF ORS, l'Association de défense des actionnaires salariées des Groupes EDF et Engie (ADAS), l'Association EDF Actionnariat Salarié (EAS), l'Association Energie en Actions et la société d'importation Leclerc, et, d'autre part, le Premier ministre, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, le ministre de la transition écologique, l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz, Electricité de France, la Commission de régulation de l'énergie, l'Union des industries utilisatrices d'énergie, le Comité de Liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité, la société coopérative à forme anonyme SIPLEC (Société d'importation Leclerc) et l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir (" UFC-Que Choisir ") ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 29 avril 2022, à 10 heures :

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération chimie énergie FCE-CFDT et autres et du conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'Entreprise (FCPE) Actions EDF et autres ;

- le représentant de la Fédération chimie énergie FCE-CFDT et autres et du Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'Entreprise (FCPE) Actions EDF et autres;

- le représentant du Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF et du Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise à compartiments (FCPE) EDF ORS ;
- le représentant de la Fédération Nationale de l'Energie et des Mines (FNEMFO) ;
- Me Duhamel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société d'importation Leclerc (SIPLEC) ;

- le représentant de la société d'importation Leclerc (SIPLEC) ;

- les représentants du ministre de l'économie, des finances et de la relance ;

- les représentants de la ministre de la transition écologique ;
- les représentants de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie et de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz ;

- les représentants de la Commission de régulation de l'énergie ;

- Me Vexliard, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité ;

- la représentante du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité;
- Me Colin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir (" UFC-Que Choisir ") ;

- le représentant de l'Union des industries utilisatrices d'énergie ;

- les représentants de Electricité de France ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". L'urgence est de nature à justifier la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

2. Les requêtes enregistrées sous les n° 462841 et 463190 sont dirigées contre le même décret du 11 mars 2022 ainsi que contre un arrêté du même jour pris pour son application. La requête enregistrée sous le n° 463411, dirigée contre le même décret, tend seulement à la suspension de l'article 5 de ce texte. Elles présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu, par suite, de les joindre pour statuer par une même ordonnance.

Sur les demandes tendant à la suspension de l'exécution de l'ensemble du décret et de l'arrêté contestés :

3. L'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN), la Commission de régulation de l'énergie (CRE), le Comité de Liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité (CLEEE), la société coopérative à forme anonyme SIPLEC (Société d'importation Leclerc) et l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir (" UFC-Que Choisir ") ont intérêt au maintien de l'exécution du décret et de l'arrêté contestés sous le n° 462841. Leur intervention est par suite recevable. Il en va de même de l'intervention du CLEEE, de la société SIPLEC et de la Commission de régulation de l'énergie sous le n° 463190.

4. Aux termes de l'article L. 336-1 du code de l'énergie : " Afin d'assurer la liberté de choix du fournisseur d'électricité tout en faisant bénéficier l'attractivité du territoire et l'ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français, un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique, produite par les centrales nucléaires mentionnées à l'article L. 336-2, est ouvert, pour une période transitoire définie à l'article L. 336-8, à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes. / Cet accès régulé est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Electricité de France de l'utilisation de ses centrales nucléaires mentionnées au même article L. 336-2 ". Aux termes de l'article L. 336-2 du même code : " Pendant la période transitoire, Electricité de France cède de l'électricité, pour un volume maximal déterminé en application des articles L. 336-3 et L. 336-4 et dans les conditions définies à l'article L. 336-5, aux fournisseurs d'électricité qui en font la demande, titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 333-1 et qui alimentent ou prévoient d'alimenter des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, situés sur le territoire métropolitain continental. / Le volume global maximal d'électricité nucléaire historique pouvant être cédé est déterminé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie, en fonction notamment du développement de la concurrence sur les marchés de la production d'électricité et de la fourniture de celle-ci à des consommateurs finals et dans l'objectif de contribuer à la stabilité des prix pour le consommateur final. Ce volume global maximal, qui demeure strictement proportionné aux objectifs poursuivis, ne peut excéder 100 térawattheures par an jusqu'au 31 décembre 2019 et 150 térawattheures par an à compter du 1er janvier 2020. / Les conditions d'achat reflètent les conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires d'Electricité de France situées sur le territoire national et mises en service avant le 8 décembre 2010. Les conditions dans lesquelles s'effectue cette vente sont définies par arrêté du ministre chargé de l'énergie pris sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie 5 (...) ".

5. Par un décret du 11 mars 2022, le Premier ministre a défini les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Par un arrêté du même jour, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie ont fixé à 20 TWh le volume attribué en application de ces dispositions en complément du volume global maximal fixé à 100 TWh par un précédent arrêté du 28 avril 2011. Les requérants demandent la suspension de l'exécution de ces deux mesures.

6. Les requérants invoquent, en premier lieu, l'atteinte grave et immédiate qui résulterait des mesures contestées pour leurs propres intérêts et ceux des personnes qu'ils défendent ou représentent, en leur qualité, sous le n° 462841, d'organisations syndicales représentant les salariés d'Electricité de France (EDF) et, sous le n° 463190, de conseils de surveillance de deux fonds commun de placement ouverts aux salariés et retraités d'EDF et investis en actions EDF et d'associations de défense des actionnaires salariés d'EDF. S'ils invoquent une atteinte aux conditions d'emploi des salariés d'EDF, ils n'assortissent cependant ces allégations d'aucune argumentation, alors que les mesures contestées n'ont, par elles-mêmes, d'incidence que sur le volume additionnel d'électricité livré par EDF aux autres fournisseurs d'électricité en vertu des dispositions législatives citées ci-dessus. Ils ne justifient par ailleurs pas d'une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts patrimoniaux qu'ils invoquent en se bornant à faire état de la seule diminution du cours de l'action de la société au lendemain de l'annonce des mesures contestées et en n'apportant aucune précision sur l'incidence de cette diminution sur leur propre situation ou sur celle des actionnaires salariés d'EDF.

7. Les requérants invoquent, en deuxième lieu, en se prévalant, sous le n° 462841, de leur qualité de membres du conseil d'administration d'EDF, l'atteinte que portent les mesures contestées à la situation d'EDF, ainsi qu'aux intérêts publics qui s'attachent à la pérennité de cette société et au financement de ses investissements à venir. Il résulte de l'instruction et des échanges au cours de l'audience que le coût du rachat aux fournisseurs bénéficiaires des volumes d'électricité correspondant à l'ARENH cédé en application des dispositions contestées est estimé à 4,2 milliards d'euros pour EDF. Les requérants ne justifient pas des pertes de bénéfice qui seraient liées également selon eux aux effets indirects de cette mesure sur les tarifs pratiqués par EDF vis-à-vis de ses propres clients. Enfin, ils n'apportent aucun élément permettant de caractériser l'ampleur de l'atteinte portée par les mesures qu'ils contestent au regard de l'ensemble de l'équilibre financier de la société en faisant également la part des autres facteurs pertinents, y compris l'indisponibilité d'une partie du parc de production d'électricité d'origine nucléaire et l'effet de la hausse des cours de l'électricité sur les recettes d'EDF sur le marché de gros.

8. En troisième lieu, l'invocation de la méconnaissance du droit de l'Union européenne, au motif, en l'espèce, que les mesures contestées n'ont pas fait l'objet d'une notification à la Commission européenne et seraient par ailleurs contraires à l'article 5 de la directive 2019/944/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, n'est pas davantage de nature à caractériser, à elle seule, une situation d'urgence justifiant que soit ordonnée en référé la suspension de l'exécution des mesures contestées sans attendre le jugement de la requête au fond.

9. Enfin, il résulte de l'instruction que les mesures contestées ont été prises dans le contexte d'une forte hausse des prix sur le marché de gros de l'électricité, à l'origine d'importantes répercussions tant pour les particuliers que pour les professionnels, et qui a d'ailleurs conduit la Commission européenne à adopter plusieurs communications sur les mesures de réduction des coûts de l'énergie susceptibles d'être prises par les Etats membres. Le Gouvernement a, dans un premier temps, cherché à limiter les effets de cette augmentation du coût de l'électricité en plafonnant à 4 % la hausse des tarifs réglementés de vente de l'électricité pour les consommateurs qui y sont éligibles, puis en réduisant à 1 euro le MWh pour les particuliers et assimilés et à 0,5 euro pour les professionnels le taux de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité, devenue l'accise sur l'électricité.

10. Il résulte de l'instruction que la livraison d'un volume additionnel d'ARENH a pour objet de compléter ces mesures, en limitant l'effet de l'augmentation du prix de l'électricité sur les coûts d'approvisionnement des fournisseurs qui en bénéficient, et indirectement sur les tarifs qu'ils sont en mesure de proposer aux clients finaux. Sans avoir d'effet direct en 2022 pour les clients éligibles aux tarifs réglementés, dont elle devrait cependant alléger le rattrapage tarifaire en 2023, elle devrait dès 2022 avoir des conséquences tarifaires pour les autres consommateurs d'électricité. Selon les estimations du Gouvernement, qui ne sont pas contestées, l'attribution du volume additionnel d'ARENH devrait limiter l'augmentation du prix de l'électricité à une fourchette comprise entre 14 et 16 % pour les professionnels peu consommateurs, à environ 20 % pour les autres entreprises et collectivités et à une fourchette comprise entre 60 et 100 % pour les industriels dits électro-intensifs, alors que, en l'absence de cette mesure ces augmentations s'établiraient respectivement à 23 %, 40 % et une fourchette comprise entre 100 et 130 %. Les données produites à l'instance par les organisations intervenantes confirment cet effet important de la livraison additionnelle d'ARENH. Si les requérants soutiennent que rien ne garantit que la livraison de ce volume additionnel d'ARENH soit répercutée par ses bénéficiaires sur les tarifs proposés à leurs clients, l'article 11 du décret contesté confie ce suivi à la Commission de régulation de l'énergie, qui en a précisé les modalités par une délibération du 31 mars 2022. Il suit de là que l'incidence des mesures contestées sur les prix de l'électricité est de nature à caractériser un intérêt public à poursuivre leur exécution.

11. Il résulte de ce qui précède que, faute pour les requérants de justifier suffisamment de l'urgence qui s'attacherait à ce que l'exécution des mesures contestées soit suspendue sans attendre le jugement des requêtes au fond, et eu égard à l'intérêt public s'attachant à l'inverse à la poursuite de leur exécution, les requêtes doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité ni sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées. Il en va de même des conclusions des requérants tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que, dans les circonstances de l'espèce, des conclusions présentées en application de ces mêmes dispositions par l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie et l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz.

Sur la demande tendant à la suspension de l'article 5 du décret du 11 mars 2022 :

12. Aux termes de l'article 5 du décret contesté : " Pour bénéficier des volumes additionnels mentionnés à l'article 1er, les fournisseurs remplissant la condition posée à l'article 4 s'engagent, dans l'accord-cadre prévu à l'article L. 336-5 du code de l'énergie, à revendre à Electricité de France un volume d'électricité équivalent à celui qui leur sera cédé au titre de la période complémentaire de livraison prévue à l'article 1er, à un prix égal à la moyenne des cotations sur les marchés de gros, telles qu'elles ont été enregistrées entre les 2 et 23 décembre 2021, du produit base calendaire pour livraison d'électricité en France métropolitaine continentale sur l'année 2022 ". Il résulte de l'instruction que ce prix de revente s'établit à 256,98 euros le MWh.

13. La société SIPLEC demande la suspension de ces dispositions en soutenant que la différence entre le prix qu'elles fixent et le prix du marché de gros de l'électricité est de nature à caractériser une atteinte grave et immédiate à ses intérêts financiers. Elle ne justifie cependant pas, alors que la fourniture d'électricité ne représente qu'une part limitée de son activité, qui n'est au demeurant tournée que vers les sociétés de son groupe, de l'ampleur de cette atteinte au regard de l'ensemble de son activité. Par ailleurs, le manque à gagner qu'elle invoque, calculé par rapport à la situation où ce prix de rachat n'aurait pas été plafonné, ne s'analyse que comme une limitation apportée à l'avantage que constituerait pour un fournisseur qui en bénéficie la livraison d'un volume additionnel d'ARENH au prix de 46,20 euros fixé par un autre arrêté du 11mars 2022, alors qu'au surplus un fournisseur n'est pas tenu de solliciter l'attribution de cet avantage et que celui-ci a vocation, comme il a été dit ci-dessus, à être répercuté sur son client. Il suit de là que l'argumentation de la société n'est pas de nature à caractériser une atteinte grave et immédiate à ses intérêts financiers susceptible de justifier de l'urgence qu'elle invoque.

14. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la mesure contestée, la requête de la société SIPLEC doit également être rejetée, y compris ses conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN), de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), du Comité de Liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité (CLEEE), de la société coopérative à forme anonyme SIPLEC (Société d'importation Leclerc) et de l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir (" UFC-Que Choisir ") sont admises.
Article 2 : Les requêtes de la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT, la CFE-CGC Energies, la Fédération CGT des Mines et de l'Energie FNME-CGT, la Fédération Nationale de l'Energie et des Mines (FNEMFO), Mme C... J..., M. L... F..., Mme D... G..., M. H... A..., Mme I... E... et M. K... B..., d'une part, du Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF, du Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise à compartiments (FCPE) EDF ORS, de l'Association de défense des actionnaires salariés des Groupes EDF et Engie (ADAS), de l'Association EDF Actionnariat Salarié (EAS) et de l'Association Energie en Actions, d'autre part, et de la société d'importation Leclerc, enfin, sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, à l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération Chimie Energie FCE-CFDT, première requérante dénommée dans le n° 462841, au Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF, premier requérant dénommé dans le n° 463190, à la société coopérative à forme anonyme SIPLEC (Société d'importation Leclerc), au ministre de l'économie, des finances et de la relance, à l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, à l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz, à la Commission de régulation de l'énergie, à l'Union des industries utilisatrices d'énergie, au Comité de Liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité au marché libre de l'électricité, à l'Union fédérale des consommateurs-Que Choisir (" UFC-Que Choisir ") et à Electricité de France.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de la transition écologique.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 avril 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant et M. Jean-Yves Ollier et M. Jean-Philippe Mochon, conseillers d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 5 mai 2022
Signé : Christine Maugüé