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Ariane Web: Conseil d'État 452708, lecture du 3 juin 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:452708.20220603

Décision n° 452708
3 juin 2022
Conseil d'État

N° 452708
ECLI:FR:CECHR:2022:452708.20220603
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. David Moreau, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, avocats


Lecture du vendredi 3 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société D3P a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013. Par un jugement n° 1801408 en date du 20 mai 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19MA03133 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société D3P contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mai et 17 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société D3P demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société D3P ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 mai 2022, présentée pour la société D3P ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société D3P était en 2012 exploitante d'un bar discothèque à Lattes (34). Par une ordonnance du juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Montpellier en date du 13 septembre 2012, la société concessionnaire Autoroutes du Sud de la France a obtenu l'expropriation de cette société pour la réalisation du dédoublement de l'autoroute A9. Par un jugement du 16 octobre 2012, le juge de l'expropriation a, dans le cadre de la procédure d'urgence prévue à l'article L. 15-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique alors applicable, fixé le montant de l'indemnité provisionnelle due par l'expropriant à la société D3P et autorisé celui-ci à prendre immédiatement possession des biens expropriés. Le montant définitif de l'indemnité d'expropriation a été fixé amiablement entre les parties par un accord intervenu le 10 avril 2013. La société D3P a déduit extra-comptablement le montant de cette indemnité du résultat imposable de son exercice clos le 31 décembre 2013, estimant qu'elle n'était pas imposable. A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a retenu le caractère imposable de cette indemnité d'expropriation au titre des plus-values professionnelles. Elle a assorti le redressement d'impôt sur les sociétés en résultant de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 20 mai 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société tendant à la décharge totale ou partielle de ces cotisations supplémentaires et pénalités. La société D3P demande l'annulation de l'arrêt du 18 mars 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif soit en cours, soit en fin d'exploitation. 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) ". Aux termes de l'article L. 15-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, alors en vigueur : " En cas d'urgence le juge peut soit fixer le montant des indemnités, comme il est dit aux articles L. 13-6 et R. 13-34, soit, s'il ne s'estime pas suffisamment éclairé, fixer le montant d'indemnités provisionnelles et autoriser l'expropriant à prendre possession moyennant le paiement ou, en cas d'obstacles au paiement, la consignation des indemnités fixées ". Aux termes de l'article L. 15-5, alors en vigueur, du même code : " La décision fixant le montant des indemnités provisionnelles ne peut être attaquée que par la voie de recours en cassation dans les formes et délais prévus à l'article L. 12-5. / Il est procédé, le cas échéant, et dans le délai d'un mois, à compter du jugement fixant les indemnités provisionnelles, à la fixation des indemnités définitives selon la procédure prévue aux articles L. 13-6, R. 13-30, R. 13-31, R. 13-32 et R. 13-34 sans qu'il y ait lieu, sauf décision expresse du juge, à un nouveau transport sur les lieux ".

3. Si l'indemnité d'expropriation accordée par le juge de l'expropriation dans le cadre de la procédure d'urgence prévue à l'article L. 15-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, aujourd'hui reprise à l'article L. 232-1 du même code, a un caractère provisionnel, cette circonstance, eu égard à la portée de la décision du juge de l'expropriation, est sans incidence sur le fait qu'il s'agit d'une créance acquise pour un montant déterminé à la date du jugement en ordonnant le paiement. Il s'ensuit qu'en se fondant sur son caractère provisoire et non définitif pour juger que l'indemnité provisionnelle fixée par la décision du juge de l'expropriation du 16 octobre 2012 n'était pas rattachable à l'exercice 2012, la cour a commis une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à la société D3P au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt n° 19MA03133 du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera à la société D3P la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société D3P et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, M. François Weil, M. Alexandre Lallet, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 3 juin 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau

La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana



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