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Ariane Web: Conseil d'État 459711, lecture du 3 juin 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:459711.20220603

Décision n° 459711
3 juin 2022
Conseil d'État

N° 459711
ECLI:FR:CECHR:2022:459711.20220603
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public


Lecture du vendredi 3 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 459711, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 21 décembre 2021 et le 13 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie, le conseil coutumier de l'aire Drubea Kapumë, M. P... L..., M. EC... BW..., M. EX..., M. FG..., M. EU... E..., M. BX... W..., M. EP..., M. FD..., M. BP... DB..., M. FI..., M. CE... EH..., M. CQ... BY..., M. DR... DE..., M. FS... CW..., M. AA... DG..., M. BX... Q..., M. EQ... BZ..., M. AS... CC..., M. X... A..., M. CF... DX..., M. DK... DX..., M. FN... BH... FO..., M. EZ... D..., Mme DY... FJ... D..., Mme EY... D..., M. CQ... D..., M. DJ... CG..., Mme DF... AY..., M. AX... AY..., M. Y... AY..., Mme CA... EV..., M. CD... BJ..., M. FP... BJ..., M. CM... BJ..., M. EF... BJ..., Mme ES... BJ..., Mme BL... BJ..., M. AF... BJ..., M. DN... BJ..., M. FB... K..., M. U... ED..., Mme ER... DL..., Mme EW... CN..., M. CX... AC..., Mme R... AC..., Mme EA... AC..., M. CK... AC..., M. AD... AC..., M. FL... AC..., M. FK... AC..., Mme CJ... AE..., Mme AG... CS..., M. BR... CS..., M. AN... BM..., M. BC... BO..., Mme Z... BO..., Mme AB... BO..., Mme DP... BO..., M. BK... BO..., Mme DV... BO..., Mme FH..., Mme CI... EO..., Mme BE... EO..., Mme EE... EO..., M. AW... DO..., M. AM... CU..., Mme AO... AI..., Mme AV... CV..., M. CH... CV..., Mme FR... CV..., M. BS... CV..., Mme DQ... CV..., M. FQ... CV..., Mme CB... AJ..., Mme EK... AJ..., Mme BF... AJ..., M. BH... AJ..., Mme EG... AJ..., Mme CP... AJ..., M. CE... CW..., M. V... CW..., Mme G... CW..., M. EL... CW..., M. I... CW..., Mme EM... CW..., M. CR... CW..., Mme CT... CW..., Mme BT... CW..., M. AT... AK..., M. BA... AK..., M. FE..., M. EB... AL..., Mme ET... BQ... épouse D..., M. Y... BU..., M. CO... M..., M. J... CZ..., M. BG... BV..., M. T... N..., M. DH... AP..., M. C... AP..., M. DK... DA..., Mme CY... AQ..., Mme BI... AR..., M. BD... DU..., M. AU... DT..., M. FM... BH... DC..., M. DS... DC..., Mme DM... DD... et M. CL... O... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les résultats du vote qui s'est déroulé le 12 décembre 2021 lors de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser conjointement aux protestataires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n°459753, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés le 22 décembre 2021 et le 6 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. EN... AZ..., M. FA..., Mme F... CN..., Mme FF..., Mme BN... BB..., Mme AH... B..., Mme EI... DZ..., M. CF... EJ..., M. FC..., M. H... DI... et M. S... DW... demandent au Conseil d'Etat d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 12 décembre 2021 lors de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;
- l'accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;
- la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 ;
- la loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018 ;
- la loi n° 2021-1172 du 11 septembre 2021 ;
- -le décret n° 2018-424 du 30 mai 2018 ;
- le décret n° 2021-866 du 30 juin 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. Les protestations présentées, d'une part, par le sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie et autres et, d'autre part, par M. AZ... et autres sont dirigées contre les résultats de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes de l'article 76 de la Constitution : " Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française. / (...) Les mesures nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres ". L'article 77 prévoit que : " Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre:/ (...) - les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 216 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " I. - La consultation sur l'accession à la pleine souveraineté prévue par l'article 77 de la Constitution est organisée conformément aux dispositions du présent titre. / II. - Les électeurs sont convoqués par décret en conseil des ministres, après consultation du gouvernement et du congrès de la Nouvelle-Calédonie. Le décret fixe le texte de la question posée, les modalités d'organisation du scrutin et notamment les modalités de remboursement par l'Etat des dépenses faites pour la campagne par les partis ou groupements politiques habilités dans les conditions posées au 2° du III de l'article 219./ La publication au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie du décret de convocation des électeurs appelés à participer à la consultation intervient au plus tard quatre semaines avant le jour du scrutin./ Le corps électoral se prononce à la majorité des suffrages exprimés ". Selon l'article 217 de : " La consultation est organisée au cours du mandat du congrès qui commencera en 2014 ; (...) / Si la majorité des suffrages exprimés conclut au rejet de l'accession à la pleine souveraineté, une deuxième consultation sur la même question peut être organisée à la demande écrite du tiers des membres du congrès, adressée au haut-commissaire et déposée à partir du sixième mois suivant le scrutin. La nouvelle consultation a lieu dans les dix-huit mois suivant la saisine du haut-commissaire à une date fixée dans les conditions prévues au II de l'article 216. / (...) Si, lors de la deuxième consultation, la majorité des suffrages exprimés conclut à nouveau au rejet de l'accession à la pleine souveraineté, une troisième consultation peut être organisée dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas du présent article. Pour l'application de ces mêmes deuxième et troisième alinéas, le mot : "deuxième" est remplacé par le mot : "troisième" (...) ".

4. La troisième consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie prévue par l'article 77 de la Constitution a eu lieu le dimanche 12 décembre 2021. Il ressort de la proclamation des résultats publiée au Journal officiel de la République française du 16 décembre 2021 qu'à la question de savoir si les électeurs voulaient que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ", le " non " l'a emporté avec 75 720 voix, contre 2 747 voix pour le " oui ", le taux d'abstention s'établissant à 56,13 %.

Sur les griefs mettant en cause le choix de la date retenue pour la consultation et le taux d'abstention :

5. En premier lieu, les protestataires font valoir que le maintien de cette consultation pendant la crise sanitaire a porté atteinte au libre exercice du droit de vote et à l'égalité entre les candidats, compte tenu de l'impact particulier de l'épidémie de covid-19 sur les populations autochtones mélanésiennes. Toutefois, il résulte de l'instruction que si la Nouvelle-Calédonie a connu un pic épidémique en septembre 2021 avec un taux d'incidence de 1 200 contaminations pour 100 000 habitants et plusieurs centaines de victimes, la situation épidémiologique s'est améliorée continument en octobre et novembre avec un taux d'incidence ramené à 48 pour 100 000 début décembre et 10 patients atteints de covid-19 en réanimation. En outre, le taux de personnes vaccinées était de 77,7% de la population susceptible de l'être quelques jours avant le scrutin. Cette amélioration des indicateurs a permis de ne pas proroger au-delà du 15 novembre 2021, soit quatre semaines avant le scrutin, l'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi du 11 septembre 2021 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans les outre-mer et d'alléger les mesures dites de " confinement adapté ". C'est ainsi que les partis et groupements politiques habilités à participer à la campagne officielle, qui s'est déroulée du lundi 29 novembre 2021 à zéro heure, au vendredi 10 décembre 2021 à minuit, ont pu notamment, sur l'ensemble du territoire, tenir des réunions publiques, accéder au service public de radio et de télévision, adresser des circulaires aux électeurs et apposer des affiches sur les panneaux électoraux. Enfin, une circulaire conjointe du ministre de l'intérieur et du ministre des outre-mer, du 15 novembre 2021, donnait des consignes strictes pour garantir la sécurité des électeurs pendant le déroulement du scrutin.

6. En deuxième lieu, l'organisation de ce scrutin à la date du 12 décembre 2021, alors que l'amélioration des conditions sanitaires le permettaient, a constitué une mesure impliquée par les dispositions des articles 216 et 217 de la loi organique du 19 mars 1999 citées au point 3. La circonstance que le sénat coutumier, dont les compétences, de nature consultative, sont régies par les dispositions des articles 137 à 148 de la loi organique du 19 mars 1999, avait postérieurement au décret du 30 juin 2021 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, déclaré une période de deuil coutumier d'une année calendaire débutant le 9 septembre 2021 afin de permettre aux familles et aux clans ainsi qu'à l'ensemble des citoyens de la Nouvelle-Calédonie de se reconstruire culturellement, socialement et économiquement, n'a pas été de nature à affecter, en elle-même, la sincérité du scrutin. De même, la tenue de ce scrutin, prévu par les dispositions précitées de la loi organique, n'a pu méconnaître la liberté de pensée, de conscience et de religion, l'interdiction de discrimination garanties respectivement par les articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les stipulations des articles 2 et 5 de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, ni enfin celles de l'article 3 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel, en tout état de cause, n'est applicable qu'à la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif.

7. En dernier lieu, ni les dispositions constitutionnelles, ni les dispositions de la loi organique statutaire citées au point 2 ne subordonnent la validité du scrutin référendaire à un taux de participation minimal. Le niveau d'abstention n'est, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats d'un scrutin s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité. Le niveau d'abstention constaté en l'espèce ne saurait être regardé comme ayant altéré la sincérité de la consultation électorale sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie alors que les partis et groupements indépendantistes ont appelé les électeurs à ne pas prendre part au scrutin.

Sur les autres griefs :

8. En premier lieu, aucun texte, ni aucun principe ne fait obstacle à ce que le Premier ministre prenne parti à l'occasion d'une consultation référendaire. Dès lors, le grief tiré de ce que l'Etat aurait manqué à son " obligation de loyauté et d'impartialité ", au motif que le Premier ministre a, en réponse à une question posée par un sénateur, déclaré dans l'hémicycle, le 21 octobre 2021, qu'il avait, avec le ministre des outre-mer, " réaffirmé son souhait fort que le choix des Néo-calédoniens soit celui de la France ", ne peut qu'être écarté.

9. En deuxième lieu, les protestataires soutiennent que les électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale à la consultation des communes de Bélep, de l'île des Pins, de Lifou, de Maré et d'Ouvéa auraient été privés du droit de vote du fait de la procédure d'inscription dans les bureaux de vote délocalisés prévue par l'article 3 de la loi organique du 19 avril 2018 relative à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. Il résulte toutefois de l'instruction qu'afin de tenir compte de la situation sanitaire en Nouvelle-Calédonie, le haut-commissaire de la République, sur le fondement du décret du 15 octobre 2021 modifiant le décret du 30 mai 2018 pris pour application de l'article 3 de la loi organique du 19 avril précitée, et prévoyant une faculté de prolongation de la période ouverte pour les électeurs des communes insulaires de la Nouvelle-Calédonie pour demander à voter ou à ne plus voter dans un lieu de vote ouvert à Nouméa lors de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, a prolongé de deux semaines la période d'option dont disposaient les électeurs des communes de Bélep, île des Pins, Lifou, Maré et Ouvéa pour choisir de voter dans un lieu de vote délocalisé. Initialement prévue du 27 septembre au 23 octobre 2021, cette période a donc été prolongée jusqu'au 6 novembre 2021. En outre, les électeurs qui le souhaitaient pouvaient exercer leur droit de vote par procuration dans les conditions posées par l'article 4 de la loi organique du 19 avril 2018 relative à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. Dès lors, ce grief ne peut qu'être écarté.

11. En dernier lieu, l'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Toutefois, si comme le soutiennent les protestataires, la diffusion des clips vidéos des groupements " Voix du Non 2 " et " Voix du Non 3 " pendant la campagne officielle a donné une image dégradante et infantilisante des populations océaniennes, il ne résulte pas de l'instruction que ces clips vidéos, qui ont été diffusés du 29 novembre au 7 décembre 2021 inclus avant d'être retirés trois jours avant la fin de la campagne officielle par les groupements concernés, aient été susceptibles, pour regrettable que fut leur diffusion, de porter atteinte à la sincérité du scrutin, les " non " ayant recueilli 96,5 % des suffrages exprimés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les protestataires ne sont pas fondés à demander l'annulation des opérations de referendum qu'ils attaquent. Leurs conclusions doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la ministre des outre-mer en défense, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Les protestations du sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie et autres d'une part, et de M. AZ... et autres d'autre part, sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au président du sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie, premier dénommé, à M. EN... AZ..., premier dénommé, à la ministre des outre-mer et au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. François Weil, M. Bruno Delsol, M. Alexandre Lallet, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 3 juin 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


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