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Ariane Web: Conseil d'État 449408, lecture du 21 juin 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:449408.20220621

Décision n° 449408
21 juin 2022
Conseil d'État

N° 449408
ECLI:FR:CECHR:2022:449408.20220621
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP JEAN-PHILIPPE CASTON, avocats


Lecture du mardi 21 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 2 février 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. et Mme B... dirigées contre l'arrêt n° 20PA00247 de la cour administrative d'appel de Paris du 3 décembre 2020 en tant que cet arrêt a statué sur les conclusions relatives à l'imputation des bénéfices réalisés par la société Stanmer Holdings Ltd.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention entre la République française et la République populaire de Bulgarie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu du 14 mars 1987 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. A... de Sainte Lorette, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. et Mme B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Paris la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2008 à 2010 et 2012. Par un arrêt du 3 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel formé contre le jugement du 26 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris avait rejeté leur demande. Par une décision du 2 février 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a admis les conclusions du pourvoi en cassation des intéressés dirigées contre cet arrêt en tant qu'il se prononce sur les conclusions relatives à l'imputation des bénéfices réalisés par la société Stanmer Holdings Ltd.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il porte sur la domiciliation fiscale de M. B... :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus ". Aux termes du 1 de l'article 4 B du même code : " Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ". Pour l'application de ces dispositions, le foyer s'entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu'il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles, et que le lieu du séjour principal du contribuable ne peut déterminer son domicile fiscal que dans l'hypothèse où celui-ci ne dispose pas de foyer.

3. Après avoir retenu qu'il résultait de l'instruction, d'une part, que M. B... disposait en France, au cours des années en litige, d'un appartement à Paris où résidaient son épouse et leur fils, né en France en 2009, d'une maison occasionnellement occupée en Seine-et-Marne, de plusieurs comptes bancaires ainsi que des oeuvres et objets d'art et, d'autre part, que M. et Mme B... avaient déclaré leurs revenus en France pour les années en litige, la cour a également relevé que M. B... ne fournissait aucune pièce de nature à établir les modalités de ce que serait sa vie quotidienne en Bulgarie où il alléguait avoir sa résidence fiscale. En se fondant sur ces éléments pour juger que M. B... avait en France son foyer, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce et n'a pas dénaturé les pièces versées au dossier.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er de la convention franco-bulgare du 14 mars 1987 susvisée : " 1. La présente Convention s'applique aux personnes qui sont des résidents d'un Etat contractant ou des deux Etats contractants. / 2. Au sens de la présente Convention, sont considérés comme résidents : / a. De la République populaire de Bulgarie, les personnes physiques qui ont la nationalité de la République populaire de Bulgarie, les personnes morales et groupements de personnes ayant leur siège en République populaire de Bulgarie ou y étant enregistrés ; / b. De la République française, les personnes qui, en vertu de la législation française, sont assujetties à l'impôt en France en raison de leur domicile, de leur résidence, de leur siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. / 3. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 2, une personne physique est un résident des deux Etats contractants, elle est considérée comme un résident de l'Etat avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux). Si l'Etat avec lequel les liens personnels et économiques sont les plus étroits ne peut être déterminé, les autorités compétentes des Etats contractants tranchent la question d'un commun accord ".

5. Après avoir relevé que les liens personnels de M. B... étaient les plus étroits avec la France et que son activité économique était exercée par l'intermédiaire de sociétés établies au Luxembourg et à Gibraltar, la cour a pu, en portant sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine, en déduire que M. B... ne pouvait se prévaloir des stipulations de la convention fiscale franco-bulgare pour faire échec à son imposition en France.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur l'imputation, au titre de l'année 2010, des bénéfices réalisés par la société Stanmer Holdings Ltd en 2009 :

6. Aux termes de l'article 123 bis du code général des impôts : " 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique-personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable-établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. / Pour l'application du premier alinéa, le caractère privilégié d'un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l'article 206. / (...) / 3. Les bénéfices ou les revenus positifs mentionnés au 1 sont réputés acquis le premier jour du mois qui suit la clôture de l'exercice de l'entité juridique établie ou constituée hors de France ou, en l'absence d'exercice clos au cours d'une année, le 31 décembre. Ils sont déterminés selon les règles fixées par le présent code comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. L'impôt acquitté localement sur les bénéfices ou revenus positifs en cause par l'entité juridique est déductible du revenu réputé constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne physique, dans la proportion mentionnée au 1, à condition d'être comparable à l'impôt sur les sociétés. / (...) ". Aux termes du 1 de l'article 145 du même code : " Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : / a. Les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; / b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s'apprécie à la date de mise en paiement des produits de la participation. / (...) ". Aux termes du 1 de l'article 216 du même code : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que, pour l'application de l'article 123 bis du code général des impôts, les bénéfices ou les revenus positifs d'une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié sont déterminés selon les règles du code général des impôts comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. Ces règles incluent le régime des sociétés mères défini aux articles 145 et 216 du code général des impôts dès lors que l'entité juridique serait soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés au taux normal si elle était établie en France.

8. En se bornant, pour juger que la part des bénéfices de la société Stanmer en 2009 trouvant son origine dans des produits de participation ne pouvait être calculée par application du régime des sociétés mères, à relever que ce régime ne s'appliquait qu'aux sociétés qui ont été effectivement soumises à l'impôt sur les sociétés au taux normal, alors que la prise en compte de ce régime pour le calcul des bénéfices de la société Stanmer, établie à Gibraltar, dépendait de ce que cette société aurait été soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés si elle avait été établie en France, la cour a commis une erreur de droit.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statut sur l'imputation, au titre de l'année 2012, des bénéfices réalisés par la société Stanmer Holdings Ltd en 2011 :

9. Aux termes du 4 bis de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " Le 1 n'est pas applicable, lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un Etat de la Communauté européenne, si l'exploitation de l'entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de vote de cette entité juridique par la personne domiciliée en France ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française ".

10. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la création de la société Stanmer Holding Ltd était constitutive d'un montage artificiel au sens des dispositions précitées, la cour a relevé, d'une part, que l'administration faisait valoir que cette société ne disposait pas des moyens permettant l'exécution des prestations qu'elle était censée exécuter pour le compte de la société de droit luxembourgeois Kerauf, que les prestations étaient réalisées par des salariés de sociétés bulgares et que la société Stanmer n'exerçait aucune activité autre que la détention de titres et le prêt de trésorerie, et d'autre part, que les requérants ne produisaient aucune pièce de nature à établir la réalité de prestations effectuées par la société Stanmer.

11. Pour soutenir que la cour aurait commis une erreur de qualification juridique des faits en retenant l'existence d'un montage purement artificiel, les requérants se bornent à relever que l'administration avait admis la réalité des prestations réalisées par la société luxembourgeoise Kerauf dans un courrier de l'interlocuteur départemental abandonnant des cotisations mises à la charge des intéressés au titre de 2012 en application de l'article 155 A du code général des impôts. Toutefois, cette circonstance est sans incidence sur l'appréciation portée par la cour sur l'activité de la société Stanmer. Par suite, ce moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... sont seulement fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il s'est prononcé sur l'imputation au titre de l'année 2010 des bénéfices de la société Stanmer réalisés en 2009. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 3 décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il se prononce sur les conclusions de M. et Mme B... relatives à l'imputation au titre de l'année 2010 des bénéfices réalisés par la société Stanmer Holdings Ltd en 2009.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme C... B... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. et Mme B... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juin 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, conseillers d'Etat ; M. Olivier Guiard, maître des requêtes et M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 21 juin 2022.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Matias de Sainte Lorette
La secrétaire :
Signé : Mme Laurence Chancerel


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