Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 449112, lecture du 5 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:449112.20220705

Décision n° 449112
5 juillet 2022
Conseil d'État

N° 449112
ECLI:FR:CECHR:2022:449112.20220705
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Laurent Cabrera, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
SCP BUK LAMENT - ROBILLOT ; SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES, avocats


Lecture du mardi 5 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a refusé de lui accorder le bénéfice d'une retraite au titre du droit à pension proportionnelle, avec jouissance immédiate de ses droits à pension à compter du 1er décembre 2017, et, d'autre part, d'enjoindre au président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de faire droit à sa demande de pension. Par un jugement n° 1700128 du 19 octobre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une décision n° 416774 du 22 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. B..., a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au même tribunal.

Par un jugement n° 2000178 du 26 novembre 2020, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a de nouveau rejeté la demande de M. B....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 janvier 2021, 27 avril 2021 et 27 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;
- le code des pensions de retraites des fonctionnaires de Nouvelle-Calédonie ;
- l'arrêté n° 1065 du 22 août 1953 portant statut général des fonctionnaires des cadres territoriaux ;
- la délibération n° 486 du 10 août 1994 portant création du statut général des fonctionnaires des communes de Nouvelle-Calédonie ;
- la délibération n° 47/CP du 29 juin 2007 portant statut particulier du cadre de la santé de la Nouvelle-Calédonie ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de M. B... et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... B..., né le 13 mars 1957, occupait depuis le 27 mars 1987 les fonctions de médecin du cadre de la santé de la Nouvelle-Calédonie, régies par l'arrêté du 22 août 1953 portant statut général des fonctionnaires des cadres territoriaux, la délibération du 10 août 1994 portant statut général des fonctionnaires des communes de Nouvelle-Calédonie et de leurs établissements publics et la délibération du 29 juin 2007 portant statut particulier du cadre de la santé de la Nouvelle-Calédonie. M. B..., placé en disponibilité pour convenances personnelles à compter du 2 mai 1996, a été réintégré dans le cadre de la santé de la Nouvelle-Calédonie à compter du 1er août 2007, par un arrêté de la présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie du 10 février 2015. Il a sollicité auprès du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, par courriers des 4 novembre 2016 et 16 janvier 2017, le bénéfice d'une pension de retraite au titre du droit à pension proportionnelle, avec jouissance immédiate de ses droits à pension à compter du 1er décembre 2017. Par une décision n° 416774 du 29 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé le jugement du 29 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie avait rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie refusant de faire droit à cette demande de pension. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 26 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a de nouveau rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut (...) renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation (...) ". Il résulte de ces dispositions que la formation de jugement appelée à délibérer à nouveau sur une affaire à la suite d'une annulation par le Conseil d'Etat de la décision précédemment prise sur la même affaire ne peut comprendre aucun magistrat ayant participé au délibéré de cette décision, sauf impossibilité structurelle pour la juridiction à laquelle l'affaire a été renvoyée de statuer dans une formation de jugement ne comprenant aucun membre ayant déjà participé au jugement de l'affaire.

3. Il ressort des mentions du jugement attaqué que la formation de jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie qui a délibéré à nouveau sur la demande de M. B..., à la suite de la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 29 juin 2020, comprenait un magistrat administratif qui avait participé au délibéré du jugement du 29 octobre 2017 annulé par le Conseil d'Etat. Toutefois, à la date du jugement attaqué, ce tribunal ne comportait qu'une seule chambre en vertu de l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2020 fixant le nombre de chambres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, et était composé, outre le président du tribunal, de trois magistrats administratifs, dont l'un chargé des fonctions de rapporteur public.

4. Si le litige renvoyé au tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie est un litige en matière de pensions de retraite des agents publics, susceptible d'être jugé par un magistrat statuant seul en vertu des dispositions du 3° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, les dispositions du premier alinéa de l'article L. 821-2 de ce code n'ont pas pour effet d'imposer le jugement de l'affaire par un juge unique et de faire obstacle au renvoi, toujours possible, de l'affaire devant une formation collégiale du tribunal, ainsi que le rappellent et l'organisent les dispositions de l'article R. 222-19 du code, selon lesquelles " Dans les cas mentionnés à l'article R. 222-13, le président du tribunal ou le magistrat désigné pour statuer peuvent, de leur propre initiative ou sur proposition du rapporteur public décider d'inscrire l'affaire au rôle d'une formation collégiale de la chambre ".

5. De même, si l'article L. 224-1 du code de justice administrative prévoit que " le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie peut valablement délibérer en se complétant, en cas d'absence ou d'empêchement d'un de ses membres, par l'adjonction d'un magistrat de l'ordre judiciaire ", lequel est alors choisi, selon l'article R. 224-1, parmi les magistrats judiciaires en fonctions dans le ressort, les dispositions de l'article L. 821-2 n'impliquent pas qu'il soit fait application de ces dispositions particulières, permettant de compléter le tribunal administratif, afin de statuer sur un litige renvoyé à ce tribunal après cassation par le Conseil d'Etat.

6. Il résulte de ce qui précède que, dès lors qu'il avait été décidé, en l'espèce, d'inscrire l'affaire au rôle d'une formation collégiale du tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie, il existait, eu égard à la composition du tribunal à la date du jugement, une impossibilité structurelle, pour ce tribunal, de statuer dans une formation de jugement ayant une composition entièrement différente de celle qui avait délibéré sur le premier jugement de l'affaire. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité, faute pour la formation de jugement d'avoir été complètement différente de celle ayant rendu le premier jugement annulé par le Conseil d'Etat, doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

7. En premier lieu, aux termes de l'article Lp. 221-2 du code des pensions de retraites des fonctionnaires de Nouvelle-Calédonie : " Le droit à pension proportionnelle est acquis : (...) / 3° aux fonctionnaires qui ont effectivement accompli une durée de service fixée par voie de délibération (...) ". Aux termes de l'article R. 221-1 du même code : " La durée de service prévue au 3° de l'article Lp. 221-2 est fixée à 15 ans ".

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a été placé en disponibilité pour convenances personnelles à compter du 2 mai 1996 et qu'il a été réintégré dans le cadre de la santé de la Nouvelle-Calédonie, rétroactivement et fictivement, à compter du 1er août 2007 par un arrêté de la présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie du 10 février 2015. Cette réintégration rétroactive, pour la période courant du 1er août 2007 au 17 février 2015, visait à régulariser sa situation administrative mais n'est pas intervenue en exécution d'une décision d'annulation pour excès de pouvoir prononcée par le juge administratif, faute pour l'intéressé d'avoir contesté devant lui la légalité des mesures relatives à sa réintégration et à la reconstitution de sa carrière pour cette période. Par suite, en jugeant que M. B... ne pouvait être regardé comme ayant été en position d'activité lors de cette période et que celle-ci ne pouvait pas être prise en compte au titre des services effectifs comptabilisés pour le calcul des droits à pension, pour en déduire qu'il ne pouvait se prévaloir d'une durée de services effectifs de quinze ans et, par suite, du bénéfice du droit à pension proportionnelle, le tribunal administratif n'a entaché son jugement ni d'erreur de droit, ni d'insuffisance de motivation.

9. En second lieu, aux termes de l'article Lp. 212-6 du code des pensions de retraites des fonctionnaires de Nouvelle-Calédonie : " Les bénéficiaires du présent régime ne peuvent prétendre à pension au titre du présent code qu'après avoir été préalablement admis à faire valoir leurs droits à la retraite, soit d'office, soit sur leur demande (...) ". Aux termes de l'article R. 212-7 du même code : " La demande d'admission à la retraite du fonctionnaire doit être adressée par écrit à l'autorité détentrice du pouvoir de nomination sous couvert de la voie hiérarchique, au moins six mois avant la date à laquelle l'agent souhaite cesser son activité. / La demande de report de la date d'admission à la retraite doit être présentée dans les mêmes formes et délais que la demande initiale sans qu'elle ne puisse intervenir dans le délai d'un mois avant la date initialement prévue d'admission à la retraite. / L'admission à la retraite est prononcée par l'autorité détentrice du pouvoir de nomination après avis conforme, en ce qui concerne le droit à pension, du directeur de la caisse locale de retraites ".

10. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal a relevé, par une appréciation souveraine des pièces du dossier exempte de dénaturation, que le directeur de la caisse locale de retraite avait, par le courrier du 16 octobre 2016, fait part à M. B... des motifs qui faisaient obstacle à ce que celui-ci bénéficie d'une retraite au titre du droit à pension proportionnelle, avec jouissance immédiate de ses droits à pension à compter du 1er décembre 2017. En retenant que ce courrier devait être regardé comme constituant l'avis prévu à l'article R. 212-7 du code des pensions de retraites des fonctionnaires de Nouvelle-Calédonie, le tribunal n'a pas, contrairement à ce que soutient M. B..., fait une inexacte interprétation de cet acte.

11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de M. B... le versement d'une somme de 1 500 euros au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.


D E C I D E :
--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : M. B... versera au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 juin 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; Mme Carine Soulay, Mme Françoise Tomé, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Damien Botteghi, Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 5 juillet 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :
Signé : M. Laurent Cabrera

La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Alleil




Voir aussi