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Ariane Web: Conseil d'État 463525, lecture du 25 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:463525.20220725

Décision n° 463525
25 juillet 2022
Conseil d'État

N° 463525
ECLI:FR:CECHR:2022:463525.20220725
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Pierre Boussaroque, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SCP LEDUC, VIGAND, avocats


Lecture du lundi 25 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l'article L. 554-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel la maire de Bagneux a accordé à l'association de Bienfaisance de la mosquée Omar du sud des Hauts-de-Seine un permis de construire modificatif relatif à un centre culturel et cultuel musulman dont la construction au 1-3 avenue Louis Pasteur avait été autorisée par un permis de construire le 3 août 2018, ainsi que de la décision du 15 décembre 2021 par laquelle cette maire a refusé de retirer ce permis modificatif. Par une ordonnance n° 2200539 du 8 février 2022, la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Par une ordonnance n° 22VE00391 du 12 avril 2022, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles a, sur l'appel du préfet des Hauts-de-Seine, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme issu de l'article 7 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 soulevée par la commune de Bagneux, annulé l'ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 8 février 2022, suspendu l'exécution de l'arrêté du 11 octobre 2021 de la maire de Bagneux et de son refus de retirer cet arrêté jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de ces deux décisions.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 avril, 10 mai et 5 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Bagneux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 12 avril 2022 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 2 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'urbanisme, notamment son article L. 422-5-1 ;
- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 juillet 2022, présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Leduc, Vigand, avocat de la commune de Bagneux ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 422-5-1, inséré dans le code de l'urbanisme par l'article 7 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Lorsque le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale est compétent, il recueille l'avis du représentant de l'Etat dans le département si le projet porte sur des constructions et installations destinées à l'exercice d'un culte ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges des référés que la maire de Bagneux a, par un arrêté du 3 août 2018, accordé à l'association de Bienfaisance de la mosquée Omar du sud des Hauts-de-Seine le permis de construire un centre culturel et cultuel musulman et que, par un arrêté du 11 octobre 2021, elle a accordé à cette même association un permis de construire modificatif, se rapportant au même projet. Par un courrier du 7 décembre 2021, le préfet des Hauts-de-Seine a vainement demandé à la maire de Bagneux de retirer ce permis de construire modificatif au motif qu'il aurait dû être préalablement saisi pour avis en vertu de l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme. La juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, par une ordonnance du 8 février 2022, rejeté la demande du préfet, présentée sur le fondement de l'article L. 554-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 11 octobre 2021 de la maire de Bagneux et du refus de retrait de cet arrêté opposé le 15 décembre 2021. La commune de Bagneux se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 12 avril 2022 par laquelle, sur l'appel du préfet des Hauts-de-Seine, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Bagneux contre l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme, annulé l'ordonnance du juge des référés de première instance et fait droit à la demande de suspension du préfet des Hauts-de-Seine.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en cassation et sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité par le juge des référés de la cour administrative d'appel :

3. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Il résulte en outre des dispositions de l'article 23-5 de cette ordonnance que, lorsque le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. A l'appui de son pourvoi, la commune de Bagneux soutient, par la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève en cassation, que les dispositions de l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales et la liberté de culte. Elle soutient en outre que la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait présentée en appel présente également un caractère sérieux dès lors que les mêmes dispositions méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, le législateur ayant méconnu l'étendue de sa compétence faute notamment d'exposer les motifs sur lesquels peut reposer l'avis préfectoral, et le droit de propriété.

5. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme citées au point 1 se bornent à prévoir la consultation du préfet, pour simple avis, sur les demandes d'autorisation d'urbanisme relevant de la compétence du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale lorsque le projet porte sur une construction ou une installation destinée à l'exercice d'un culte, n'affectent pas la compétence du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale et demeurent sans incidence, quel que soit le sens de l'avis rendu, sur les motifs susceptibles de fonder légalement la décision à prendre. Elles ne sauraient, dès lors, porter aucune atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, à la liberté de culte ou au droit de propriété.

6. En deuxième lieu, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

7. En troisième lieu, dès lors que, pour les raisons exposées au point 5, la disposition législative contestée n'affecte aucun droit ou liberté que la Constitution garantit, la commune ne peut utilement soutenir que le législateur serait resté en-deçà de sa compétence.

8. Par suite, les questions de constitutionnalité soulevées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux. Il n'y a par suite pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

9. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme ont pour objet d'imposer au maire ou au président de l'établissement public de coopération intercommunale, lorsqu'il est saisi d'une demande d'autorisation individuelle d'urbanisme relative à un projet portant sur une construction ou une installation destinée à l'exercice d'un culte, de recueillir l'avis du préfet. En l'absence de disposition contraire, cet avis est émis selon la procédure définie, pour l'instruction des autorisations d'urbanisme, aux articles R. 423-50 et R. 423-59 du code de l'urbanisme qui prévoient respectivement que " L'autorité compétente recueille après des personnes publiques (...) intéressés par le projet, les accords avis ou décisions prévus par les lois et règlements en vigueur " et que " (...) les autorités (...) qui n'ont pas fait parvenir à l'autorité compétente leur réponse motivée dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande d'avis sont réputés avoir émis un avis favorable ". Il suit de là qu'en jugeant que l'article 422-5-1 du code de l'urbanisme était entré en vigueur, le juge des référés de la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.

10. En second lieu, il résulte toutefois de ces mêmes dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 24 août 2021 dont elles sont issues, que la consultation qu'elles prévoient n'est requise que lorsque la demande dont le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale est saisi porte sur un projet ayant pour effet de créer ou d'étendre significativement une construction ou une installation destinée à l'exercice d'un culte.

11. Il suit de là qu'en jugeant que le permis modificatif attaqué entrait dans le champ de la consultation obligatoire prévue à l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme aux seuls motifs que le projet portait sur l'aménagement intérieur de salles de prières et que la surface commerciale créée n'était " pas sans lien " avec l'exercice d'un culte, sans rechercher si le projet avait pour effet de créer des constructions ou installations destinées à l'exercice d'un culte ou de les étendre de manière significative, le juge des référés de la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. La commune de Bagneux est dès lors fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a suspendu le permis de construire modificatif et le refus de procéder à son retrait, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, au titre de la procédure de référé engagée.

13. L'association de Bienfaisance de la mosquée Omar du sud des Hauts-de-Seine, titulaire du permis de construire modificatif en litige, justifie d'un intérêt suffisant au rejet de l'appel du préfet des Hauts-de-Seine. Ainsi, son intervention au soutien des conclusions de la commune de Bagneux est recevable.

14. Il ressort en l'espèce des pièces du dossier que le projet autorisé par le permis modificatif litigieux emporte la réduction des salles de prière pour les femmes et pour les hommes situées au rez-de-chaussée respectivement de 24 et 8 m², la création au rez-de-jardin d'une salle de prière de 134 m² pour les femmes et la réduction corrélative de 171 m² de la taille de la salle de prière réservée aux hommes et la création au rez-de-chaussée d'un espace commercial de 105 m². Ni la réorganisation des espaces de prière, se traduisant par la réduction globale des surfaces qui leur sont réservées, ni la création d'un espace commercial, non destiné à l'exercice du culte, ni les autres modifications résultant de ce permis modificatif ne peuvent être regardées comme créant des constructions ou installations destinés à l'exercice du culte ou comme étendant significativement celles dont la création a été autorisée par le permis de construire initial délivré le 3 août 2018. Dès lors, le projet n'entre pas dans le champ de la consultation obligatoire du préfet prévue à l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme. Il suit de là que le préfet des Hauts-de-Seine n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a jugé que le moyen tiré de l'absence de consultation du préfet n'était pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée et que son appel doit être rejeté.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la commune de Bagneux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Bagneux.

Article 2 : L'ordonnance du 12 avril 2022 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles est annulée, à l'exception de son article 2.

Article 3 : L'intervention de l'association de Bienfaisance de la mosquée Omar du sud des Hauts-de Seine, présentée devant la cour administrative d'appel de Versailles, est admise.

Article 4 : La requête du préfet des Hauts-de-Seine est rejetée.

Article 5 : L'Etat versera à la commune de Bagneux une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Bagneux, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la Première ministre et à l'association de Bienfaisance de la mosquée Omar du sud des Hauts-de-Seine.


Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, conseillers d'Etat, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat ; Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes et M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 25 juillet 2022.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Pierre Boussaroque
La secrétaire :
Signé : Mme Anne Lagorce

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :



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