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Ariane Web: Conseil d'État 449040, lecture du 26 juillet 2022, ECLI:FR:CESEC:2022:449040.20220726

Décision n° 449040
26 juillet 2022
Conseil d'État

N° 449040
ECLI:FR:CESEC:2022:449040.20220726
Publié au recueil Lebon
Section
M. Martin Guesdon, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public


Lecture du mardi 26 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Fonction publique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la décision du 6 avril 2021 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'UNSA Fonction publique ;
- la décision n° 2021-917 QPC du 11 juin 2021 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'UNSA Fonction publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Par le 3° du I de l'article 40 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, le législateur a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi et visant notamment à " simplifier les règles applicables (...) aux prérogatives et obligations professionnelles des agents publics intervenant dans les dossiers d'accidents du travail et de maladies professionnelles ". Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique. Un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été déposé devant l'Assemblée nationale le 6 janvier 2021. Cette ordonnance n'a pas été ratifiée.

2. Par une décision n° 449040 du 6 avril 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 des dispositions de l'article 7 de cette ordonnance dont l'UNSA Fonction publique demande l'annulation pour excès de pouvoir. Ces dispositions ont introduit à l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires un paragraphe VIII, aux termes duquel " Nonobstant toutes dispositions contraires, peuvent être communiqués, sur leur demande, aux services administratifs placés auprès de l'autorité à laquelle appartient le pouvoir de décision et dont les agents sont tenus au secret professionnel, les seuls renseignements médicaux ou pièces médicales dont la production est indispensable pour l'examen des droits définis par le présent article ".

Sur les interventions de l'Association des DRH des grandes collectivités et de l'Association nationale de médecine professionnelle des personnels territoriaux :

3. Ces associations justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 25 novembre 2020. Leurs interventions sont, par suite, recevables.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 62 de la Constitution : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. / Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ".

5. Si le Conseil constitutionnel déclare contraires à la Constitution les dispositions d'une ordonnance non ratifiée, en précisant que cette déclaration prend effet à compter de la publication de sa décision et qu'elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date, le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre cette ordonnance, fait droit aux conclusions tendant à l'annulation rétroactive de ces dispositions, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le requérant.

6. Par une décision n° 2021-917 du 11 juin 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le paragraphe VIII de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique, au motif que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le dispositif de cette décision énonce que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13, lequel relève qu'en l'absence de motif justifiant de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité, celle-ci intervient à compter de la publication de la décision et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. Par suite, l'UNSA Fonction publique est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, à demander l'annulation des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'UNSA Fonction publique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de l'Association des DRH des grandes collectivités et de l'Association nationale de médecine professionnelle des personnels territoriaux sont admises.
Article 2 : L'article 7 de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à l'UNSA Fonction publique la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Fonction publique, à l'Association des DRH des grandes collectivités, à l'Association nationale de médecine professionnelle des personnels territoriaux, à la Première ministre et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 juillet 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Rémy Schwartz, M. Jacques-Henri Stahl, Mme Christine Maugüé, présidents adjoints de la section du contentieux ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, Mme Isabelle de Silva, M. Nicolas Boulouis, Mme Maud Vialettes, M. Bertrand Dacosta, Mme Gaëlle Dumortier, M. Olivier Japiot et M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 26 juillet 2022.





Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Martin Guesdon

La secrétaire :
Signé : Mme Marie Carré



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