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Ariane Web: Conseil d'État 466082, lecture du 19 août 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:466082.20220819

Décision n° 466082
19 août 2022
Conseil d'État

N° 466082
ECLI:FR:CEORD:2022:466082.20220819
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
M. D Botteghi, rapporteur
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH ; SARL LE PRADO - GILBERT, avocats


Lecture du vendredi 19 août 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B... D..., Mme C... D... et Mme A... D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'ordonner, à titre principal, la suspension de l'exécution de la décision du 15 juillet 2022 d'arrêt des soins prodigués à M. E... D... et, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit procédé à une expertise médicale en vue de déterminer la situation médicale de ce dernier et, dans l'attente des résultats de cette expertise, d'ordonner la poursuite des soins. Par une ordonnance n° 2205477 du 22 juillet 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande.

Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 25 et 29 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les mêmes requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 22 juillet 2022 ;

2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 15 juillet 2022 ;

3°) subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale en vue de déterminer la situation médicale de M. D... et, dans l'attente des résultats de cette expertise, d'ordonner la poursuite des soins ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Valenciennes la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à l'exécution imminente d'arrêt des soins et à ses conséquences irréversibles ;
- les dispositions de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, notamment son alinéa 3, ne pouvaient être appliquées car elles sont contraires, d'une part, à différents principes constitutionnels, ainsi que l'établit la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par un mémoire distinct, et, d'autre part, au droit à la vie, au droit au respect de la vie privée et à la liberté de pensée, de conscience et de religion garantis par les articles 2, 8 et 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elles permettent au médecin de passer outre des directives anticipées de maintien en vie par poursuite des traitements et ainsi de mettre un terme à la vie du patient contre sa volonté ;
- il a été porté en l'espèce une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit au respect de la liberté personnelle, au droit du patient à donner son consentement, à la liberté religieuse et au droit au respect de la dignité de la personne humaine ;
- à supposer l'article L. 1111-11 applicable, la décision d'arrêt des soins contestée méconnaît ses exigences dès lors que les directives anticipées de M. D... de poursuite des soins, qui sont dénuées de toute ambiguïté, ne sont pas manifestement inappropriées à sa situation médicale et ne pouvaient donc être écartées ;
- la décision est manifestement illégale, en ce qu'elle n'a pas été prise qu'au regard d'éléments médicaux, lesquels de surcroît ne couvrent pas une période suffisamment longue, de sorte que l'obstination déraisonnable ne pouvait être suffisamment caractérisée, les demandes de réévaluation après un certain délai ou d'examen complémentaire ayant été rejetées par l'équipe médicale de façon presque systématique et la volonté du patient et de sa famille n'ayant pas été prise en compte.

Par un mémoire distinct, enregistré le 29 juillet 2022, Mmes D... demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique. Elles soutiennent que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et que la question de leur conformité au droit au respect de la vie, ou à tout le moins à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine résultant du préambule de la Constitution de 1946, à la liberté de conscience garantie par l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à la liberté personnelle garantie par les articles 1er , 2 et 4 de ce même texte présente un caractère nouveau et sérieux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2022, le centre hospitalier de Valenciennes conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct en défense, enregistré le 8 août 2022, le centre hospitalier de Valenciennes soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et qu'il n'y a par suite pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mmes D... et, d'autre part, le centre hospitalier de Valenciennes ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 16 août 2022, à 10 heures 30 :

- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mmes B... D..., Rachida D... et Saïda D... ;

- Mmes B... D..., Rachida D..., Saïda D... ;

- Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du centre hospitalier de Valenciennes ;

- les représentants du centre hospitalier de Valenciennes ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction.


Considérant ce qui suit :

1. Mmes B... D..., Rachida et Saïda D..., respectivement épouse et soeurs de M. E... D..., relèvent appel de l'ordonnance du 22 juillet 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande de suspension de l'exécution de la décision du 15 juillet 2022 du chef du service de réanimation du centre hospitalier de Valenciennes portant arrêt des soins prodigués à M. D....

Sur l'office du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

3. Toutefois, il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou à ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, qui sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable.

Sur le cadre juridique du litige :

4. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. (...) " L'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ".

5. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (...) ".

6. Par ailleurs, l'article L. 1111-11 de ce code dispose que : " Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux. / À tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables. Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu est fixé par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute Autorité de santé. Ce modèle prévoit la situation de la personne selon qu'elle se sait ou non atteinte d'une affection grave au moment où elle les rédige. " / Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. / La décision de refus d'application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches. (...) ".

7. Enfin, selon l'article R. 4127-37-1 du code de la santé publique : " I. - Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge du patient est tenu de respecter la volonté exprimée par celui-ci dans des directives anticipées, excepté dans les cas prévus aux II et III du présent article. / II.- En cas d'urgence vitale, l'application des directives anticipées ne s'impose pas pendant le temps nécessaire à l'évaluation complète de la situation médicale. / III.- Si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, le refus de les appliquer ne peut être décidé qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1111-11. Pour ce faire, le médecin recueille l'avis des membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et celui d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant, avec lequel il n'existe aucun lien de nature hiérarchique. Il peut recueillir auprès de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / IV. - En cas de refus d'application des directives anticipées, la décision est motivée. Les témoignages et avis recueillis ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. / La personne de confiance, ou, à défaut, la famille ou l'un des proches du patient est informé de la décision de refus d'application des directives anticipées. ". Et aux termes de l'article R. 4127-37-2 du même code : " I. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. (...) / La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en oeuvre la procédure collégiale. / III. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. (...) / IV. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. ".

8. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs.

9. La ventilation mécanique ainsi que l'alimentation et l'hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Cependant, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.

10. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme.

Sur les circonstances du litige :
11. Il résulte de l'instruction que M. E... D..., né le 10 octobre 1978, a été victime le 18 mai 2022 d'un polytraumatisme grave compliqué par un arrêt cardio-respiratoire après son écrasement par un véhicule utilitaire sur lequel il effectuait des réparations, ayant causé une absence d'oxygénation du cerveau durant sept minutes. Il a été admis au centre hospitalier de Valenciennes et pris en charge par le service de réanimation, au sein duquel il a été placé dans un coma afin de stabiliser son état de santé. Un suivi et des examens ont eu lieu du 20 au 30 mai 2022, établissant l'absence de réflexes du tronc cérébral, hormis le réflexe oculo-cardiaque et un réflexe de ventilation spontanée insuffisant pour envisager une cessation de la ventilation mécanique, l'absence d'activité cérébrale et des lésions anoxiques sévères. Après étude du dossier par les équipes neuro/radio et éthique du centre hospitalier et le recueil de l'avis de réanimateurs extérieurs, relevant du centre hospitalier universitaire de Lille, l'état de M.D... a été considéré comme insusceptible d'amélioration. Dans ces conditions, l'équipe médicale a considéré que la poursuite des thérapeutiques invasives constituerait une obstination déraisonnable dans des traitements apparaissant inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Ainsi a été engagée la procédure collégiale prévue à l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique, conduisant à la décision, le 1er juin 2022, de procéder à l'arrêt des soins et des traitements le 9 juin suivant.

12. Cependant, l'exécution de cette décision a été suspendue par une ordonnance du 8 juin 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Lille en raison de l'existence d'une lettre manuscrite datée du 5 juin 2020, adressée par M. D... à son médecin traitant, qui n'avait pas été portée auparavant à la connaissance des équipes du centre hospitalier de Valenciennes et dont il résulte de l'audience publique que sa validité n'est pas critiquée. Ce courrier fait connaître les " directives anticipées dans le contexte médical " de M. D..., notamment son souhait, dans l'hypothèse où il ne serait plus en mesure de s'exprimer, d'être maintenu en vie, même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.

13. En conséquence, la procédure collégiale a été reprise. Après plusieurs réunions, de nouveaux examens, notamment des imageries par résonance magnétique et des électroencéphalogrammes, et des consultations extérieures, le maintien des actes et traitements est apparu à l'équipe médicale inutile et même disproportionné et comme n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie sans aucune perspective raisonnable d'amélioration. Compte tenu de ces perspectives très négatives d'évolution, et au motif que les thérapeutiques disponibles ne pouvaient plus apporter de bénéfices et que la qualité de survie attendue était qualifiée de " catastrophique ", une nouvelle décision d'arrêt des soins, écartant les directives anticipées de M. D... comme manifestement inappropriées ou non conformes à sa situation médicale, a été prise le 15 juillet 2022 par le chef du service de réanimation du centre hospitalier de Valenciennes, et portée à la connaissance des proches du patient. Le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande de suspension de cette décision.

14. Il résulte de l'instruction et des précisions apportées à l'audience publique que l'état actuel de M. D..., trois mois après son admission, est caractérisé par une abolition de la conscience résultant des lésions anoxiques, un tracé plat de l'électro-encéphalogramme montrant l'absence de toute réactivité et établissant un pronostic neurologique qualifié de " péjoratif ", l'impossibilité de respirer durablement sans ventilation mécanique et la difficulté particulière de le nourrir en raison de vomissements récurrents et de diarrhées abondantes et persistantes. Cet état, qui n'a connu aucune amélioration jusqu'à présent malgré les soins prodigués, montre des signes d'aggravation en raison, notamment, de la multiplication des phlyctènes et des escarres ainsi que d'une insuffisance rénale aiguë et nécessite des transfusions régulières.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
15. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23 de cette ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ".

16. Il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce code. Si le juge des référés ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel. Même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère. Il en va en particulier ainsi lorsque, saisi d'une décision d'arrêt ou de refus de mettre en oeuvre un traitement dont l'exécution porterait de manière irréversible une atteinte à la vie, il exerce ses pouvoirs dans les conditions particulières rappelées au point 3 de la présente ordonnance.

17. A l'appui de leur appel, les requérantes soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, citées au point 6. Elles soutiennent qu'en prévoyant que des directives anticipées de poursuite des soins et traitements ne s'imposent pas au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement dans le cas où ces directives " apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ", conduisant alors à mettre fin à la vie du patient contre sa volonté, ces dispositions méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que la liberté de conscience et la liberté personnelle, garanties par le Préambule de la Constitution et les articles 1, 2, 4 et 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elles soutiennent également qu'en tout état de cause la possibilité d'écarter des directives anticipées dans une telle hypothèse de refus d'arrêt des soins et traitements prodigués n'est pas suffisamment encadrée, l'expression " manifestement inappropriées " étant imprécise, aucun délai de réflexion n'étant ménagé et la décision étant prise non de manière collégiale mais par le seul médecin en charge du patient.
18. Les dispositions contestées du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique sont applicables au litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, la décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 du Conseil constitutionnel, si elle les mentionne dans ses motifs, ne les ayant pas déclarées conformes à la Constitution dans son dispositif et ne pouvant dès lors, contrairement à ce qui est soutenu en défense, être considérée comme ayant déjà statué sur la question. Les moyens tirés de la méconnaissance par le troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique des droits et libertés garantis par la Constitution qu'invoquent les requérantes présente un caractère sérieux et soulève, au regard des droits constitutionnels en cause et de la portée d'une décision d'arrêter un traitement médical, une question nouvelle au sens de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Sur la requête en référé :

19. Eu égard à la portée de la question prioritaire de constitutionnalité renvoyée au Conseil constitutionnel et aux conséquences de la décision d'arrêt de soins en litige, il y a lieu d'ordonner à titre conservatoire au centre hospitalier de Valenciennes de ne pas exécuter la décision du 15 juillet 2022 d'arrêt des soins prodigués à M. E... D... avant qu'il ne soit statué sur la présente requête en référé. Par suite, il est sursis à statuer sur la requête en référé dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel, sans qu'il y ait lieu d'examiner immédiatement les autres moyens de la requête.


O R D O N N E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de Mmes D... jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : Il est sursis à l'exécution de la décision du 15 juillet 2022 d'arrêt des soins prodigués à M. E... D... jusqu'à ce qu'il soit statué sur la présente requête en référé.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... D..., première requérante dénommée et au centre hospitalier de Valenciennes.
Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 août 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, conseiller d'Etat, présidant ; M. Thierry Tuot et M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 19 août 2022
Signé : Bertrand Dacosta