Base de jurisprudence


Décision n° 455719
30 septembre 2022
Conseil d'État

N° 455719
ECLI:FR:CECHS:2022:455719.20220930
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Pauline Hot, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du vendredi 30 septembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Coué a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 février 2020 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a fait opposition à sa déclaration concernant des prélèvements d'eau au lieudit " Les Grands Gués ", sur le territoire de la commune de Vallons de l'Erdre. Par une ordonnance avant-dire droit du 6 juillet 2020, le juge des référés a prescrit la réalisation d'une expertise contradictoire. Par une ordonnance n° 2004823 du 4 août 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande de suspension.

Par un pourvoi, enregistré le 19 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande présentée par l'EARL Coué.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. La ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 4 août 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de l'arrêté du 5 février 2020 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a fait opposition à la déclaration de l'EARL Coué concernant des prélèvements d'eau à hauteur de 100 000 m3 par an, par l'exploitation de deux forages au lieudit " Les Grands Gués ", sur le territoire de la commune de Vallons de l'Erdre.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Il résulte de ces dispositions que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

4. Pour prononcer la suspension de l'arrêté du 5 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a estimé, s'agissant de l'urgence, qu'eu égard à l'importance que revêt le prélèvement d'eau déclaré pour l'exploitation agricole de la société requérante, à la date prévisionnelle du jugement de la requête au fond et au fait que les arguments développés par le préfet de la Loire-Atlantique ne suffisaient pas à établir que l'intérêt général qui s'attache à la préservation de la ressource en eau exclurait toute urgence à suspendre la décision attaquée, la condition d'urgence devait être regardée comme remplie. En se déterminant au regard de l'importance du prélèvement d'eau pour l'activité de la société requérante alors qu'il lui appartenait de se fonder sur le caractère grave et immédiat des effets de l'arrêté litigieux pour la société et de procéder à une mise en balance des intérêts en présence, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la ministre de la transition écologique est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

7. Si la société requérante fait valoir que l'arrêté du 5 février 2020 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a fait opposition à sa déclaration concernant des prélèvements d'eau de 100 000 m3 par an affecte son activité, notamment en ce qu'il a pour effet de l'obliger à recourir à des cultures moins consommatrices en eau, elle ne démontre pas l'existence d'une atteinte grave et immédiate à ses intérêts, alors qu'il résulte de l'instruction qu'un intérêt public tenant à la gestion durable de l'eau et aux besoins de la population en eau potable s'attache au maintien de la décision dont la suspension est demandée. Dans ces conditions, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne saurait être regardée comme remplie.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens qu'elle invoque, que la demande présentée par l'EARL Coué devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes doit être rejetée.

Sur les frais engagés devant le juge des référés du tribunal administratif :

9. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ".

10. Il résulte de l'instruction que les frais d'expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 7 223,05 euros, ce montant comprenant l'allocation provisionnelle de 5 000 euros versée à l'expert par l'EARL Coué. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre l'intégralité de ces frais à la charge de l'EARL Coué.

11. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.

Article 2 : La demande de l'EARL Coué est rejetée.
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de l'EARL Coué.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société EARL Coué.
Copie en sera adressée au préfet de Loire-Atlantique.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 septembre 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 30 septembre 2022.

La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse