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Ariane Web: Conseil d'État 438233, lecture du 7 octobre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:438233.20221007

Décision n° 438233
7 octobre 2022
Conseil d'État

N° 438233
ECLI:FR:CECHR:2022:438233.20221007
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Edouard Solier, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public


Lecture du vendredi 7 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 3 février 2020 et le 13 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande du 27 septembre 2019, tendant à ce qu'elle fixe par arrêté le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé ;

2°) d'enjoindre au ministre chargé de la santé de fixer par arrêté le montant de ces droits annuels d'inscription ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 ;
- le décret n° 2014-1511 du 15 décembre 2014 ;
- le décret n° 2019-1558 du 30 décembre 2019 ;
- l'arrêté du 22 août 1988 relatif au montant des droits annuels d'inscription des candidats aux diplômes d'Etat d'ergothérapeute, de laborantin d'analyses médicales, de masseur-kinésithérapeute et de pédicure-podologue inscrits dans les écoles publiques hospitalières ;
- l'arrêté du 2 décembre 2015 relatif au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute ;
- l'arrêté du 19 avril 2019 relatif aux droits d'inscription dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. La Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande du 27 septembre 2019 tendant à ce qu'elle fixe par arrêté le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé, et à ce qu'il soit enjoint au ministre chargé de la santé, de fixer le montant de ces droits d'inscription.

Sur le cadre juridique :

2. Lorsqu'un décret renvoie à un arrêté le soin de prévoir ses conditions d'application, cet arrêté doit intervenir dans un délai raisonnable, hors le cas où le respect d'engagements internationaux ou de la loi y ferait obstacle, à moins que l'application des dispositions du décret ne soit pas manifestement impossible en l'absence de mesures d'application.

3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus de prendre les mesures qu'implique nécessairement l'application d'un décret réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité chargée de les édicter, de prendre ces mesures.

4. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'une autorité administrative d'édicter par arrêté les mesures nécessaires à l'application d'un décret, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d'un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision, notamment afin de déterminer si l'autorité en cause a excédé le délai raisonnable qui lui était imparti pour adopter ces mesures.

Sur les conclusions de la requête :

5. Aux termes de l'article D. 4321-22 du code de la santé publique : " Le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d'État de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé. " Aux termes de l'article D. 636-69-1 du code de l'éducation créé par le décret relatif aux diplômes de santé conférant le grade master, dans sa version issue de l'article 1er du décret du 30 décembre 2019 relatif aux attributions des recteurs de région académique et des recteurs d'académie et portant diverses mesures réglementaires dans le code de l'éducation : " Le grade de master est conféré de plein droit aux titulaires des titres ou diplômes de santé suivants : (...) / 2° Diplôme d'Etat de masseur kinésithérapeute obtenu à compter de juin 2021 ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 22 août 1988 relatif au montant des droits annuels d'inscription des candidats aux diplômes d'Etat d'ergothérapeute, de laborantin d'analyses médicales, de masseur-kinésithérapeute et de pédicure-podologue : " A compter de l'année scolaire 1988-1989, le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats aux diplômes d'Etat d'ergothérapeute, de laborantin d'analyses médicales, de manipulateur d'électroradiologie médicale, de masseur-kinésithérapeute et de pédicure-podologue effectuant leur scolarité dans une école hospitalière publique (...) est égal au montant du droit annuel de scolarité dans les universités ". Cette référence au montant du " droit annuel de scolarité dans les universités " doit être regardée comme visant, à la date de la présente décision, les frais d'inscription à l'université, lesquels, en application de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951 de finances pour l'exercice 1951, est fixé par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur et du ministre du budget.

6. Aux termes du 1er aliéna de l'article 3 de l'arrêté de ces deux ministres du 19 avril 2019 relatif aux droits d'inscription dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministère en charge de l'enseignement supérieur, dans sa version applicable au litige : " Les montants annuels des droits d'inscription sont fixés conformément au tableau 1 annexé au présent arrêté (...) / ", pour les usagers ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne et les usagers qui y sont assimilés. Le tableau 1 qui figure en annexe de cet arrêté, dans cette même rédaction, fixe les montants des droits d'inscription à compter de l'année universitaire 2019-2020 pour les usagers préparant, notamment, le diplôme national de la licence et celui du master, d'autres diplômes reconnus comme équivalent au diplôme national de master, ainsi que d'autres diplômes permettant l'exercice de certaines professions régies par le code de la santé publique.

7. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, la reconnaissance du diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute comme équivalent du diplôme national de master qui résulte de l'article D. 636-69-1 du code de l'éducation mentionné au point 5, ne permet pas de déterminer le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats à ce diplôme d'Etat effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé. En effet, compte tenu de ce que l'article 1er de l'arrêté du 22 août 1988 relatif au montant des droits annuels d'inscription des candidats au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute se borne à renvoyer au montant fixé par l'arrêté mentionné au point précédent, il ne permet pas de déterminer s'il convient de retenir pour chacune des quatre années qui compose cette formation les frais d'inscription fixés par l'arrêté du 19 avril 2019 pour le diplôme national de master ou bien, pour les deux premières années de cette formation, le montant des frais d'inscription annuels applicables aux candidats effectuant les deuxième et troisième années de formation en vue d'obtenir le diplôme national de la licence, puis, pour les deux dernières années de la formation de kinésithérapeute, celui applicable aux étudiants suivant une formation débouchant sur le diplôme national de master. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute figure parmi tous ceux, autres que les diplômes nationaux de la licence et du master, dont la liste est dressée par cet arrêté, en particulier, s'agissant de ceux permettant l'exercice de professions relevant du code de la santé publique.

8. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la ministre des solidarités et de la santé, le renvoi opéré par l'arrêté du 22 août 1988 à l'arrêté fixant les frais d'inscription à l'université, ne permet pas de déterminer le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé. Le montant des droits annuels d'inscription exigés de ces candidats ne résultant pas davantage, à la date de la présente décision, d'autres dispositions réglementaires, l'application des dispositions de l'article D. 4321-22 du code de la santé publique, qui prévoient le principe de tels frais d'inscription, est, dès lors, manifestement impossible. Il s'ensuit que le ministre chargé de la santé a commis une erreur de droit en refusant de faire droit à la demande de la requérante tendant à l'édiction d'un arrêté fixant le montant de ces droits d'inscription, pour l'application de l'article D. 4321-22 du code de la santé publique.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la fédération requérante est fondée à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande du 27 septembre 2019 tendant à ce qu'elle fixe par arrêté le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé.

10. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention de fixer par arrêté le montant des droits d'inscription des étudiants en masso-kinésithérapie dans les instituts relevant d'un établissement public de santé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, en prenant en compte, pour ce qui concerne l'année universitaire en cours, les impératifs de sécurité juridique.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite née du silence gardé par la ministre des solidarités et de la santé sur la demande de la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie tendant à ce qu'elle fixe par arrêté, les droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de la santé et de la prévention de fixer par arrêté les droits d'inscription des étudiants en masso-kinésithérapie dans les instituts relevant d'un établissement public de santé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, en prenant en compte, pour ce qui concerne l'année universitaire en cours, les impératifs de sécurité juridique.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie et au ministre de la santé et de la prévention.
Copie en sera adressée à la Section du rapport et des études.


Voir aussi