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Ariane Web: Conseil d'État 468222, lecture du 26 octobre 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:468222.20221026

Décision n° 468222
26 octobre 2022
Conseil d'État

N° 468222
ECLI:FR:CEORD:2022:468222.20221026
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL, avocats


Lecture du mercredi 26 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 et 20 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national de la publicité extérieure (SNPE) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-1294 du 5 octobre 2022 portant modification de certaines dispositions du code de l'environnement relatives aux règles d'extinction des publicités lumineuses et aux enseignes lumineuses ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Il soutient que :
- il justifie d'un intérêt lui donnant qualité à agir au regard de son objet statutaire ;
- la condition d'urgence est satisfaite en ce que la décision contestée porte une atteinte grave et immédiate à la situation des opérateurs de publicité extérieure dont il défend les intérêts, dès lors que, en premier lieu, les dispositions portant sur les nouvelles règles d'extinction nocturne des publicités lumineuses sont entrées en vigueur le 7 octobre 2022, en deuxième lieu, ces opérateurs sont dans l'incapacité technique de respecter à brève échéance ces nouvelles règles et, en dernier lieu, compte tenu des sanctions pénales prévues par la décision contestée, ces opérateurs s'exposent à des amendes et, ainsi, à de grave difficultés financières, eu égard notamment au nombre important des dispositifs publicitaires concernés par ces nouvelles règles et au délai nécessaire pour se mettre en conformité avec celles-ci ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision contestée est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle méconnaît le principe de sécurité juridique garanti par les articles L. 221-5 et L. 221-6 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'elle n'assortit pas les nouvelles règles d'extinction nocturne des publicités lumineuses d'aucune période transitoire permettant aux opérateurs concernés d'adapter leurs nombreux dispositifs publicitaires en cause alors même qu'elle prévoit des sanctions pénales pour réprimer le non-respect de ces nouvelles règles ;
- la décision contestée est entachée de violation directe de la loi en ce qu'elle est contraire au principe d'égalité devant la loi dans la mesure où elle introduit une différence de traitement entre les aéroports et le marché d'intérêt national de Rungis dès lors que les premiers sont exclus de l'obligation d'extinction des lumières de 1 heure à 6 heures tandis que le second est tenu de la respecter et ce, alors même qu'il n'existe pas de différence de situation justifiant cette différence de traitement.
Par un mémoire en défense, enregistré les 18 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés, qui ne sont pas fondés, ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du décret contesté.

La requête a été communiquée à la Première ministre qui n'a pas produit d'observations.



Après avoir convoqué à une audience publique, en premier lieu, le Syndicat national de la publicité extérieure, en deuxième lieu, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et, en dernier lieu, la Première ministre ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 20 octobre 2022, à 15 heures :

- Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Syndicat national de la publicité extérieure ;

- la représentante du Syndicat national de la publicité extérieure ;

- les représentants du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a repoussé la clôture de l'instruction au 24 octobre à 17 heures.


Vu les mémoires après audience, enregistrés les 21 et 24 octobre 2022, présentés par le Syndicat national de la publicité extérieure ;

Vu le mémoire après audience, enregistré le 21 octobre 2022, présenté par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La possibilité pour le juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution d'une décision administrative est subordonnée notamment à la condition qu'il y ait urgence. Il lui appartient d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à porter à un intérêt public, à sa situation ou aux intérêts qu'il entend défendre une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit, enfin, être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés statue.

3. En vertu des nouvelles dispositions de l'article R. 581-35 du code de l'environnement introduites par l'article 1er du décret contesté du 5 octobre 2022 portant modification de certaines dispositions du code de l'environnement relatives aux règles d'extinction des publicités lumineuses et aux enseignes lumineuses, les publicités lumineuses sont éteintes entre 1 heure et 6 heures, sous réserve d'exceptions concernant les publicités installées sur l'emprise des aéroports et de celles supportées par le mobilier urbain affecté aux services de transport. L'article 4 du même décret diffère au 1er juin 2023 l'obligation d'extinction pour les publicités lumineuses supportées par le mobilier urbain soumis à la nouvelle réglementation. En vertu de l'article R. 581-87-1 du code de l'environnement, inséré par l'article 3 de ce décret, est puni désormais de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait d'apposer, de faire apposer ou de maintenir après mise en demeure, une publicité ou une enseigne lumineuse sans observer notamment les prescriptions de l'article R. 581-35.

4. Eu égard aux termes de sa requête en référé, et ainsi que cela a été confirmé à l'audience, le Syndicat national de la publicité extérieure (SNPE) doit être regardé comme demandant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution des articles 1er et 4 du décret contesté dans la seule mesure où l'exécution des nouvelles dispositions de l'article R. 581-35 du code de l'environnement qui est, pour la généralité des publicités lumineuses - ainsi que des préenseignes qui suivent le même régime -, d'application immédiate, ne ménage pas de régime transitoire pour permettre aux professionnels d'installer, de modifier ou de régler les nombreux dispositifs d'éclairage des publicités lumineuses.

5. Il ressort des termes du décret contesté qu'il vise à harmoniser au niveau national les règles d'extinction nocturne des publicités lumineuses quelle que soit la taille de l'unité urbaine dans laquelle se situent ces dispositifs sans renvoyer, sur ce point, comme c'était le cas, sous l'empire des dispositions abrogées de l'article R. 581-35, aux différents règlements locaux de publicité adoptés pour les communes appartenant à des unités urbaines de plus de 800 000 habitants. S'il n'est pas contesté que des règlements locaux de publicité, notamment dans les grandes agglomérations, avaient déjà prévu une règle d'extinction nocturne des publicités et des enseignes lumineuses identique ou comparable à celle résultant de la disposition contestée, il ne ressort pas des pièces du dossier, en l'état de l'instruction, que ces mesures étaient applicables dans l'ensemble des communes comprises dans des unités urbaines de plus de 800 000 habitants, ni que, pour celles dans lesquelles cette mesure avait été instituée, le délai de mise en conformité était, dans tous les cas, expiré à la date d'entrée en vigueur du décret contesté.

6. Le SNPE qui ne conteste pas la nécessité de la mesure d'extinction nocturne, et ne reproche pas davantage à ce dispositif d'imposer, pour les entreprises dont elle défend les intérêts, une charge financière qui résulte de l'adaptation des dispositifs de réglage des publicités lumineuses, fait valoir, au titre de la condition d'urgence, que l'entrée en vigueur immédiate des dispositions issues du décret contesté a néanmoins des conséquences financières disproportionnées de nature à fragiliser la situation économique des opérateurs de la publicité extérieure. En effet, selon ce syndicat, ces derniers sont exposés immédiatement et massivement à des poursuites pénales sanctionnées par des amendes lourdes prévues pour les contraventions de la cinquième classe sans disposer du temps nécessaire pour mettre en conformité un ensemble important de dispositifs publicitaires ou de préenseignes jusque-là dispensés de cette obligation et répartis sur un grand nombre de communes et d'emplacements. Il soutient, en outre, que l'urgence à ne pas suspendre le décret contesté, tirée des impératifs de sobriété énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique, n'est pas caractérisée dans la mesure où de nombreux dispositifs publicitaires sont éclairés par de l'énergie photovoltaïque propre au dispositif publicitaire ou par des composants LED qui fonctionnent avec une faible tension électrique.

7. D'une part, en l'état de l'instruction, il reste difficile de se faire une idée précise du nombre de dispositifs concernés par une mise en conformité et de leurs lieux d'implantation, des délais nécessaires, selon les secteurs, pour cette mise en conformité ainsi que de l'état de la réglementation locale antérieurement au décret contesté. Il n'apparaît cependant pas qu'une intervention à bref délai destinée au réglage d'une partie significative des horloges programmées pour permettre l'éclairage nocturne des dispositifs publicitaires qui sont répartis entre de nombreuses entreprises, s'avérerait matériellement impossible. D'autre part, le SNPE ne justifie par aucune des pièces produites du risque réel et actuel de poursuites pénales massives et systématiques dont elle se borne à alléguer qu'elles menaceraient la pérennité économique des entreprises dont elle défend les intérêts, sans d'ailleurs tenir compte du caractère non forfaitaire de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe. Enfin, il ressort des dispositions de l'article R. 581-87-1 du code de l'environnement que, pour les dispositifs maintenus de manière non conforme aux prescriptions de l'article R. 581-35, les poursuites pénales doivent être précédées de mises en demeure de mise en conformité sous cinq jours, prononcées par l'autorité administrative compétente, dont il n'est même pas allégué qu'elles seraient déjà intervenues. Dans ces conditions, le SNPE ne justifie pas, de manière concrète, d'une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu'elle entend défendre pour caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution du décret contesté soit suspendue.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, que la requête du SNPE doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête du SNPE est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au Syndicat national de la publicité extérieure et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la Première ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de la transition énergétique.
Fait à Paris, le 26 octobre 2022
Signé : Olivier Yeznikian