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Ariane Web: Conseil d'État 449891, lecture du 14 novembre 2022, ECLI:FR:CECHS:2022:449891.20221114

Décision n° 449891
14 novembre 2022
Conseil d'État

N° 449891
ECLI:FR:CECHS:2022:449891.20221114
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du lundi 14 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1) Sous le n° 449891, par une ordonnance n° 2000491 du 12 février 2021, le président du tribunal administratif de la Martinique a transmis au Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de l'association Centre caribéen de développement durable et solidaire.

Par une requête et cinq mémoires, enregistrés les 27 septembre, 18 et 21 octobre, 5 et 8 novembre 2020 au greffe du tribunal administratif de la Martinique, et trois mémoires en réplique, enregistrés les 23 février et 20 mai 2021 et 13 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Centre caribéen de développement durable et solidaire demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 7 juillet 2020 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relatif à la régulation de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de la Martinique - interdiction de toutes activités portant sur des spécimens vivants, en tant qu'il classe l'espèce Eleutherodactylus johnstonei comme exotique et envahissante en Martinique et en tant qu'il n'y fait pas figurer deux espèces d'amphibiens, Scinax ruber et Scinax x-signatus.

2) Sous le n° 450053, par une ordonnance n° 2000028 du 12 février 2020, le président du tribunal administratif de la Martinique a transmis au Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de l'association Centre caribéen de développement durable et solidaire.

Par une requête et douze mémoires enregistrés les 17, 23 et 24 janvier, 3 et 8 février, 8 et 9 avril, 18 et 21 octobre, 5 et 8 novembre 2020 au greffe du tribunal administratif de la Martinique et quatre mémoires enregistrés les 20 et 24 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Centre caribéen de développement durable et solidaire demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les décisions de la ministre de la transition écologique refusant de faire droit à sa demande tendant à modifier l'arrêté du 14 octobre 2019 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés dans le département de la Martinique protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection, pour y faire figurer les espèces Eleutherodactylus johnstonei et Sphaerodactylus vincenti psammius.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le règlement (UE) n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l'introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'association Centre caribéen de développement durable et solidaire demande au Conseil d'Etat d'annuler, pour excès de pouvoir, d'une part, les décisions du 19 novembre 2019 et 24 janvier 2020 par lesquelles la ministre de la transition écologique a refusé de modifier l'annexe de l'arrêté du 14 octobre 2019 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés dans le département de la Martinique et protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection, pour y ajouter les espèces Eleutherodactylus johnstonei et Sphaerodactylus vincenti psammius, d'autre part, l'arrêté du 7 juillet 2020 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relatif à la régulation de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques sur le territoire de la Martinique, en tant, d'une part, qu'il classe l'espèce Eleutherodactylus johnstonei comme exotique et envahissante en Martinique, et la mentionne dans l'annexe correspondante, et, d'autre part, qu'il n'y fait pas figurer deux espèces d'amphibiens, Scinax ruber et Scinax x-signatus.

2. D'une part, l'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de : " 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ". Le I. de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment, la liste limitative des espèces animales non domestiques ainsi protégées, de la durée et des modalités de mise en oeuvre des interdictions prévues, ainsi que de la partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent. En vertu des articles R. 411-1 et R. 411-3 du même code, un arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes, fixe les listes des espèces animales non domestiques ainsi protégées, ainsi que la nature des interdictions applicables, leur durée et les parties du territoire et les périodes de l'année où elles s'appliquent. L'arrêté litigieux du 14 octobre 2019 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés dans le département de la Martinique et protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection a été pris en application de ces dispositions.

3. D'autre part, aux termes du 2. de l'article 6 du règlement (UE) n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l'introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes : " 2. Au plus tard le 2 janvier 2017, chaque État membre comptant des régions ultrapériphériques adopte une liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour chacune de ces régions, en concertation avec lesdites régions ". Aux termes de l'article L. 411-5 du code de l'environnement : " " I.-Est interdite l'introduction dans le milieu naturel, qu'elle soit volontaire, par négligence ou par imprudence, susceptible de porter préjudice aux milieux naturels, aux usages qui leur sont associés ou à la faune et à la flore sauvages : / 1° De tout spécimen d'espèces animales à la fois non indigènes au territoire d'introduction et non domestiques, dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture (...) ". L'arrêté du 7 juillet 2020 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relatif à la régulation de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques sur le territoire de la Martinique, dont l'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir, a été pris en application de ces dispositions.

Sur les conclusions dirigées contre les arrêtés attaqués, en tant qu'ils concernent l'espèce d'amphibiens Eleutherodactylus johnstonei :

4. L'article 2 de l'arrêté du 7 juillet 2020 interdit, sur tout le territoire de la Martinique et en tout temps, l'introduction sur le territoire, l'introduction dans le milieu naturel, la détention, le transport, le colportage, l'utilisation, l'échange, la mise en vente, la vente ou l'achat des spécimens vivants des espèces animales énumérés dans son annexe. Parmi les amphibiens mentionnés dans cette annexe figure l'espèce Eleutherodactylus johnstonei, aussi dénommée Hylode de Johnstone.

5. L'association requérante soutient que cette espèce ne devrait pas figurer dans l'annexe à l'arrêté du 7 juillet 2020, à laquelle renvoie notamment le I de l'article 2 de ce dernier, mais, au contraire, être incluse dans l'annexe de l'arrêté du 14 octobre 2019, compte tenu des incertitudes existant, en l'état des connaissances scientifiques, sur son origine précise dans la Caraïbe orientale. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cette espèce, qui ne fait pas partie des espèces menacées d'extinction en France, n'est pas indigène au territoire de la Martinique et qu'elle y fait preuve d'une importante capacité de colonisation. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les ministres chargés de la transition écologique et de l'agriculture auraient commis une erreur manifeste d'appréciation en la faisant figurer sur la liste, annexée à l'arrêté du 7 juillet 2020, des espèces dont l'introduction est interdite sur le territoire de la Martinique et en ne la faisant pas figurer sur la liste, annexée à l'arrêté du 14 octobre 2019, des espèces devant y bénéficier d'une protection.

Sur les conclusions portant sur d'autres espèces :

6. En premier lieu, si l'association requérante soutient que l'annexe de l'arrêté du 7 juillet 2020 est incomplète faute de comporter la mention des espèces d'amphibiens exotiques et envahissantes Scinax ruber et Scinax x-signatus, elle n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

7. En second lieu, si, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'arrêté du 14 octobre 2019 fixe la liste des espèces animales non domestiques devant être protégées sur le territoire de la Martinique, il n'a pas pour objet d'identifier des espèces nouvelles. Par suite, l'association requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que cet arrêté serait illégal faute d'avoir " élevé au rang de nouvelle espèce " les reptiles Sphaerodactylus vincenti psammius,

8. Il résulte de ce qui précède que les requêtes de l'association Centre caribéen de développement durable et solidaire doivent être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Centre caribéen de développement durable et solidaire sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Centre caribéen de développement durable et solidaire et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 septembre 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 14 novembre 2022.

La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau

La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse