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Ariane Web: Conseil d'État 466082, lecture du 29 novembre 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:466082.20221129

Décision n° 466082
29 novembre 2022
Conseil d'État

N° 466082
ECLI:FR:CEORD:2022:466082.20221129
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
M. D Botteghi, rapporteur
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mardi 29 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Mme B... D..., Mme C... D... et Mme A... D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'ordonner, à titre principal, la suspension de l'exécution de la décision du 15 juillet 2022 d'arrêt des soins prodigués à M. E... D... et, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit procédé à une expertise médicale en vue de déterminer la situation médicale de ce dernier et, dans l'attente des résultats de cette expertise, d'ordonner la poursuite des soins. Par une ordonnance n° 2205477 du 22 juillet 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande

Par une décision du 19 août 2022, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a sursis à statuer sur la requête, et sursis à l'exécution de la décision du 15 juillet 2022 d'arrêt des soins prodigués à M. D..., jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel statue sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique.

Par une décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution.


Par un nouveau mémoire en défense, enregistré au secrétariat du contentieux le 18 novembre 2022, le centre hospitalier de Valenciennes conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par l'ordonnance du 19 août 2022 ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance du 19 août 2022 par laquelle a été renvoyée au Conseil constitutionnel la question prioritaire soulevée par Mme D... et autres ;
- la décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme D... et autres ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mmes D... et, d'autre part, le centre hospitalier de Valenciennes, la Première ministre et le ministre de la santé et de la prévention ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 22 novembre 2022, à 11 heures :

- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... D..., Mme C... D... et de Mme A... D... ;

- Mesdames D... ;

- Me Waquet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate du centre hospitalier de Valenciennes ;

- le représentant du centre hospitalier de Valenciennes ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.


Considérant ce qui suit :

1. Mmes B... D..., J... et K... D..., respectivement épouse et soeurs de M. E... D..., relèvent appel de l'ordonnance du 22 juillet 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande de suspension de l'exécution de la décision du 15 juillet 2022 du chef du service de réanimation du centre hospitalier de Valenciennes portant arrêt des soins prodigués à M. D.... Par une ordonnance du 19 août 2022, il a été sursis à statuer sur cette requête et sursis à l'exécution de la décision du 15 juillet 2022, dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel auquel a été renvoyée la question de la conformité à la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique permettant d'écarter les directives anticipées d'un patient " lorsque (elles) apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ".
Sur l'office du juge des référés :

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

3. Toutefois, il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou à ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, qui sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable.

Sur le cadre juridique du litige :

4. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. (...) " L'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ".

5. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (...) ".

6. Par ailleurs, l'article L. 1111-11 de ce code dispose que : " Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux. / À tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables. Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu est fixé par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute Autorité de santé. Ce modèle prévoit la situation de la personne selon qu'elle se sait ou non atteinte d'une affection grave au moment où elle les rédige. " / Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. / La décision de refus d'application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches. (...) ".

7. Enfin, selon l'article R. 4127-37-1 du code de la santé publique : " I. - Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge du patient est tenu de respecter la volonté exprimée par celui-ci dans des directives anticipées, excepté dans les cas prévus aux II et III du présent article. / II.- En cas d'urgence vitale, l'application des directives anticipées ne s'impose pas pendant le temps nécessaire à l'évaluation complète de la situation médicale. / III.- Si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, le refus de les appliquer ne peut être décidé qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1111-11. Pour ce faire, le médecin recueille l'avis des membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et celui d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant, avec lequel il n'existe aucun lien de nature hiérarchique. Il peut recueillir auprès de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / IV. - En cas de refus d'application des directives anticipées, la décision est motivée. Les témoignages et avis recueillis ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. / La personne de confiance, ou, à défaut, la famille ou l'un des proches du patient est informé de la décision de refus d'application des directives anticipées. ". Et aux termes de l'article R. 4127-37-2 du même code : " I. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. (...) / La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en oeuvre la procédure collégiale. / III. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. (...) / IV. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. ".

8. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement.

9. La ventilation mécanique ainsi que l'alimentation et l'hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Cependant, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.

10. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité.

11. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme. Les directives anticipées que le patient a le cas échant prises s'imposent en principe au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement. Tel n'est cependant pas le cas face à une urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation. Un refus d'appliquer les directives anticipées peut également être opposé à l'issue d'une procédure collégiale, par une décision inscrite au dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches, dans le cas où ces directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022, le législateur, en prévoyant cette dernière hypothèse, a estimé que les directives anticipées, notamment de poursuite des soins, ne pouvaient s'imposer en toutes circonstances, dès lors qu'elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d'exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ce faisant, le législateur a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie.

12. A défaut de directives anticipées, le médecin doit prendre sa décision après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs.



Sur les circonstances du litige :
13. Il résulte de l'instruction que M. E... D..., né le 10 octobre 1978, a été victime le 18 mai 2022 d'un polytraumatisme grave compliqué par un arrêt cardio-respiratoire après son écrasement par un véhicule utilitaire sur lequel il effectuait des réparations, ayant causé une absence d'oxygénation du cerveau durant sept minutes. Il a été admis au centre hospitalier de Valenciennes et pris en charge par le service de réanimation, au sein duquel il a été placé dans un coma afin de stabiliser son état de santé. Un suivi et des examens ont eu lieu du 20 au 30 mai 2022, établissant l'absence de réflexes du tronc cérébral, l'absence d'activité cérébrale et des lésions anoxiques sévères. Après étude du dossier par les équipes neuro/radio et éthique du centre hospitalier et le recueil de l'avis de réanimateurs extérieurs, relevant du centre hospitalier universitaire de Lille, l'état de M. D... a été considéré comme insusceptible d'amélioration. Dans ces conditions, l'équipe médicale a considéré que la poursuite des thérapeutiques invasives constituerait une obstination déraisonnable dans des traitements apparaissant inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Ainsi a été engagée la procédure collégiale prévue à l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique, conduisant à la décision, le 1er juin 2022, de procéder à l'arrêt des soins et des traitements le 9 juin suivant.

14. Cependant, l'exécution de cette décision a été suspendue par une ordonnance du 8 juin 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Lille en raison de l'existence d'une lettre manuscrite datée du 5 juin 2020, adressée par M. D... à son médecin traitant, qui n'avait pas été portée auparavant à la connaissance des équipes du centre hospitalier de Valenciennes. Ce courrier fait connaître les " directives anticipées dans le contexte médical " de M. D..., notamment son souhait, dans l'hypothèse où il ne serait plus en mesure de s'exprimer, d'être maintenu en vie, même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.

15. En conséquence, la procédure collégiale a été reprise. Après plusieurs réunions, de nouveaux examens, notamment des imageries par résonance magnétique et des électroencéphalogrammes, ainsi que des consultations extérieures, établissant que les thérapeutiques disponibles ne pouvaient plus apporter de bénéfices et que la qualité de survie attendue était " catastrophique ", une nouvelle décision d'arrêt des soins a été prise le 15 juillet 2022 par le chef du service de réanimation du centre hospitalier de Valenciennes et portée à la connaissance des proches du patient. Cette décision, dont il n'est pas contesté qu'elle a respecté les règles de procédure rappelées aux points 4 à 7, indique que le maintien des actes et traitements apparaît inutile et même disproportionné et comme n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie sans aucune perspective raisonnable d'amélioration. La décision mentionne que les directives anticipées de M. D... ont été prises en compte mais ont été unanimement écartées comme manifestement inappropriées et non conformes à la situation du patient.

Sur la requête en référé :

16. En premier lieu, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme D... et autres, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dont la portée est précisée au point 11, ne sont pas contraires à la Constitution. Elles ne sont pas davantage, compte tenu de la marge d'appréciation reconnue aux Etats parties à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour prévoir la possibilité de permettre ou non l'arrêt d'un traitement maintenant artificiellement la vie et, si tel est le cas, de déterminer les modalités de sa mise en oeuvre, contraires au droit à la vie, au droit au respect de la vie privée et aux libertés de pensée, de conscience et de religion garantis par les articles 2, 8 et 9 de cette convention. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, la décision attaquée a pu légalement en faire application.

17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'il s'est écoulé entre l'admission du patient au service de réanimation du centre hospitalier de Valenciennes le 18 mai 2022 et la décision du 15 juillet 2022 un délai de deux mois, pendant lequel n'a été constatée aucune amélioration de l'état de santé de M. D..., plongé dans un coma profond. Durant cette période, plusieurs examens ont été réalisés, notamment des imageries par résonance magnétique et des électroencéphalogrammes, ayant mis en évidence des lésions anoxiques et un tracé plat montrant l'absence de toute réactivité, le pronostic neurologique étant considéré comme " péjoratif ". Des réunions pluridisciplinaires et collégiales se sont tenues les 9 juin, 30 juin, 7 juillet et 11 juillet 2022, une neurologue extérieure au service de réanimation ayant été consultée, conformément aux exigences du code de la santé publique. Dans ces conditions, il n'est pas établi, contrairement à ce qui est soutenu, que la décision litigieuse a été prise de manière hâtive, sans que des réévaluations et examens complémentaires n'aient pu être réalisés ni que toutes les thérapeutiques n'aient pu être envisagées. Au surplus, depuis cette période, les soins prodigués ont été adaptés à l'état du patient, et un nouvel IRM qu'ils avaient nécessités, réalisé quelques jours avant l'audience, a à nouveau montré le caractère irrémédiable et stable des lésions constatées
18. En troisième il résulte de l'instruction, notamment du mémoire produit le 18 novembre 2022 par le centre hospitalier de Valenciennes informant des dernières évolutions du patient ainsi que des éléments recueillis lors de l'audience publique, que l'état de M. D... est caractérisé par une abolition de la conscience résultant des lésions anoxiques causées par son accident, sans réaction ni spontanée ni à la demande, et sans possibilité de relation avec l'extérieur. Il n'existe plus aucun réflexe du tronc cérébral, à l'exception du réflexe oculo-cardiaque, et aucune possibilité de respiration sans ventilation mécanique, la respiration spontanée étant inefficace. Par ailleurs, son état général, qui n'a connu aucune amélioration jusqu'à présent malgré les soins prodigués pendant six mois, se dégrade, l'escarre déjà existante s'aggravant par une escarre occipitale et omoplate, la perte musculaire étant majeure et la disparition de tout réflexe de clignement des yeux imposant une occlusion mécanique des paupières en continu. Cette situation ne peut que confirmer que toute poursuite des soins et traitements apparaît dès lors inutile et de nature à constituer, en l'espèce, une obstination déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique.

19. En dernier lieu, il résulte de l'instruction qu'il n'existe aucune perspective d'évolution de l'état du patient, dans un état irréversible d'abolition de toute conscience, et qu'il ne peut pas être maintenu en vie sans le soutien d'une ventilation artificielle. A cet égard, il résulte des explications données à l'audience, que loin de permettre un transport du patient dans un autre établissement qui assurerait son maintien en vie hors des capacités de réanimation de l'hôpital, la possibilité évoquée par le corps médical au cours des dernières semaines de réaliser une trachéotomie visait seulement à permettre d'éviter des complications et à apporter au patient un certain confort, et non de le sevrer de l'assistance de cette ventilation artificielle. Par conséquent, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, il ne peut être ni accueilli dans un autre cadre qu'un service de réanimation ni traité sans des soins lourds et invasifs. Dans ces circonstances, caractérisées par l'absence de toute perspective thérapeutique et des conditions de vie irrémédiablement et particulièrement dégradées, l'appréciation de l'équipe médicale selon laquelle les directives anticipées de poursuite des soins formulées par M. D... devaient être regardées comme manifestement inappropriées à la réalité de sa situation médicale actuelle, et la décision en conséquence de cesser les soins qui lui sont dispensés, ne peuvent être regardées comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
20. Par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise médicale sollicitée, Mme D... et autres ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande tendant à la suspension de la décision du 15 juillet 2022 d'arrêter les traitements prodigués à M. D.... Leur requête d'appel doit donc être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
Article 1er : La requête de Mme D... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... D..., première requérante dénommée, et au centre hospitalier de Valenciennes.
Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 novembre 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, conseiller d'Etat, présidant ; M. Thierry Tuot et M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 29 novembre 2022
Signé : Bertrand Dacosta