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Ariane Web: Conseil d'État 460887, lecture du 22 décembre 2022, ECLI:FR:CECHS:2022:460887.20221222

Décision n° 460887
22 décembre 2022
Conseil d'État

N° 460887
ECLI:FR:CECHS:2022:460887.20221222
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Joachim Bendavid, rapporteur
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SARL LE PRADO - GILBERT, avocats


Lecture du jeudi 22 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 7 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (APHM) l'a suspendue de ses fonctions à compter du 16 septembre 2021 et de suspendre l'exécution du titre de perception émis à son encontre. Par une ordonnance n° 2109822 du 6 décembre 2021 prise par applica tion de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 janvier et 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HM la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Piwnica, Molinié, son avocat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2016-151 du 11 février 2016 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A... et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de l'Assistance publique -Hôpitaux de Marseille.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que, par une décision du 7 octobre 2021 entrant en vigueur le 16 septembre 2021, le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) a suspendu Mme A..., agente contractuelle en fonction au sein de cet établissement de santé, jusqu'à ce qu'elle satisfasse à l'obligation de vaccination contre la covid-19 prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 6 décembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande, par application des dispositions, citées ci-dessus, de l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

3. D'une part, aux termes de l'article 3 du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en oeuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature : " La quotité des fonctions pouvant être exercées sous la forme du télétravail ne peut être supérieure à trois jours par semaine. Le temps de présence sur le lieu d'affectation ne peut être inférieur à deux jours par semaine. / (...) " et, aux termes de l'article 4 du même décret : " Il peut être dérogé aux conditions fixées à l'article 3 : / 1° Pour une durée de six mois maximum, à la demande des agents dont l'état de santé ou le handicap le justifient et après avis du service de médecine préventive ou du médecin du travail ; cette dérogation est renouvelable, après avis du service de médecine préventive ou du médecin du travail (...) ".

4. D'autre part, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...) ". Et aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".

5. En adoptant, pour l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des personnes qui y étaient hospitalisées. Il en résulte que l'obligation vaccinale prévue par les dispositions législatives citées au point précédent s'impose à toute personne travaillant régulièrement au sein de locaux relevant d'un établissement de santé mentionné à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, quel que soit l'emplacement des locaux en question et que cette personne ait ou non des activités de soins et soit ou non en contact avec des personnes hospitalisées ou des professionnels de santé.

6. Il résulte de ce qui est dit au point 5 que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui exerce une partie seulement de ses fonctions en télétravail et qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19, une telle mesure ne peut être prise à l'égard d'un agent qui, en raison de son état de santé, exerce ses fonctions exclusivement en télétravail en vertu des dispositions du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en oeuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature citées au point 3. Par suite, le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de ce que Mme A... n'était pas soumise à l'obligation vaccinale contre la covid-19 n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée alors même que, comme il l'avait relevé, l'intéressée exerçait l'intégralité de ses missions en télétravail.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée, par le moyen qu'elle soulève et qui n'est pas nouveau en cassation, à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque en tant qu'elle statue sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 7 octobre 2021.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé dans la mesure de la cassation prononcée.

9. D'une part, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 6 que le moyen tiré de ce que la décision de suspendre Mme A... alors qu'elle exerce l'intégralité de ses missions en télétravail est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

10. D'autre part, il résulte de l'instruction que la décision litigieuse a pour effet de priver Mme A... de toute rémunération, préjudiciant ainsi de manière grave et immédiate à sa situation financière. Par suite, la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 7 octobre 2021 suspendant Mme A... de ses fonctions.

12. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'AP-HM une somme de 1 000 euros à verser à cette société au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 6 décembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée en tant qu'elle statue sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de la décision du directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille du 7 octobre 2021.

Article 2 : L'exécution de la décision du 7 octobre 2021 du directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille est suspendue.

Article 3 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille versera à la SCP Piwnica, Molinié la somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille.
Copie en sera adressée pour information au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré à l'issue de la séance du 1er décembre 2022 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, assesseur, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et M. Joachim Bendavid, auditeur-rapporteur.

Rendu le 22 décembre 2022.

Le président :
Signé : M. Olivier Yeznikian
Le rapporteur :
Signé : M. Joachim Bendavid
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet