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Ariane Web: Conseil d'État 468425, lecture du 6 février 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:468425.20230206

Décision n° 468425
6 février 2023
Conseil d'État

N° 468425
ECLI:FR:CECHR:2023:468425.20230206
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats


Lecture du lundi 6 février 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de suspendre l'exécution, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de la décision du 6 septembre 2022 par laquelle le directoire de l'Eglise protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL) l'a destitué de ses fonctions de pasteur de Phalsbourg, et d'enjoindre sa réintégration ainsi que le versement de sa rémunération. Par une ordonnance n° 2206462 du 10 octobre 2022, prise par application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 octobre et 9 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat, de l'Union des églises protestantes d'Alsace et de Lorraine et de l'EPCAAL la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les articles organiques applicables aux cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes ;
- la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l'Alsace et la Lorraine ;
- la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ;
- l'ordonnance du 15 septembre 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
- le décret du 26 mars 1852 portant réorganisation des cultes protestants ;
- l'arrêté du 10 novembre 1852 portant règlement d'exécution du décret du 26 mars 1852 en ce qui concerne les matières spéciales à l'administration de la Confession d'Augsbourg ;
- le règlement général de l'Eglise protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine sur l'ordination des pasteurs ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. B... C... et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Eglise protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine et de l'Union des églises protestantes d'Alsace et de Lorraine ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg que, par une décision du 6 septembre 2022, le directoire de l'Eglise protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL) a prononcé à l'encontre de M. C... la peine de destitution de son ministère pastoral. Par une ordonnance du 10 octobre 2022, prise par application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés a rejeté comme portée devant une juridiction manifestement incompétente pour en connaître la demande de M. C... tendant à la suspension de l'exécution de cette décision sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. M. C... se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 522-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...) ". Selon l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable, ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée, sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ". L'article L. 523-1 prévoit que : " Les décisions rendues en application des articles L. 521-1, L. 521-3, L.521-4 et L. 522-3 sont rendues en dernier ressort. Les décisions rendues en application de l'article L. 521-2 sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat dans les quinze jours de leur notification (...) ".

3. Lorsque le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative a estimé, au vu de la requête dont il est saisi, qu'il y avait lieu, non de la rejeter en l'état pour l'un des motifs mentionnés à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, mais d'engager la procédure prévue à l'article L. 522-1 de ce code, il lui incombe de poursuivre cette procédure et, notamment, de tenir une audience publique. Il en va différemment lorsque, après que cette procédure a été engagée, intervient un désistement ou un évènement rendant sans objet la requête, auquel cas le juge peut, dans le cadre de son office, donner acte du désistement ou constater un non-lieu sans tenir d'audience.

4. Après avoir, dans les conditions prévues à l'article L. 522-1 du code de justice administrative, communiqué la demande de suspension de M. C... à l'EPCAAL et fixé la date d'une audience publique, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette audience et rejeté la demande dont il était saisi, comme ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, en faisant application de l'article L. 522-3 du même code. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'ordonnance attaquée a été prise à la suite d'une procédure irrégulière et doit être annulée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, sur le fondement de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En vertu de l'article 1er des articles organiques pour les cultes protestants de la loi du 18 germinal an X, nul ne peut exercer les fonctions du culte sans l'autorisation de l'Etat. Il résulte de l'article 7 que l'Etat pourvoit au traitement des pasteurs des églises consistoriales. Selon l'article 33 : " Les Eglises de la Confession d'Augsbourg auront des pasteurs, des consistoires locaux, des inspections et des consistoires généraux ". En vertu de l'article 25 des mêmes articles organiques, applicable aux églises de la Confession d'Augsbourg en vertu de l'article 34, les pasteurs ne peuvent être destitués qu'à la charge de présenter les motifs de la destitution au ministre de l'intérieur, qui dispose d'un délai de deux mois pour s'y opposer. L'article 44 prévoit que : " Les attributions du consistoire général et du directoire continueront d'être régies par les règlements et coutumes des églises de la Confession d'Augsbourg, dans toutes les choses auxquelles il n'a point été formellement dérogé par les lois de la République et par les présents articles ". Le décret du 26 mars 1852 portant réorganisation des cultes protestants et l'arrêté du 10 novembre 1852 portant règlement d'exécution de ce décret en ce qui concerne les matières spéciales à l'administration de la Confession d'Augsbourg précisent les règles relatives à l'organisation des cultes protestants en Alsace et en Moselle. Ils disposent en particulier que les églises et consistoires de la Confession d'Augsbourg sont placés sous l'autorité du consistoire supérieur et du directoire. Le conseil restreint de l'Union des Eglises protestantes d'Alsace et de Lorraine (UEPAL) nomme les pasteurs de l'EPCAAL sur proposition du conseil presbytéral, sous réserve de l'approbation du préfet territorialement compétent. Le directoire de l'EPCAAL est quant à lui chargé de la discipline ecclésiastique selon la procédure et les modalités prévues par l'arrêté du 10 novembre 1852 modifié portant règlement d'exécution du décret du 26 mars 1852 en ce qui concerne les matières spéciales à l'administration de la Confession d'Augsbourg, dont l'article 24 prévoit qu'il prononce à l'encontre des ministres du culte les peines de réprimande simple, réprimande avec censure, suspension temporaire avec ou sans traitement, incapacité d'être jamais appelé aux fonctions de président de consistoire et d'inspecteur ecclésiastique, ainsi que de destitution, sous réserve du droit d'opposition du ministre de l'intérieur.

7. Il ne résulte ni des dispositions mentionnées au point 6, ni de l'existence, en Alsace et en Moselle, d'un service public du culte, dont sont chargés, en vertu de la loi du 18 germinal an X, l'Etat, les communes et les établissements publics compétents, ni de la circonstance que sont mis à la disposition de ce service les biens dont les collectivités sont propriétaires, ni d'aucune autre disposition ou principe général du droit que les décisions prises par les organes compétents de l'UEPAL ou de l'EPCAAL pour l'organisation du culte protestant, en leur qualité d'autorité religieuse, présenteraient le caractère de décisions administratives soumises au contrôle du juge administratif. Il en va notamment ainsi des peines prononcées par le directoire de l'EPCAAL à l'encontre des ministres du culte, mentionnées au point 6, nonobstant la circonstance que le ministre de l'intérieur ait la faculté d'y faire opposition.

8. M. C... soutient toutefois, par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité, que les articles organiques pour les cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, en particulier les articles 25, 33, 34 et 44, tels qu'interprétés par le juge administratif de manière constante, seraient entachés d'incompétence négative et porteraient atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif en ce qu'ils ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions de destitution prononcées par le directoire de l'EPCAAL à l'encontre des pasteurs et contre les décisions refusant de les réintégrer et de leur verser leur rémunération.

9. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition législative contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

10. En premier lieu, les dispositions ajoutées par voie réglementaire à un texte de forme législative sur le fondement du second alinéa de l'article 37 de la Constitution présentent un caractère réglementaire et ne sont pas, de ce fait, au nombre des dispositions législatives susceptibles de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C... en tant qu'elle porte sur les articles organiques pour les cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes qui ont été modifiés par décret.

11. En deuxième lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où serait affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ne saurait l'être à l'encontre d'une disposition législative antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958, telles que celles des articles organiques pour les cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes.

12. En troisième lieu, le droit à un recours juridictionnel effectif découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'implique pas, en tout état de cause, que soit attribuée au juge administratif compétence pour connaître de conclusions à fins d'annulation des décisions que prennent les organes de l'UEPAL et de l'EPCAAL, en leur qualité d'autorité religieuse, pour l'organisation du culte, notamment des décisions de nomination des ministres du culte et des peines qu'ils leur infligent, lesquelles sont, ainsi qu'il a été dit, dépourvues de caractère administratif. Il suit de là que la question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, qui ne peuvent être regardées comme étant applicables au présent litige qu'en tant seulement qu'elles ne prévoient pas de voie de recours devant le juge administratif contre les décisions de révocation et de refus de réintégration de pasteurs d'un culte protestant en Alsace et en Moselle, ne présente pas de caractère nouveau ou sérieux.

13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée au Conseil constitutionnel et que la demande de suspension de M. C... doit être rejetée comme portée devant une juridiction manifestement incompétente pour en connaître.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'EPCAAL et de l'UEPAL qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, ainsi qu'à celle de l'Etat, qui n'est pas partie à cette instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à ce même titre à la charge du requérant.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 10 octobre 2022 est annulée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C....
Article 3 : La demande de suspension présentée par M. C... est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. C..., à l'Eglise protestante de la Confession d'Augsbourg, d'Alsace et de Lorraine, à l'Union des églises protestantes d'Alsace et de Lorraine, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au Conseil Constitutionnel et à la Première ministre.



Délibéré à l'issue de la séance du 23 janvier 2023 ou siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszeski, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 6 février 2023





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