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Ariane Web: Conseil d'État 456602, lecture du 10 mars 2023, ECLI:FR:CECHS:2023:456602.20230310

Décision n° 456602
10 mars 2023
Conseil d'État

N° 456602
ECLI:FR:CECHS:2023:456602.20230310
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Camille Belloc, rapporteur
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du vendredi 10 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le président de l'établissement Sorbonne Université a engagé contre
M. C... A... des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire du conseil académique de cet établissement. Par une décision du 19 décembre 2017, la section disciplinaire a infligé à M. A... la sanction du blâme.

Par une décision du 8 juillet 2021, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, a, sur appel de l'établissement Sorbonne Université, infligé à M. A... la sanction du blâme.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Sorbonne Université et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le président de l'établissement Sorbonne Université a engagé contre M. C... A..., maître de conférences, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire du conseil académique de cet établissement. Par une décision du 19 décembre 2017, la section disciplinaire a infligé à M. A... la sanction du blâme. Par une décision du 8 juillet 2021, contre laquelle l'établissement Sorbonne Université se pourvoit en cassation, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, a, sur appel de l'établissement Sorbonne Université, infligé à M. A... la sanction du blâme.

Sur le pourvoi principal :

2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 232-41 du code de l'éducation, applicable à la procédure devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire : " La décision doit être motivée. (...) ". Il ressort des pièces du dossier de la procédure suivie devant le CNESER, statuant en matière disciplinaire, que, dans sa requête d'appel, l'établissement Sorbonne Université a présenté, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 19 décembre 2017 de la section disciplinaire du conseil académique, un moyen tiré de ce qu'en donnant aux étudiants de son groupe de travaux dirigés un sujet similaire à celui de l'épreuve commune donnée à l'ensemble des étudiants, M. A... avait manqué aux devoirs de secret et de discrétion professionnels ainsi que d'impartialité, d'intégrité et de probité qui s'imposent aux fonctionnaires en vertu de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Dès lors, l'établissement Sorbonne Université est fondé à soutenir que, faute d'avoir répondu à ce moyen qui n'était pas inopérant, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a entaché sa décision d'insuffisance de motivation.

3. Au surplus, aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : / a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; / b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire : / 1° Parce qu'il a subi ou refusé de subir les faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas, y compris, dans le cas mentionné au a, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés ; / 2° Parce qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces faits ; / 3° Ou bien parce qu'il a témoigné de tels faits ou qu'il les a relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas ". Il résulte de ces dispositions que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que
M. A... a proposé à plusieurs étudiantes de son groupe de travaux dirigés, qui avaient sollicité un entretien avec lui pour échanger sur la notation de leurs copies, de se rendre au restaurant ou de lui rendre visite à son domicile, en fin de semaine ou le soir, d'autre part, qu'il a proposé, lors d'un entretien en tête-à-tête, à une étudiante qui était souffrante de lui faire un massage, enfin, qu'il a assorti l'un de ses messages d'invitation à une soirée privée à l'une de ses étudiantes d'un commentaire sur son apparence physique et sur celui d'une de ses amies à qui était également destinée son invitation. En jugeant que ces faits répétés à l'encontre de certaines étudiantes, qui ont créé une situation intimidante et offensante pour elles, n'étaient pas constitutifs de harcèlement sexuel, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a inexactement qualifié les faits de l'espèce et, eu égard à la nature de ces faits et à la relation d'autorité qui est celle d'un enseignant-chercheur avec ses étudiants ainsi qu'à l'exemplarité et l'irréprochabilité qui, par suite, lui incombent, retenu une sanction hors de proportion avec les fautes commises.

5. Il résulte de ce qui précède que l'établissement Sorbonne Université est fondée à demander l'annulation de la décision du 8 juillet 2021 du CNESER, statuant en matière disciplinaire, qu'elle attaque.

Sur le pourvoi incident de M. A... :

6. L'annulation, sur le pourvoi principal, de la décision du CNESER, statuant en matière disciplinaire, prive d'objet le pourvoi incident de M. A....

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'établissement Sorbonne Université, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros à verser à l'établissement Sorbonne Université au titre des mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 8 juillet 2021 du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire, est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire.
Article 3 : M. A... versera la somme de 3 000 euros à l'établissement Sorbonne Université au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de M. A....
Article 5 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'établissement Sorbonne Université et à
M. C... A....
Copie en sera adressée à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.