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Ariane Web: Conseil d'État 452445, lecture du 27 mars 2023, ECLI:FR:CECHS:2023:452445.20230327

Décision n° 452445
27 mars 2023
Conseil d'État

N° 452445
ECLI:FR:CECHS:2023:452445.20230327
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Antoine Berger, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SARL CABINET BRIARD ; SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats


Lecture du lundi 27 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association de défense du Bois de Bouéry a demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande du 11 août 2018 tendant à ce qu'il soit demandé à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize de présenter une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Par un arrêt du 9 mars 2021, la cour administrative d'appel a annulé cette décision implicite et enjoint au préfet de la Haute-Vienne de demander à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize de déposer une demande de dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dans un délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 10 mai et 10 août 2021, ainsi que le 24 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de l'association de défense du Bois de Bouéry ;

3°) de mettre à la charge de l'association de défense du Bois de Bouéry la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize et à la SAS Hannotin avocats, avocat de l'association de défense du Bois de Bouéry ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 février 2023, présentée par l'association de défense du Bois de Bouéry.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 731-3 du code de justice administrative : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ". En vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article R. 741-2 du même code, relatif aux mentions obligatoires de la décision juridictionnelle, celle-ci doit faire " mention (...) de la production d'une note en délibéré ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est régulièrement saisi, à l'issue de l'audience, d'une note en délibéré émanant de l'une des parties, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision ainsi que de la viser, sans toutefois l'analyser dès lors qu'il n'est pas amené à rouvrir l'instruction et à la soumettre au débat contradictoire pour tenir compte des éléments nouveaux qu'elle contient.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, postérieurement à l'audience publique du 9 février 2021, la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize a adressé à la cour administrative d'appel de Bordeaux une note en délibéré, enregistrée le 12 février 2021, soit avant la lecture de l'arrêt. Les visas de l'arrêt attaqué ne font pas mention de cette note en délibéré. Il suit de là que la société requérante est fondée à soutenir que l'arrêt attaqué est entaché, pour ce motif, d'une irrégularité.

3. Par ailleurs, l'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment : " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ".

4. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens d'une espèce protégée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le pétitionnaire était tenu de présenter, pour la réalisation de son projet de parc éolien, la demande de dérogation prévue à l'article L. 411-1 du code de l'environnement, la cour a relevé que le site d'implantation du projet constituait une réserve importante de biodiversité, riche en espèces protégées dont le projet était susceptible d'affecter la conservation. Toutefois, en se bornant à constater que les mesures visant à atténuer l'impact du projet sur la biodiversité ne permettaient pas d'écarter tout risque pour les espèces concernées, notamment en ce qu'elles constituent de simples mesures de réduction et non d'évitement, sans rechercher si ces mesures présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 mars 2021.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association de défense du Bois de Bouéry la somme de 3 000 euros à verser à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 mars 2021 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'association de défense du Bois de Bouéry versera à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, à l'association de défense du Bois de Bouéry et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à EDF Renouvelables France.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 27 mars 2023.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Laïla Kouas