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Ariane Web: Conseil d'État 468242, lecture du 31 mars 2023, ECLI:FR:CECHS:2023:468242.20230331

Décision n° 468242
31 mars 2023
Conseil d'État

N° 468242
ECLI:FR:CECHS:2023:468242.20230331
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Hervé Cassara, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats


Lecture du vendredi 31 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Pro services a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de la procédure de consultation menée par la commune de Bandrélé en vue de la passation d'un marché public relatif à la construction de huit salles de classe et d'un réfectoire pour l'école élémentaire de Kavani-Bandrélé, d'annuler la décision de la commune de Bandrélé du 29 août 2022 rejetant sa candidature, et d'enjoindre à la commune de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures ou, à défaut, d'annuler la procédure de passation litigieuse.

Par une ordonnance n° 2204381 du 30 septembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a annulé cette procédure de passation et la décision portant rejet de l'offre de la société Pro services, et a enjoint à la commune de Bandrélé de reprendre la procédure de passation du marché en litige au stade de l'examen des offres.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 et 28 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pro services demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Bandrélé la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la société Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Pro services ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un courrier du 29 août 2022, la commune de Bandrélé, qui avait lancé une consultation en vue de la passation d'un marché à procédure négociée avec mise en concurrence préalable en vue de la construction de huit salles de classe et d'un réfectoire pour l'école élémentaire de Kavani-Bandrélé, a informé la société Pro services que sa candidature n'était pas retenue, mais que celles du groupement GTA Mayotte, du groupement Cambais Industrie et du groupement Harappa étaient retenues pour la seconde phase de la procédure d'examen des offres après négociation. Par l'ordonnance du 30 septembre 2022, contre laquelle la société Pro services se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a fait partiellement droit à la demande dont la société Pro services l'avait saisi en annulant la décision portant rejet de son " offre " et la procédure de passation du marché public en litige et en enjoignant à la commune de Bandrélé de reprendre cette procédure au stade de l'examen des offres. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, la société Pro services doit être regardée comme demandant l'annulation des articles 1er et 2 de cette ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Il peut également être saisi en cas de manquement aux mêmes obligations auxquelles sont soumises, en application de l'article L. 521-20 du code de l'énergie, la sélection de l'actionnaire opérateur d'une société d'économie mixte hydroélectrique et la désignation de l'attributaire de la concession. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 2124-3 du code de la commande publique : " La procédure avec négociation est la procédure par laquelle l'acheteur négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques ". Aux termes de l'article R. 2124-2 du même code : " L'acheteur choisit librement entre les formes d'appel d'offres suivantes : / (...) 2° L'appel d'offres restreint lorsque seuls les candidats sélectionnés par l'acheteur sont autorisés à soumissionner ".

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, d'une part, que la commune de Bandrélé a choisi, en application des dispositions citées au point 3, de retenir une forme d'appel d'offres restreint pour sélectionner, lors d'une première phase de la procédure, trois candidats autorisés à soumissionner, puis, lors d'une seconde phase, après négociation avec ces trois candidats, l'offre économiquement la plus avantageuse et, d'autre part, que la candidature de la société Pro services a été écartée au profit de celle du groupement Harappa.

5. En annulant, au motif non contesté que le pouvoir adjudicateur avait manqué à ses obligations de mise en concurrence en retenant la candidature du groupement Harappa alors que celui-ci ne justifiait pas des compétences en matière de restauration collective exigées par le règlement de la consultation, la décision portant rejet de " l'offre " de la société Pro services, alors qu'il s'agissait de sa candidature, et en se bornant à annuler la procédure de passation du marché public en litige à partir de l'examen des offres et à enjoindre à la commune de Bandrélé de reprendre cette procédure à ce stade alors qu'il avait ainsi constaté l'existence d'un manquement affectant la première phase de sélection des candidats auquel il lui appartenait, en vertu des pouvoirs qu'il tient des dispositions mentionnées au point 2, de mettre un terme, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Pro services est fondée à demander l'annulation des articles 1er et 2 de l'ordonnance qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Pro services, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'analyse des candidatures, que le groupement Harappa ne justifiait pas de la compétence " restauration collective " pourtant exigée par les documents de la consultation. Par suite, sa candidature ne pouvait être régulièrement retenue. Ce manquement est susceptible d'avoir lésé la société Pro services dont la candidature a été écartée au profit de celle du groupement Harappa.

9. Il résulte de ce qui précède que la procédure de passation du marché public en litige doit être annulée à compter de l'analyse des candidatures, ainsi que, par voie de conséquence, la décision portant rejet de la candidature de la société Pro services, et qu'il y a lieu d'enjoindre à la commune de Bandrélé, si elle entend poursuivre la procédure de passation du marché public en litige, de la reprendre à ce stade.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Bandrélé la somme de 3 000 euros à verser à la société Pro services au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'ordonnance du 30 septembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte sont annulés.
Article 2 : La procédure de passation du marché public relatif à la construction de huit salles de classe et d'un réfectoire pour l'école élémentaire de Kavani-Bandrélé est annulée à compter de l'analyse des candidatures.
Article 3 : La décision rejetant la candidature de la société Pro services est annulée.
Article 4 : Il est enjoint à la commune de Bandrélé, si elle entend poursuivre la procédure de passation du marché public en litige, de la reprendre au stade de l'analyse des candidatures.
Article 5 : La commune de Bandrélé versera à la société Pro services une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Pro services, à la commune de Bandrélé, au groupement Harappa, au groupement GTA Mayotte et à la société Cambais Industrie.


Voir aussi