Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 459834, lecture du 5 avril 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:459834.20230405

Décision n° 459834
5 avril 2023
Conseil d'État

N° 459834
ECLI:FR:CECHR:2023:459834.20230405
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Elise Adevah-Poeuf, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du mercredi 5 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

La société Sumitomo Chemical Agro Europe a demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, d'annuler le contrat conclu le 15 février 2016 entre la commune de Hyères et la société Compagnie Européenne de Réalisations Antiparasitaires (CERA) et, à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation du contrat. Par un jugement n° 1601595 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 20MA03008 du 25 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Sumitomo Chemical Agro Europe, annulé ce jugement et annulé le contrat conclu entre la commune de Hyères et la société CERA.

Procédures devant le Conseil d'Etat

1° Sous le n° 459834, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 décembre 2021, 28 février et 29 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Hyères demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Sumitomo Chemical Agro Europe ;

3°) de mettre à la charge de la société Sumitomo Chemical Agro Europe la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 459865, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 décembre 2021, 28 mars et 9 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société CERA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, rejeter l'appel de la société Sumitomo Chemical Agro Europe ;

3°) de mettre à la charge de la société Sumitomo Chemical Agro Europe la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le règlement (UE) 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Hyères, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la société Sumitomo Chemical Agro Europe et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Compagnie Européenne de Réalisations Antiparasitaires ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 mars 2023, présentée par la société Compagnie Européenne de Réalisations Antiparasitaires ;


Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la commune de Hyères et de la société Compagnie Européenne de Réalisations Antiparasitaires (CERA) sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Hyères a lancé un appel d'offre pour la fourniture d'un produit larvicide destiné à la lutte contre les moustiques. Par courrier du 4 février 2016, la commune a décidé de retenir l'offre de la société CERA pour le produit " Aquabac XT " et a informé la société Bergon du rejet de son offre fondée sur le produit " VectoBac 12 AS " fourni par la société Sumitomo Chemical Agro Europe. La société Sumitomo Chemical Agro Europe a demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, d'annuler le contrat conclu entre la commune de Hyères et la société CERA le 15 février 2016 et, à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation de ce contrat. Par un jugement du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande. La commune de Hyères et la société CERA se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 25 octobre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Sumitomo Chemical Agro Europe, annulé ce jugement et ce contrat.

3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

4. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

5. Aux termes de l'article 35 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable au litige: " Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 53 du même code : " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées ".

6. Aux termes de l'article 7 du règlement de la consultation : " Les produits devront répondre aux normes de sécurité et normes en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 10-1 du même règlement : " 10-1 Documents à produire/ Les entreprises auront à produire un dossier complet comprenant les pièces suivantes : (...) Justificatifs relatifs à la candidature : (...) Les autorisations de mise sur le marché et d'utilisation des produits phytopharmaceutiques conformément au chapitre 3 du code rural à fournir (...)./ Justificatifs relatifs à l'offre : (...) Documents à insérer, sous peine de rejet de l'offre : (...)/ - Fiche de données de sécurité et notice technique du produit, afin de vérifier la conformité du produit avec la règlementation et le CCP, avec indication des précisions suivantes : n° d'autorisation de vente avec date de création et dernière modification : identification du produit et de la société fournisseur ; les matières actives et leur concentration respective notamment pour les produits dangereux ".

7. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) 528/2012 du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides : " Les produits biocides ne sont mis à disposition sur le marché ou utilisés que s'ils ont été autorisés conformément au présent règlement ". Aux termes de l'article 19 du même règlement : " 1. Un produit biocide autre qu'un des produits admissibles à la procédure d'autorisation simplifiée conformément à l'article 25 est autorisé si les conditions suivantes sont réunies: / a) les substances actives sont approuvées pour le type de produits concerné et toutes les conditions spécifiées pour ces substances actives sont remplies; / (...) ". Aux termes de l'article 91 du même règlement : " Les demandes d'autorisation de produits biocides soumises aux fins de la directive 98/8/CE dont l'évaluation n'est pas terminée au 1er septembre 2013 sont évaluées par les autorités compétentes conformément aux dispositions de ladite directive. / Sans préjudice du premier alinéa, les règles suivantes s'appliquent : / - lorsque l'évaluation des risques de la substance active indique qu'un ou plusieurs des critères énumérés à l'article 5, paragraphe 1, est rempli, le produit biocide est autorisé conformément à l'article 19, / - lorsque l'évaluation des risques de la substance active indique qu'un ou plusieurs des critères énumérés à l'article 10 est rempli, le produit biocide est autorisé conformément à l'article 23. Lorsque l'évaluation identifie des problèmes résultant de l'application de dispositions du présent règlement qui ne figuraient pas dans la directive 98/8/CE, la possibilité est donnée au demandeur de fournir des informations supplémentaires ". Aux termes de l'article 92 du même règlement : " 1. Les produits biocides pour lesquels une autorisation ou un enregistrement visé à l'article 3, 4, 15 ou 17 de la directive 98/8/CE a été accordé avant le 1er septembre 2013 peuvent continuer à être mis à disposition sur le marché et utilisés, sous réserve, le cas échéant, de toutes conditions d'autorisation ou d'enregistrement prévues au titre de ladite directive, jusqu'à la date d'expiration de l'autorisation ou de l'enregistrement ou jusqu'à son annulation. / 2. Sans préjudice du paragraphe 1, le présent règlement s'applique aux produits biocides visés audit paragraphe à compter du 1er septembre 2013 ". Aux termes de l'article 95 du même règlement : " 1. À compter du 1er septembre 2013, l'Agence met à la disposition du public et met régulièrement à jour une liste de toutes les substances actives et de toutes les substances générant une substance active, pour lesquelles un dossier conforme à l'annexe II du présent règlement ou à l'annexe IIA ou IVA de la directive 98/8/CE et, le cas échéant, à l'annexe IIIA de ladite directive (ci-après dénommé "dossier complet relatif à la substance") a été présenté et accepté ou validé par un Etat membre dans le cadre d'une procédure prévue par le présent règlement ou ladite directive (ci-après dénommées "substances pertinentes"). Pour chacune de ces substances pertinentes, la liste inclut également le nom de toutes les personnes qui ont présenté un tel dossier ou soumis des informations à l'Agence conformément au deuxième alinéa du présent paragraphe, et mentionne leur rôle tel que précisé audit alinéa et le ou les types de produits pour lesquels elles ont présenté un dossier ou soumis des informations, ainsi que la date d'inscription de la substance sur la liste./ Toute personne établie dans l'Union qui fabrique ou importe une substance pertinente, seule ou dans des produits biocides (ci-après dénommée "fournisseur de la substance") ou qui fabrique ou met à disposition sur le marché un produit biocide constitué de la substance pertinente, en contenant ou en générant (ci-après dénommée "fournisseur du produit") peut à tout moment présenter à l'Agence soit un dossier complet relatif à la substance pertinente, soit une lettre d'accès à un dossier complet relatif à la substance, ou encore une référence à un dossier complet relatif à la substance pour lequel toutes les périodes de protection des données sont arrivées à échéance. (...) / 2. À compter du 1er septembre 2015, tout produit biocide constitué d'une substance pertinente inscrite à la liste visée au paragraphe 1, ou contenant ou générant ladite substance, n'est mis à disposition sur le marché qu'à condition que le fournisseur de la substance ou le fournisseur du produit figure sur la liste mentionnée au paragraphe 1 pour le ou les types de produits auxquels le produit appartient.(...) ".

8. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Marseille a relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'offre de la société Bergon, qui reposait sur le produit fourni par la société Sumitomo Chemical Agro Europe, aurait été irrégulière, incomplète ou inacceptable, de sorte que la commune de Hyères n'est pas fondée à soutenir que son arrêt serait insuffisamment motivé sur ce point.

9. En deuxième lieu, il résulte des dispositions mentionnées au point 7 que l'article 91 du règlement (UE) 528/2012 du 22 mai 2012 précité concerne les demandes d'autorisation de produits biocides dont l'évaluation n'est pas terminée au 1er septembre 2013, et l'article 92, ceux de ces produits autorisés avant cette date. La cour ayant relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et sans se fonder sur des faits matériellement inexacts, que la demande d'autorisation de mise sur le marché du produit " Aquabac XT " avait été présentée par la société CERA le 6 septembre 2013 et que la substance active de ce produit n'avait pas été autorisée avant cette date, la commune de Hyères n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait commis une erreur de droit en jugeant que ce produit ne pouvait bénéficier, à la date de présentation de son offre, d'un des régimes transitoires prévus par ces articles.

10. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article 95 du règlement précité, mentionné au point 7, que l'inscription d'une substance active par l'Agence européenne des produits chimiques sur la liste prévue par ces dispositions, n'a ni pour objet ni pour effet de valoir autorisation de mise sur le marché d'un produit contenant cette substance active. Par suite, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que la seule circonstance que la société CERA figurait, à la date de présentation de son offre, sur la liste établie en application de ces dispositions pour la substance active contenue dans le produit " Aquabac XT ", ne pouvait valoir autorisation de mise sur le marché de ce produit.

11. En quatrième lieu, après avoir relevé qu'à la date de l'instruction de l'offre de la société CERA et de l'attribution du marché, cette société ne disposait d'aucune autorisation de mise sur le marché pour le produit " Aquabac XT " et que la circonstance qu'elle ait fourni une justification de dépôt de demande d'autorisation de mise sur le marché de ce produit effectuée le 6 septembre 2013 et une attestation sur l'honneur d'enregistrement et d'autorisation du produit " Aquabac XT " à base de " bacillus Thuringiensis israelensis " ne sauraient valoir autorisation de mise sur le marché, la cour n'avait pas à répondre au moyen, inopérant, tiré de ce que la société pouvait se prévaloir du " délai de grâce " prévu par l'article 52 du règlement (UE) 528/2012 du 22 mai 2012 " pour l'élimination, la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des stocks existants " d'un produit biocide dont l'autorisation a été modifiée ou annulée ou n'a pas été renouvelée par cette même autorité.

12. En cinquième lieu, le contenu d'un contrat ne présente un caractère illicite que si l'objet même du contrat, tel qu'il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu'il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu'en s'engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement. En jugeant que le défaut d'autorisation de mise sur le marché d'un produit dont la fourniture constituait l'objet même du contrat litigieux entachait d'illicéité le contenu de ce contrat et qu'un tel vice était de nature à justifier son annulation, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

13. Il résulte de ce qui précède que les pourvois de la commune de Hyères et de la société CERA doivent être rejetés, y compris dans leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Hyères et de la société CERA le versement de la somme de 1 500 euros chacune à la société Sumitomo Chemical Agro Europe sur le fondement des mêmes dispositions.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les pourvois de la commune de Hyères et de la société CERA sont rejetés.
Article 2 : La commune de Hyères et la société CERA verseront la somme de 1 500 euros chacune à la société Sumitomo Chemical Agro Europe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Hyères, à la société Compagnie Européenne de Réalisations Antiparasitaires et à la société Sumitomo Chemical Agro Europe.


Voir aussi