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Ariane Web: Conseil d'État 470160, lecture du 16 juin 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:470160.20230616

Décision n° 470160
16 juin 2023
Conseil d'État

N° 470160
ECLI:FR:CECHR:2023:470160.20230616
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 16 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2202638-2202754 du 25 mai 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de la société civile immobilière (SCI) Mésange, de M. et Mme A... et de M. et Mme B..., suspendu l'exécution du permis de construire que le maire de Courchevel (Savoie) a délivré à la SARL Société immobilière de Courchevel le 15 juin 2021 pour la démolition et la reconstruction d'un hôtel.

Par une ordonnance n° 2207367 du 19 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, saisi par cette SARL d'une demande tendant à ce qu'il soit mis fin aux effets de l'ordonnance du 25 mai 2022, sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 et 9 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI Mésange demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Courchevel et de la Société immobilière de Courchevel la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la SCI Mésange et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société immobilière de Courchevel ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 juin 2023, présentée par la SCI Mésange ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 juin 2023, présentée par la SARL Société immobilière de Courchevel ;

Vu la nouvelle note en délibéré, enregistrée le 7 juin 2023, présentée par la SCI Mésange.


Considérant ce qui suit :

1. Par une ordonnance du 25 mai 2022, prise sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, à la demande de la société civile immobilière (SCI) Mésange, de M. et Mme A... ainsi que de M. et Mme B..., a suspendu l'exécution de l'arrêté du 15 juin 2021, rectifié les 16 et 17 juin 2021, par lequel le maire de Courchevel (Savoie) a délivré un permis de construire à la SARL Société immobilière de Courchevel pour la démolition et la reconstruction d'un hôtel. Par un arrêté du 31 octobre 2022, le maire de Courchevel a délivré un permis de construire modificatif à cette SARL en vue de régulariser les trois vices retenus par l'ordonnance du 25 mai 2022. A la suite de la délivrance de ce permis modificatif, la Société immobilière de Courchevel a, sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à ce qu'il soit mis fin à la suspension prononcée par l'ordonnance du 25 mai 2022. Par une ordonnance du 19 décembre 2022, contre laquelle la SCI Mésange se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande.

Sur le pourvoi de M. et Mme A... et de M. et Mme B... :

2. M. et Mme A... ainsi que M. et Mme B... avaient sollicité et obtenu la suspension de l'exécution du permis de construire du 15 juin 2021 et étaient parties, en qualité de défendeurs, à l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance attaquée. Dès lors qu'ils avaient qualité pour se pourvoir en cassation contre cette ordonnance, leur " intervention " doit être analysée comme un pourvoi, lequel n'est pas recevable dès lors qu'il a été introduit après l'expiration du délai qui leur était imparti.

Sur le pourvoi de la SCI Mésange :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 521-4 du code de justice administrative : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ".

4. Eu égard à la nature et à l'objet de la procédure particulière instituée par l'article L. 521 4 du code de justice administrative qui lui permet de réexaminer, au vu d'un élément nouveau, les mesures provisoires précédemment ordonnées, il appartient au juge des référés, s'il en est de nouveau saisi expressément par le requérant initial devenu défendeur dans le cadre de cette instance, de répondre aux moyens que ce dernier avait soulevés contre la décision dont l'exécution a été suspendue sur le fondement de l'article L. 521-1 du même code mais qui avaient été écartés comme n'étant pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du permis de construire initial. A ce titre, il peut se prononcer sur ces moyens par référence à sa première ordonnance ainsi motivée sans entacher sa seconde décision d'insuffisance de motivation.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, que, dans le mémoire en défense qu'elle a produit devant lui, la SCI Mésange reprenait expressément la totalité des moyens soulevés dans les écritures produites dans le cadre de l'instance de référé qu'elle avait initialement engagée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, y compris les moyens qui avaient été écartés par le juge des référés dans son ordonnance du 25 mai 2022 prise sur ce fondement. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en s'abstenant de répondre à ces moyens, qui n'étaient pas inopérants, le juge des référés a insuffisamment motivé l'ordonnance attaquée.

6. En second lieu, lorsque le juge des référés a ordonné la suspension de l'exécution d'un permis de construire sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative en relevant l'existence d'un ou plusieurs vices propres à créer un doute sérieux quant à sa légalité et qu'il est ensuite saisi d'une demande tendant à ce qu'il soit mis fin aux effets de cette suspension dans le cadre de la procédure régie par l'article L. 521-4 du même code, au motif qu'un permis modificatif ou une mesure de régularisation, produit dans le cadre de cette nouvelle instance, régularise le ou les vices précédemment relevés, il appartient à ce juge, pour apprécier s'il est possible de lever la suspension du permis ainsi modifié, après avoir mis en cause le requérant ayant initialement saisi le juge du référé suspension, de tenir compte, d'une part, de la portée du permis modificatif ou de la mesure de régularisation sur les vices précédemment relevés et, d'autre part, des vices allégués ou d'ordre public dont le permis modificatif ou la mesure de régularisation serait entaché et qui seraient de nature à y faire obstacle.

7. Il s'ensuit en l'espèce qu'en estimant qu'il ne lui appartenait pas de tenir compte des moyens soulevés devant lui tirés de ce que le permis de construire modificatif, délivré le 31 octobre 2022 afin de purger les trois vices ayant conduit à la suspension de l'exécution du permis de construire du 15 juin 2021, avait été pris par une autorité incompétente, sur la base d'un dossier incomplet et d'un avis irrégulier de l'architecte des bâtiments de France, le juge des référés a entaché l'ordonnance attaquée d'une erreur de droit.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 19 décembre 2022 doit être annulée en tant qu'elle met fin à la suspension demandée par la SCI Mésange, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société immobilière de Courchevel sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, en application des dispositions de l'article L. 8212 du même code.

Sur les vices retenus par le juge des référés du tribunal administratif pour prononcer la suspension de l'exécution du permis de construire du 15 juin 2021 :

10. Pour prononcer la suspension de l'exécution du permis de construire délivré à la SARL Société immobilière de Courchevel par le maire de Courchevel le 15 juin 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a, dans son ordonnance du 25 mai 2022, fondée sur l'article L. 521-1 du code de justice administrative, regardé comme propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée les moyens tirés, d'une part, de ce que le pétitionnaire ne disposait pas de la maîtrise foncière de deux parcelles incluses dans le terrain d'assiette du projet et appartenant au département de la Savoie, en violation de l'article R. 431-13 du code de l'urbanisme, d'autre part, de ce que le projet ne respectait pas, en conséquence, la distance à la limite séparative avec le fonds du département au niveau de la façade sud-ouest, en bordure de la piste de ski, et, enfin, de ce que l'avis de l'architecte des bâtiments de France était entaché d'irrégularité, faute de comporter les prescriptions relatives à la toiture de la construction envisagée et de prendre en compte le monument historique que constitue la chapelle Notre-Dame de l'Assomption.

11. Le permis de construire modificatif délivré le 31 octobre 2022 par le maire de Courchevel prend acte de la cession par le département de la Savoie à la SARL Société immobilière de Courchevel des deux parcelles mentionnées au point 10 et d'un nouvel avis de l'architecte des Bâtiments de France précisant les prescriptions relatives à la toiture de la construction et prenant en compte l'ensemble des monuments historiques situés dans les abords du projet.

12. Eu égard à la portée de ce permis de construire modificatif, les moyens de la SCI Mésange énoncés au point 10 et retenus par le juge des référés dans son ordonnance du 25 mai 2022 n'apparaissent plus de nature à justifier la suspension de l'exécution du permis de construire délivré le 15 juin 2021.

Sur les autres moyens invoqués par la SCI Mésange :

13. Pour soutenir qu'il n'y a pas lieu de mettre fin à la suspension de l'exécution du permis de construire du 15 juin 2021, la SCI Mésange, qui se réfère à l'ensemble des écritures qu'elle a produites dans le cadre de l'instance de référé et de son recours en annulation contre ce permis, soutient que celui-ci méconnaît les dispositions :
- de l'article R. 431-13 du code de l'urbanisme en l'absence de production, dans le dossier de demande de permis, de l'accord exprès du gestionnaire du domaine public surplombé par le projet ;
- de l'article R. 431-32 du même code dès lors que le dossier de demande de permis ne comporte pas le contrat ou la décision judiciaire instituant la servitude de cour commune prévue par le projet ;
- de l'article R. 431-14 du même code en l'absence de précision, dans le dossier de demande de permis, sur les modalités d'exécution des travaux ;
- de l'article N2 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Courchevel en autorisant l'édification de constructions sur une parcelle naturelle ;
- de l'article UH4 du même règlement dès lors, d'une part, que le projet ne prévoit aucun local pour le stockage des déchets ménagers issus de l'exploitation de ce grand hôtel, d'autre part, que le dossier de demande de permis de construire ne fait apparaître aucun dispositif nécessaire à la rétention des eaux pluviales et à leur rejet, ainsi qu'à celui des eaux de la piscine, dans le réseau de collecte et, enfin, qu'aucune notice technique relative à la desserte du projet par les réseaux ne permettait aux services compétents d'apprécier le respect de ces dispositions ;
- de l'article UH 6 du même règlement dans la mesure où la façade nord-est du bâtiment, qui ne relève pas du régime particulier applicable aux reconstructions de bâtiments légalement édifiés, ne respecte pas le recul de quatre mètres prévu par ces dispositions ;
- de l'article UH 7 de ce règlement en autorisant l'implantation de plusieurs façades à moins de quatre mètres des limites séparatives et de la piste de ski, notamment de balcons sur plusieurs étages et toitures surplombant notamment sa parcelle ;
- de l'article UH 10 du même règlement en raison, d'une part, de la hauteur excessive de la construction autorisée, laquelle doit être calculée à partir du terrain naturel dès lors que les dispositions plus favorables applicables en cas de reconstruction d'un bâtiment légalement édifié ne sont pas applicables en l'espèce, d'autre part, de l'absence au dossier de demande de permis d'un plan topographique exploitable et, enfin, de ce que la construction dépasse en certains points la hauteur plafond de 16,50 mètres ;
- de l'article UH 11 du règlement du plan local d'urbanisme dans la mesure où, d'une part, les façades en bois n'en feront pas apparaître les veines et, d'autre part, les surfaces des terrasses et toitures-terrasses sont excessives ;
- de l'article UH 12 du même règlement en ne prévoyant pas suffisamment de places de stationnement.

14. Pour soutenir qu'il n'y a pas lieu de mettre fin à la suspension de l'exécution du permis de construire du 15 juin 2021, la SCI Mésange soutient également que le permis de construire modificatif, délivré le 31 octobre 2022 afin de purger les trois vices ayant conduit à la suspension de l'exécution du permis de construire du 15 juin 2021, avait été pris par une autorité incompétente, sur la base d'un dossier incomplet et d'un avis irrégulier de l'architecte des Bâtiments de France.

15. Aucun de ces moyens n'est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire litigieux.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Société immobilière de Courchevel est fondée à demander qu'il soit mis fin à la suspension de l'exécution du permis de construire du 15 juin 2021.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre la charge de la SARL Société immobilière de Courchevel qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI Mésange la somme de 3 000 euros à verser à la SARL Société immobilière de Courchevel.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 19 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée en tant qu'elle met fin aux effets de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 25 mai 2022 ayant fait droit à la demande de suspension présentée par la SCI Mésange.
Article 2 : Il est mis fin aux effets de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 25 mai 2022 ayant fait droit à la demande de suspension présentée par la SCI Mésange.
Article 3 : La SCI Mésange versera à la SARL Société immobilière de Courchevel la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la SCI Mésange tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SCI Mésange et à la SARL Société immobilière de Courchevel.
Copie en sera adressée à la commune de Courchevel.


Délibéré à l'issue de la séance du 31 mai 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 16 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana



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