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Ariane Web: Conseil d'État 464324, lecture du 30 juin 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:464324.20230630

Décision n° 464324
30 juin 2023
Conseil d'État

N° 464324
ECLI:FR:CECHR:2023:464324.20230630
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Anne Lazar Sury, rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, avocats


Lecture du vendredi 30 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. H... A... D... et Mme B... G..., épouse A... D..., M. I... D... C... et Mme E... F..., épouse D... C..., ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 avril 2018 par laquelle le maire de Vincennes a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur un terrain situé 2, rue Félix Faure. Par un jugement n° 1804629 du 12 mai 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 21PA03913 du 24 mars 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de M. et Mme A... D... et M. et Mme D... C... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 mai et 22 août 2022 et le 24 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... D... et M. et Mme D... C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Vincennes la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de M. et Mme A... D... et autres et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la commune de Vincennes ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A... D... et M. et Mme D... C..., acquéreurs évincés de l'achat d'un volume consistant en une surface de sous-sol, alors à usage d'aire de lavage pour les véhicules automobiles, ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 avril 2018 par laquelle le maire de Vincennes a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur ce bien. Par un jugement du 12 mai 2021, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Par un arrêt du 24 mars 2022, contre lequel ils se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision de préemption en litige : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. " Aux termes de l'article L. 300-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. " Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en oeuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société d'économie mixte de Vincennes, dénommée VINCEM, a été autorisée, par un arrêté de permis de construire du 29 septembre 2017, à réaliser un programme de construction de douze logements sociaux. Elle a sollicité le 20 mars 2018 un permis modificatif afin de prévoir la vente de cinq de ces logements, réduisant ainsi le nombre de logements sociaux à sept, afin d'assurer le financement du projet. Cette modification a eu pour conséquence l'obligation d'adjoindre au projet des places de stationnement, dès lors que leur réalisation, si elle n'était pas nécessaire pour la réalisation des logements sociaux, est requise pour les autres projets de logements par les dispositions de l'article 12 du règlement du secteur UO du plan local d'urbanisme de la commune de Vincennes, applicables au projet. C'est dans ce but que le maire de Vincennes a décidé, par la décision litigieuse, de préempter le volume en sous-sol vendu par l'association foncière urbaine libre du Domaine du Bois de Vincennes, qui se situe à 230 mètres du terrain d'assiette du projet d'immeuble d'habitation collective.

4. En premier lieu, les juges du fond n'ont ni dénaturé les pièces du dossier qui leur était soumis ni commis d'erreur de droit en jugeant que la commune établissait la réalité de son projet, lequel doit être apprécié, contrairement à ce qui est soutenu, non au regard de la seule création de places de stationnement à l'adresse du bien préempté mais compte tenu des caractéristiques globales de l'opération d'aménagement à laquelle la création de ces places participe.

5. En deuxième lieu, d'une part, en jugeant que l'exercice par la décision litigieuse du droit de préemption, qui, quand bien même il ne porte que sur un lot de copropriété séparé du terrain d'assiette de la construction, participe à la réalisation d'un programme de construction de sept logements sociaux sur un programme de douze logements, avait, par nature, pour objet la mise en oeuvre d'une politique locale de l'habitat et répondait à ce titre aux objets définis à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même qu'il ne concourait pas à la mise en oeuvre d'un programme local de l'habitat ou d'un programme d'orientations et d'actions d'un plan local d'urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l'habitat, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

6. D'autre part, en jugeant que ce projet pouvait en l'espèce être regardé, eu égard à son ampleur et à sa consistance, appréciées dans le contexte de la commune, marquée par une pression spéculative, une faible disponibilité de terrains et un nombre de logements sociaux insuffisant, et au regard de la taille de cette dernière, comme présentant par lui-même le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement, la cour administrative d'appel n'a ni inexactement qualifié les faits de l'espèce ni commis d'erreur de droit.

7. En dernier lieu, la cour n'a pas non plus commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant que répondait en l'espèce à un intérêt général suffisant l'exercice du droit de préemption pour créer des places de stationnement dont la réalisation, qui résulte d'une obligation fixée par le plan local d'urbanisme, est légalement nécessaire à l'opération à laquelle elles participent, alors même que ces places auraient pu être créées dans un parc de stationnement public situé à 700 mètres du projet et que le caractère indispensable au montage financier de l'opération d'aménagement en cause de la construction de logements destinés à la vente ne serait pas établi.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. et Mme A... D... et autres, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à leur charge une somme globale de 3 000 euros à verser à la commune de Vincennes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme A... D... et autres est rejeté.
Article 2 : M. et Mme A... D... et M. et Mme D... C... verseront une somme globale de 3 000 euros à la commune de Vincennes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. H... A... D..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Vincennes.
Copie en sera adressée à l'association foncière urbaine libre du Domaine du Bois de Vincennes.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux et M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat ; Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 30 juin 2023.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Lazar Sury
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber


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