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Ariane Web: Conseil d'État 461479, lecture du 29 septembre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:461479.20230929

Décision n° 461479
29 septembre 2023
Conseil d'État

N° 461479
ECLI:FR:CECHR:2023:461479.20230929
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
M. Christophe Barthélemy, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public


Lecture du vendredi 29 septembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision référencée " 48 SI " du 3 août 2018 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, a porté à sa connaissance un retrait de points de son permis de conduire et constaté la perte de validité de celui-ci pour solde de points nul, de constater que le solde de points sur son permis de conduire est de deux points et de juger qu'il est autorisé à conduire à compter de la date du jugement à intervenir. Par un jugement n° 1803043 du 29 mai 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une décision n° 433023 du 27 avril 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Caen.

Par un jugement n° 2101016 du 13 décembre 2021, le président du tribunal administratif de Caen, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a de nouveau rejeté la demande de M. B....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 février et 14 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la route ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de M. B....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une décision référencée " 48 SI " du 3 août 2018, le ministre de l'intérieur a constaté la perte de validité du permis de conduire de M. B... et lui a enjoint de restituer ce titre. Par un jugement du 29 mai 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de cette décision. Par une décision du 27 avril 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Caen. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 13 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Caen, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a de nouveau rejeté sa demande.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 223-1 du code de la route : " Le permis de conduire est affecté d'un nombre de points. Celui-ci est réduit de plein droit si le titulaire du permis a commis une infraction pour laquelle cette réduction est prévue. / A la date d'obtention du permis de conduire, celui-ci est affecté de la moitié du nombre maximal de points. Il est fixé un délai probatoire de trois ans. (...)./ Lorsque le nombre de points est nul, le permis perd sa validité. (...) ". Aux termes de l'article L. 223-3 du même code : " (...) Quand il est effectif, le retrait de points est porté à la connaissance de l'intéressé par lettre simple ou, sur sa demande, par voie électronique. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 223-6 du même code: " Si le titulaire du permis de conduire n'a pas commis, dans le délai de deux ans à compter de la date du paiement de la dernière amende forfaitaire, de l'émission du titre exécutoire de la dernière amende forfaitaire majorée, de l'exécution de la dernière composition pénale ou de la dernière condamnation définitive, une nouvelle infraction ayant donné lieu au retrait de points, son permis est affecté du nombre maximal de points (...)/ Le titulaire du permis de conduire qui a commis une infraction ayant donné lieu à retrait de points peut obtenir une récupération de points s'il suit un stage de sensibilisation à la sécurité routière qui peut être effectué dans la limite d'une fois par an. (...) ".

4. Enfin, aux termes de l'article R. 223-1 du code de la route : " A la date d'obtention du permis de conduire, celui-ci est affecté d'un nombre initial de six points. / Au terme de chaque année du délai probatoire défini à l'article L. 223-1, si aucune infraction ayant donné lieu à retrait de points n'a été commise depuis le début de la période probatoire, ce permis de conduire est majoré de deux points. (...). / III. Pendant le délai probatoire, le permis de conduire ne peut être affecté d'un nombre de points supérieur à six. ". Et aux termes de l'article R. 223-8 : " I. Le titulaire de l'agrément prévu au II de l'article R. 213-2 délivre une attestation de stage à toute personne qui a suivi un stage de sensibilisation à la sécurité routière dans le respect de conditions d'assiduité et de participation fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité routière. Il transmet un exemplaire de cette attestation au préfet du département du lieu du stage, dans un délai de quinze jours à compter de la fin de celui-ci. / II. L'attestation délivrée à l'issue du stage effectué en application des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 223-6 donne droit à la récupération de quatre points dans la limite du plafond affecté au permis de conduire de son titulaire. / III. Le préfet mentionné au I ci-dessus procède à la reconstitution du nombre de points dans un délai d'un mois à compter de la réception de l'attestation et notifie cette reconstitution à l'intéressé par lettre simple. La reconstitution prend effet le lendemain de la dernière journée de stage. (...) ".

5. Il résulte des dispositions des articles L. 223-1, L. 223-3 et L. 223-6 du code de la route que les décisions portant retrait de points d'un permis de conduire, de même que celles qui constatent la perte de validité du permis pour solde de points nul, ne sont opposables au titulaire de ce permis qu'à compter de la date à laquelle elles lui sont notifiées. Tant que le retrait de l'ensemble des points du permis ne lui a pas été rendu opposable, l'intéressé peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 223-6 du code de la route citées au point 3 prévoyant des reconstitutions de points lorsque le titulaire du permis a accompli un stage de sensibilisation à la sécurité routière ou des autres dispositions de cet article lorsqu'il n'a commis aucune infraction ayant donné lieu à retrait de points pendant une certaine période.

6. Il appartient au juge administratif, saisi d'une contestation portant sur un retrait de points du permis de conduire, lequel constitue une sanction que l'administration inflige à un administré, de se prononcer sur cette contestation comme juge de plein contentieux et il en va de même lorsque le juge est saisi d'un recours contre une décision constatant la perte de validité d'un permis de conduire pour solde de points nul. Dans le cas où il apparaît que le solde des points était nul à la date à laquelle une telle décision est intervenue, quelle que soit la date à laquelle elle a été portée à la connaissance de l'intéressé, et que, faute pour l'administration de l'avoir rendue opposable en la notifiant à l'intéressé, celui-ci a pu ultérieurement remplir les conditions pour bénéficier d'une reconstitution totale ou partielle de son capital de points, il appartient au juge de prononcer l'annulation de la décision.

Sur le pourvoi :

7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B..., titulaire d'un permis de conduire délivré le 16 juin 2016, initialement doté de six points, a commis le 6 septembre 2016 une infraction ayant donné lieu à un retrait de deux points puis, le 17 mars 2017, une nouvelle infraction. Par décision " 48 SI " du 3 août 2018, le ministre de l'intérieur a procédé au retrait de six points en conséquence de cette dernière infraction et constaté la perte de validité du permis de conduire de M. B... pour solde de points nul. Cette décision a été notifiée, et ainsi rendue opposable à M. B..., le 13 août 2018, soit postérieurement au lendemain de la dernière journée du stage de sensibilisation à la sécurité routière suivi par l'intéressé les 6 et 7 août 2018.

8. Il ressort des termes du jugement attaqué que le président du tribunal administratif a jugé que le permis de conduire probatoire de M. B... était encore doté de quatre points le 8 août 2018, lendemain de la dernière journée du stage, et en a déduit que, compte tenu du plafond de six points applicable à un permis de conduire probatoire, le stage suivi par l'intéressé ne lui avait permis de récupérer que deux points, et non quatre, de sorte qu'à la date de l'enregistrement de la seconde infraction au relevé d'information intégral du système national des permis de conduire, le 23 octobre 2018, l'intéressé disposant de six points, le solde de son permis avait été ramené à zéro après amputation de six points au titre de cette seconde infraction. Il résulte toutefois de ce qui est dit aux points 5 et 6 que, si le retrait de six points porté à la connaissance de M. B... par la décision du 3 août 2018 n'était pas encore opposable à celui-ci, faute de lui avoir encore été notifié, il était néanmoins effectif dès la date de cette décision, et devait par conséquent être pris en compte dans la détermination du solde de points du permis avant la récupération attachée à l'accomplissement du stage de sensibilisation à la sécurité routière. Dès lors, en statuant comme il l'a fait, le président du tribunal administratif a entaché son jugement d'erreur de droit. Par suite, M. B... est fondé à en demander l'annulation.

9. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

10. Il résulte de ce qui est dit aux points 5 et 6 que, du fait des retraits de deux et six points successivement effectués par le ministre de l'intérieur, le permis de conduire probatoire de M. B..., initialement doté de six points, présentait un solde négatif de deux points à la date de la décision " 48 SI " du 3 août 2018. Le stage de sensibilisation suivi par M. B... les 6 et 7 août 2018 lui a ainsi permis de récupérer quatre points le 8 août 2018, lendemain du dernier jour de ce stage, de sorte que son permis était alors doté de deux points. M. B... est par suite fondé à demander l'annulation de la décision du 3 août 2018 constatant l'invalidité de son permis de conduire pour solde de points nul. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer, par application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de réattribuer deux points au permis de conduire de M. B... et d'en tirer les conséquences sur le capital de points et le droit de conduire de l'intéressé.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement n° 2101016 du 13 décembre 2021 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La décision " 48 SI " du 3 août 2018 du ministre de l'intérieur est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réattribuer deux points au permis de conduire de M. B....
Article 4 : L'Etat versera à M. B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 septembre 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat ; Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 29 septembre 2023.


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