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Ariane Web: Conseil d'État 473633, lecture du 9 novembre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:473633.20231109

Décision n° 473633
9 novembre 2023
Conseil d'État

N° 473633
ECLI:FR:CECHR:2023:473633.20231109
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteur
M. Thomas Janicot, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats


Lecture du jeudi 9 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. D... A... et Mme C... B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution des décisions du 14 février 2023 par lesquelles le président du conseil départemental de Seine-et-Marne a retiré leurs agréments d'assistant familial, ainsi que des décisions du 27 février 2023 par lesquelles il les a licenciés. Par une ordonnance nos 2302229, 2302230 du 11 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a fait droit à ces demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 avril, 11 mai et 18 octobre 2023, le département de Seine-et-Marne demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter les demandes de M. A... et de Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de M. A... et Mme B... la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat du département de Seine-et-Marne et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. A... et de Mme B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés du tribunal administratif que M. A... et Mme B... bénéficiaient chacun d'un agrément d'assistant familial pour l'accueil respectivement de deux et trois enfants, délivré par le département de Seine-et-Marne qui les employait en cette qualité. Par deux décisions du 6 octobre 2022, le président du conseil départemental de Seine-et-Marne a suspendu, pour une durée de quatre mois, ces agréments au motif qu'il avait été " destinataire d'une information préoccupante faisant état de faits graves remettant en cause [leurs] pratiques professionnelles ", cette information ayant été transmise au procureur de la République de Melun. Par deux courriers du 22 décembre 2022, ils ont été convoqués à la séance du 25 janvier 2023 de la commission consultative paritaire départementale. Par un courrier du 11 janvier 2023, en réponse à leur demande du 3 janvier 2023, le président du conseil départemental a refusé de leur fournir davantage de précisions sur les faits ayant justifié la transmission d'une information préoccupante au procureur de la République, au motif que ces éléments faisaient l'objet d'une instruction judiciaire. Le 25 janvier 2023, les membres de la commission consultative paritaire départementale ont indiqué se trouver dans l'impossibilité de rendre un avis sur le retrait envisagé de leurs agréments. Par deux décisions du 14 février 2023, le président du conseil départemental a retiré les agréments d'assistant familial de M. A... et Mme B... puis, par deux décisions du 27 février 2023, les a licenciés. Le département de Seine-et-Marne se pourvoit en cassation contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a fait droit aux demandes, présentées par M. A... et par Mme B... sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspension de l'exécution des décisions du 14 février 2023 et des décisions du 27 février 2023.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 421-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'assistant familial est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon permanente des mineurs et des jeunes majeurs de moins de vingt et un ans à son domicile. Son activité s'insère dans un dispositif de protection de l'enfance, un dispositif médico-social ou un service d'accueil familial thérapeutique. Il exerce sa profession comme salarié de personnes morales de droit public ou de personnes morales de droit privé dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre ainsi que par celles du chapitre III du présent livre, après avoir été agréé à cet effet. / L'assistant familial constitue, avec l'ensemble des personnes résidant à son domicile, une famille d'accueil ". En vertu de l'article L. 421-3 de ce code, l'agrément est accordé aux assistants familiaux si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. Aux termes de l'article L. 421-6 du même code : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, (...) procéder à son retrait. (...) / Toute décision de retrait de l'agrément (...) doit être dûment motivée et transmise sans délai aux intéressés. / En cas de retrait d'un agrément motivé notamment par la commission de faits de violences à l'encontre des mineurs accueillis, il ne peut être délivré de nouvel agrément à la personne à qui l'agrément a été retiré avant l'expiration d'un délai approprié, quel que soit le département dans lequel la nouvelle demande est présentée. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 421-23de ce code : " Lorsque le président du conseil départemental envisage de retirer un agrément (...), il saisit pour avis la commission consultative paritaire départementale mentionnée à l'article R. 421-27 en lui indiquant les motifs de la décision envisagée. / L'assistant (...) familial concerné est informé, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des motifs de la décision envisagée à son encontre, de la possibilité de consulter son dossier administratif et de présenter devant la commission ses observations écrites ou orales (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que, s'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément de l'assistant familial si ces conditions ne sont plus remplies, il ne peut le faire qu'après avoir saisi pour avis la commission consultative paritaire départementale compétente, devant laquelle l'intéressé est en droit de présenter ses observations écrites ou orales, en lui indiquant, ainsi qu'à l'assistant familial concerné, les motifs de la décision envisagée. La consultation de cette commission sur ces motifs, à laquelle est attachée la possibilité pour l'intéressé de présenter ses observations, revêt ainsi pour ce dernier le caractère d'une garantie. Il en résulte qu'un tel retrait ne peut intervenir pour un motif qui n'aurait pas été soumis à la commission consultative paritaire départementale et sur lequel l'intéressé n'aurait pu présenter devant elle ses observations.

4. Dans l'hypothèse où le président du conseil départemental envisage de retirer l'agrément d'un assistant familial après avoir été informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant, de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient, dans l'intérêt qui s'attache à la protection de l'enfance, de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime de tels comportements ou risque de l'être. Il lui incombe, avant de prendre une décision de retrait d'agrément, de communiquer à l'intéressé ainsi qu'à la commission consultative paritaire départementale les éléments sur lesquels il entend se fonder, sans que puisse y faire obstacle la circonstance qu'une procédure pénale serait engagée, à laquelle s'appliquent les dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale relatives au secret de l'instruction pénale. Si la communication de certains de ces éléments est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui auraient alerté les services du département, à l'enfant concerné ou aux autres enfants accueillis ou susceptibles de l'être, il incombe au département non de les communiquer dans leur intégralité mais d'informer l'intéressé et la commission de leur teneur, de telle sorte que, tout en veillant à la préservation des autres intérêts en présence, l'intéressé puisse se défendre utilement et que la commission puisse rendre un avis sur la décision envisagée.

Sur le pourvoi :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

6. En premier lieu, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant et de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

7. En relevant, pour juger que la condition d'urgence était remplie, d'une part, que les décisions litigieuses avaient pour effet de faire obstacle à la poursuite, par M. A... et Mme B..., de leur activité professionnelle et privaient leur foyer de tout revenu d'activité, d'autre part, que leur détresse psychique était établie et, enfin, que l'existence d'un intérêt public suffisant justifiant le maintien de l'exécution de ces décisions n'était pas établie, le département de Seine-et-Marne ne donnant aucune information sur l'information préoccupante qui en était à l'origine, le juge des référés du tribunal administratif s'est, sans erreur de droit, livré à une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation.

8. En second lieu, il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés du tribunal administratif que M. A... et Mme B... ont eu pour seule information, mentionnée dans les décisions du 6 octobre 2022 suspendant leurs agréments d'assistant familial, que le département de Seine-et-Marne avait été destinataire d'une information préoccupante faisant état de faits graves remettant en cause leurs pratiques professionnelles, le président du conseil départemental ayant refusé de leur apporter des précisions sur la teneur des éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux leur ayant raisonnablement permis de penser que le ou les enfants étaient victimes des comportements en cause ou risquaient de l'être, au motif que ces éléments faisaient l'objet d'une instruction pénale. En outre, la commission consultative paritaire départementale, saisie pour avis par le président du conseil départemental en vue d'un éventuel retrait d'agrément, s'est trouvée dans l'impossibilité de rendre un avis faute de disposer de ces éléments. En jugeant qu'étaient propres à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées les moyens tirés de ce que ces dernières avaient été prises en méconnaissance des dispositions de l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles, des droits de la défense et du principe du caractère contradictoire de la procédure, le juge des référés du tribunal administratif s'est livré à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation, et n'a pas commis d'erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le département de Seine-et-Marne n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

Sur les frais de l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de Seine-et-Marne une somme globale de 3 000 euros à verser à M. A... et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A... et Mme B..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du département de Seine-et-Marne est rejeté.
Article 2 : Le département de Seine-et-Marne versera à M. A... et Mme B... une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au département de Seine-et-Marne et à M. D... A... et Mme C... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Verot, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 9 novembre 2023.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber


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