Conseil d'État
N° 454475
ECLI:FR:CECHR:2024:454475.20240215
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Nicolas Jau, rapporteur
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats
Lecture du jeudi 15 février 2024
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 juillet 2021, 8 octobre 2021, 4 février 2022 et 27 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Transport stockage énergies et la société Ardian demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 21-DCC-79 de l'Autorité de la concurrence du 12 mai 2021 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société du pipeline Méditerranée-Rhône par la société Transport stockage énergies ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'environnement :
- le décret du 8 mai 1967 autorisant la construction et l'exploitation d'une conduite d'intérêt général destinée au transport d'hydrocarbures liquides ;
- le décret n° 2012-615 du 2 mai 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Transport stockage énergies et de la société Ardian ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Transport stockage énergie (TSE), filiale de fonds gérés par la société Ardian, a adressé le 14 septembre 2020 à l'Autorité de la concurrence un dossier de notification relatif à la prise de contrôle exclusif de la société du pipeline Méditerranée-Rhône (SPMR), résultant de son acquisition des actions et droits de vote détenus au sein de celle-ci par la société ENI. Avant cette opération, le capital social de la SPMR, propriétaire du pipeline Méditerranée-Rhône (PMR), réseau de canalisations d'environ 760 kilomètres de long qui approvisionne en produits pétroliers raffinés les dépôts du sud-est de la France, était partagé entre TSE, pour 47,2 %, la société Trapil, pour 32,8 % et à qui la SPMR a délégué l'exploitation de l'oléoduc, la société Esso, pour 14,2 %, ENI, pour 5 % et la société Thevenin Ducrot Distribution, pour 0,8 %. Par une décision n° 20-DEX-01 du 8 décembre 2020, l'Autorité a décidé l'ouverture d'un examen approfondi de l'opération dans les conditions prévues aux articles L. 430-5 à L. 430-7 du code de commerce. Par une décision n° 21-DCC-79 du 12 mai 2021, l'Autorité a interdit l'opération, estimant que les engagements proposés par les parties n'étaient pas suffisants pour prévenir les risques d'atteinte à la concurrence sur le marché du transport des produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France induits par l'opération et qu'aucune autre mesure, prenant la forme d'injonctions, ne permettait d'assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur ce marché. Les sociétés TSE et Ardian demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
Sur le cadre juridique applicable :
2. D'une part, aux termes du 2° du I de l'article L. 430-1 du code de commerce, une opération de concentration est réalisée " lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 430-6 du même code : " Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet, en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence examine si elle est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Elle apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. / La procédure applicable à cet examen approfondi de l'opération par l'Autorité de la concurrence est celle prévue au deuxième alinéa de l'article L. 463-2 et aux articles L. 463-4, L. 463-6 et L. 463-7. Toutefois, les parties qui ont procédé à la notification et le commissaire du Gouvernement doivent produire leurs observations en réponse à la communication du rapport dans un délai de quinze jours ouvrés. / (...) ". Aux termes de l'article L. 430-7 du même code : " I. - Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence prend une décision dans un délai de soixante-cinq jours ouvrés à compter de l'ouverture de celui-ci. / II. - Après avoir pris connaissance de l'ouverture d'un examen approfondi en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, les parties peuvent proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération. Lorsque des engagements ou des modifications apportées à des engagements déjà proposés sont transmis à l'Autorité de la concurrence moins de vingt jours ouvrés avant la fin du délai mentionné au I, celui-ci expire vingt jours ouvrés après leur réception, dans la limite de quatre-vingt-cinq jours ouvrés à compter de l'ouverture de l'examen approfondi. / En cas de nécessité particulière, telle que la finalisation des engagements mentionnés à l'alinéa précédent, les parties peuvent demander à l'Autorité de la concurrence de suspendre les délais d'examen de l'opération dans la limite de vingt jours ouvrés. Ces délais peuvent également être suspendus à l'initiative de l'Autorité de la concurrence lorsque les parties ayant procédé à la notification ont manqué de l'informer d'un fait nouveau dès sa survenance ou de lui communiquer, en tout ou partie, les informations demandées dans le délai imparti, ou que des tiers ont manqué de lui communiquer, pour des raisons imputables aux parties ayant procédé à la notification, les informations demandées. En ce cas, le délai reprend son cours dès la disparition de la cause ayant justifié sa suspension. / III. - L'Autorité de la concurrence peut, par décision motivée : / - soit interdire l'opération de concentration et enjoindre, le cas échéant, aux parties de prendre toute mesure propre à rétablir une concurrence suffisante ; / - soit autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. / Les injonctions et prescriptions mentionnées aux deux alinéas précédents s'imposent quelles que soient les clauses contractuelles éventuellement conclues par les parties. / Le projet de décision est transmis aux parties intéressées, auxquelles un délai raisonnable est imparti pour présenter leurs observations. / IV. - Si l'Autorité de la concurrence n'entend prendre aucune des décisions prévues au III, elle autorise l'opération par une décision motivée. L'autorisation peut être subordonnée à la réalisation effective des engagements pris par les parties qui ont procédé à la notification. / V. - Si aucune des décisions prévues aux III et IV n'a été prise dans le délai mentionné au I, éventuellement prolongé en application du II, l'Autorité de la concurrence en informe le ministre chargé de l'économie. L'opération est réputée avoir fait l'objet d'une décision d'autorisation au terme du délai ouvert au ministre chargé de l'économie par le II de l'article L. 430-7-1 ". En application du II de cet article L. 430-7-1, ce délai est de vingt-cinq jours ouvrés.
4. Enfin, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 463-2 du même code : " Le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés ". Et aux termes de l'article L. 463-7 : " Les séances de l'Autorité de la concurrence ne sont pas publiques. Seules les parties et le commissaire du Gouvernement peuvent y assister. Les parties peuvent demander à être entendues par l'Autorité et se faire représenter ou assister ".
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
5. Il ressort des pièces du dossier que la phase d'examen approfondi a été ouverte par l'Autorité de la concurrence le 8 décembre 2020. Les parties ont ensuite reçu communication du rapport du service d'instruction, daté du 17 février 2021, qui contenait une analyse des premiers engagements proposés le 21 janvier 2021, et y ont répondu le 10 mars 2021. Les requérantes ont ensuite pu présenter des observations orales lors de la séance du 24 mars 2021. Elles ont ensuite soumis deux nouvelles versions des engagements proposés, les 30 mars et 21 avril 2021, qui ont porté le délai laissé à l'Autorité de la concurrence pour prendre sa décision à la limite de quatre-vingt-cinq jours ouvrés, au 14 mai 2021. L'Autorité de la concurrence a réalisé un test de marché sur la dernière version des engagements présentés et le collège a délibéré sur ces engagements le 3 mai 2021. Elle a alors transmis aux requérantes le projet de décision le vendredi 7 mai 2021, en sollicitant une réponse pour le 11 mai au soir, puis a publié sa décision le 12 mai 2021, avant-dernier jour ouvré avant l'expiration du délai.
6. En premier lieu, il ne résulte pas des dispositions citées aux points 3 et 4 que, lorsque les parties à l'opération de concentration proposent de nouveaux engagements à l'Autorité de la concurrence au cours de la procédure d'examen approfondi, celle-ci soit tenue d'organiser une nouvelle séance avec le collège, ni que le rapporteur général ou le rapporteur général-adjoint soit tenu de produire un rapport complémentaire avant que le collège ne se prononce sur ces engagements. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence aurait méconnu les exigences du contradictoire et les droits de la défense en ne leur communiquant pas ses critiques contre la troisième version des engagements, proposée le 21 avril 2021, et en ne les conviant pas à présenter leurs observations avant le délibéré du collège sur ces engagements.
7. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les requérantes ont soumis la dernière version de leurs engagements, substantiellement différente des précédentes, à un stade avancé de la procédure. La brièveté du délai de quatre jours, dont deux ouvrés, qui leur a été laissé pour présenter leurs observations sur le projet de décision, résultait nécessairement du délai contraint restant à l'Autorité de la concurrence, après analyse de cette dernière version des engagements, pour rendre sa décision, en application des dispositions citées au point 3. Dès lors, et dans les circonstances de l'espèce, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence ne leur aurait pas laissé un délai raisonnable pour présenter leurs observations sur le projet de décision, et qu'il aurait ainsi été porté atteinte aux droits de la défense ou aux exigences du contradictoire.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne l'analyse des effets de l'opération sur la concurrence :
8. Il appartient à l'Autorité de la concurrence saisie d'une opération de concentration, à partir d'une analyse prospective tenant compte de l'ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération et d'apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte.
9. L'Autorité de la concurrence a estimé que le PMR était en situation de monopole de fait sur le marché pertinent du transport des produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France. Elle a considéré qu'il s'agissait d'une infrastructure essentielle compte tenu de son caractère incontournable et non duplicable par d'éventuels concurrents. Elle a relevé qu'avant l'opération, aucun actionnaire n'exerçait une influence déterminante sur la SPMR, de sorte que la prise de décision au sein de la société nécessitait un certain consensus entre des actionnaires ayant des intérêts divergents, certains étant utilisateurs de l'oléoduc, contribuant ainsi à limiter les hausses de prix. Après l'opération, elle a estimé qu'Ardian aurait la capacité et l'incitation à mettre en oeuvre une stratégie de hausse de prix ou de dégradation de la qualité de service, dès lors, d'une part, qu'elle exercerait un contrôle exclusif sur la SPMR lui permettant de prendre seule les décisions relatives à la politique commerciale et tarifaire de la société et que le contrôle exercé par le commissaire du Gouvernement et le ministre chargé de l'économie sur la SPMR, bien que réel, se limite pour l'essentiel au champ de la politique énergétique et à la continuité d'approvisionnement en produits pétroliers du territoire français et non aux questions de concurrence, d'autre part, qu'Ardian n'exerçant pas d'activité en amont ou en aval du transport de produits pétroliers par oléoduc et n'étant donc pas une utilisatrice de l'infrastructure, n'avait pas d'intérêt à modérer les hausses de prix, enfin, qu'une dégradation de l'offre de la SPMR n'occasionnerait pas de perte de clientèle significative, les opérateurs répercutant eux-mêmes les hausses de prix sur le consommateur final.
S'agissant du moyen tiré de l'absence de modification structurelle des conditions de concurrence sur le marché concerné :
10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'opération notifiée par TSE le 14 septembre 2020, qui consiste en la prise de contrôle exclusif de la SPMR par la société Ardian, constitue une opération de concentration au sens du 2° du I de l'article L. 430-1 du code de commerce cité au point 2 et que cette opération est de nature à affecter la concurrence sur le marché du transport des produits pétroliers raffinés par oléoduc dans la partie sud de la France, en raison des changements qu'elle entraîne dans les incitations de la SPMR, dès lors que les incitations d'Ardian sont différentes de celles d'ENI s'agissant de la politique tarifaire et commerciale relative au PMR, comme cela résulte notamment de l'examen des prises de position respectives des deux sociétés au sein du conseil d'administration. Dès lors, c'est sans erreur de droit que l'Autorité de la concurrence a considéré que l'opération litigieuse constituait une opération de concentration justifiant qu'elle examine si elle était de nature à porter atteinte à la concurrence.
S'agissant de la qualification d'infrastructure essentielle du PMR :
11. En deuxième lieu, l'Autorité de la concurrence a estimé que le PMR constituait une infrastructure essentielle sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés dans le sud de la France, c'est-à-dire qu'il n'existait pas de produits ou de services constituant des solutions alternatives crédibles, même moins avantageuses, et qu'il existait des obstacles techniques, réglementaires ou économiques de nature à rendre impossible, ou du moins déraisonnablement difficile, pour toute entreprise entendant opérer sur ce marché, de créer, éventuellement en collaboration avec d'autres opérateurs, des produits ou des services alternatifs. Les requérantes contestent cette analyse, en estimant que le PMR fait l'objet d'une pression concurrentielle tenant à l'existence de modes de transport alternatifs. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment des tests de marché, ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence, d'une part, que le montant élevé des investissements requis pour la construction d'un oléoduc et les contraintes réglementaires y afférentes ne rendent pas envisageable l'entrée sur le marché d'un nouvel acteur susceptible de représenter une alternative crédible au PMR sur l'ensemble de son tracé. Il en ressort, d'autre part, que les autres modes de transport de produits pétroliers raffinés ne constituent pas une alternative crédible au PMR, si ce n'est de manière marginale pour le transport par camions sur le tronçon Marseille - Puget-sur-Argens. En effet, le transport, qu'il soit effectué par camion, barge ou train, outre un coût sensiblement plus élevé, ne permet pas d'assurer un volume d'approvisionnement comparable au PMR et n'offre pas les mêmes garanties en termes d'approvisionnement, de sécurité et de limitation des émissions de dioxyde de carbone. S'agissant du tronçon Marseille - Puget-sur-Argens, un report de l'activité du PMR sur le transport par camion n'est ainsi envisageable que pendant une partie de l'année, lorsque la fréquentation routière est modérée, et pour des volumes limités. Par ailleurs, si le transport par barge, lorsqu'il est possible, ou par train, sont à même de concerner des volumes plus importants que le transport par camion, ils ne permettent pas d'offrir une sécurité des approvisionnements comparable au transport par oléoduc. En outre, la plupart des dépôts actuellement connectés au PMR ne sont pas équipés d'installations pour recevoir de tels moyens de transport et leur interconnexion éventuelle serait excessivement coûteuse et difficile à mettre en oeuvre. Ces modes de transport ne constituent donc pas, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, une alternative crédible au PMR. Dès lors, c'est sans erreur de droit ni erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé que le PMR avait la nature d'une infrastructure essentielle non soumise à une réelle pression concurrentielle.
S'agissant du contrôle exercé par l'Etat sur la SPMR :
12. En troisième lieu, les requérantes soutiennent que le contrôle exercé par l'Etat sur la SPMR lui permet de s'opposer à toute décision qui serait contraire à l'intérêt général, incluant ainsi la préservation de la concurrence sur le marché, et que ce contrôle permettrait de remédier au risque d'atteinte à la concurrence susceptible de résulter de l'opération en cause.
13. D'une part, la construction et l'exploitation du PMR ont été autorisées par le décret du 8 mai 1967 autorisant la construction et l'exploitation d'une conduite d'intérêt général destinée au transport d'hydrocarbures liquides. L'article 6 de ce décret prévoit que le ministre chargé de l'énergie désigne auprès de cette société un commissaire du Gouvernement, qui peut s'opposer à toute décision de la société contraire à la politique générale du Gouvernement en matière de carburants, de combustibles et de transports. L'article 13 du même décret prévoit que les conditions financières de transport " sont les mêmes pour tous les usagers, dans des conditions comparables notamment de qualité des produits, de régularité et d'importance du trafic et de localisation géographique ". De plus, le décret du 2 mai 2012 relatif à la sécurité, l'autorisation et la déclaration d'utilité publique des canalisations de transport de gaz, d'hydrocarbures et de produits chimiques prévoit, en son article 6, la possibilité pour le ministre chargé de l'énergie de s'opposer aux changements de capital ayant pour conséquence une modification du contrôle de la société, la possibilité pour le commissaire du Gouvernement de s'opposer notamment à toute décision de la société contraire à la politique générale du Gouvernement en matière d'énergie, selon les modalités prévues par les statuts de la société, le contrôle du ministre chargé de l'énergie sur les dispositions des statuts relatives au commissaire du Gouvernement ainsi que la possibilité, pour le ministre chargé de l'énergie, de s'opposer aux décisions de la société instituant ou modifiant les tarifs d'accès à ses canalisations, dans un délai de deux mois, réduit à un mois pour les modifications tarifaires.
14. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que l'article 24 des statuts de la SPMR précise les modalités du contrôle du commissaire du Gouvernement qui " assiste aux assemblées générales et aux séances du conseil d'administration ", " peut prendre part, à sa demande, aux séances des comités et groupes de travail qui seraient institués au sein de la [SPMR] ", " dispose de tous pouvoirs d'investigation sur pièce et sur place ", " peut faire connaître au conseil d'administration son avis sur les problèmes qui y sont évoqués et sur l'orientation de la politique générale suivie par la société ", " présente toutes observations qu'il juge conforme à l'intérêt général ", " peut demander l'inscription de toute question à l'ordre du jour " et " peut présenter des réserves sur toute décision de la société jugée par lui incompatible avec la politique générale du Gouvernement en matière d'approvisionnement pétrolier ou de transports ". Il est prévu que " l'exécution de la décision est, du fait de ces réserves, suspendue jusqu'à nouvelle réunion du Conseil, où la question est obligatoirement inscrite à l'ordre du jour. Lors de ce deuxième examen, le Commissaire du Gouvernement peut, soit lever ses réserves, soit les maintenir, soit notifier son désaccord. En cas de mainlevée des réserves, la décision du Conseil intervenant sur deuxième étude est exécutoire. Elle l'est également, malgré le maintien des réserves, sauf si le Commissaire signifie son désaccord. En cas de désaccord, le Commissaire du Gouvernement est tenu de le confirmer par écrit au Président, dans un délai de huit jours à compter de la décision du Conseil et d'en saisir le Ministre dont il relève ; l'exécution de la décision contestée reste alors suspendue. Elle ne devient exécutoire qu'en l'absence de prise de position contraire du Ministre, à l'expiration d'un délai de deux mois ".
15. Il résulte de ces dispositions et stipulations que le commissaire du Gouvernement et le ministre chargé de l'énergie peuvent s'opposer aux décisions, tarifaires et non-tarifaires, prises par la société, dans la mesure où ces décisions sont contraires à la politique générale du Gouvernement en matière d'énergie. Ce contrôle n'a cependant pas pour objet de garantir que la SPMR ne conduit pas une politique portant atteinte au maintien d'une concurrence suffisante. A cet égard, et ainsi qu'il ressort notamment de l'audition, par l'Autorité de la concurrence, de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui assure ce contrôle, celui-ci n'est pas exercé à des fins de régulation tarifaire mais en vue de garantir la sécurité de l'approvisionnement pétrolier, et celle-ci serait fragilisée en cas de refus de validation des tarifs proposés susceptible de perturber le trafic dans l'oléoduc concerné. Dès lors, c'est sans erreur de droit ni erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé que le contrôle exercé par l'Etat sur la SPMR, s'il peut permettre d'en limiter les effets les plus marqués, n'est pas de nature à faire effectivement obstacle à l'exercice, par Ardian, du pouvoir de marché qu'elle détiendrait à l'issue de l'opération.
S'agissant de la prise en compte des effets non-tarifaires de l'opération :
16. L'Autorité de la concurrence a relevé qu'après l'opération, la société Ardian aurait la capacité et l'incitation à user du pouvoir de marché de la SPMR, propriétaire du PMR, qui est en situation de monopole de fait sur le marché du transport des produits pétroliers raffinés par oléoduc dans la partie sud de la France, en augmentant les tarifs ou en dégradant la qualité de service. Elle a retenu que le changement des incitations de la SPMR dû à l'opération était susceptible de se traduire par une dégradation de la qualité de service pouvant notamment se matérialiser par une réduction au strict minimum des investissements nécessaires à la maintenance, au renouvellement et aux raccordements du réseau ou par une augmentation du temps d'attente des clients pour leur approvisionnement. Si les sociétés requérantes font valoir qu'il n'existe pas, dans la littérature économique, de lien univoque entre la concentration du marché et l'incitation à offrir une qualité de service et à innover, elles n'apportent aucun élément de nature à remettre en cause, en l'espèce, l'appréciation de l'Autorité de la concurrence, fondée sur un scénario économique suffisamment plausible et étayé, qui s'appuie notamment sur l'examen des comptes rendus du conseil d'administration de la SPMR illustrant la volonté d'Ardian d'user du pouvoir de marché de cette société et sur les tests de marché réalisés au cours de l'instruction du dossier qui ont confirmé l'existence d'un risque potentiel de dégradation de l'offre non-tarifaire, comme d'ailleurs tarifaire, de la SPMR.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence aurait commis une erreur de droit, une erreur de fait ou une erreur d'appréciation en considérant que l'opération projetée était de nature à porter atteinte à la concurrence, par le biais d'effets tarifaires et non-tarifaires, sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoduc dans la partie sud de la France.
En ce qui concerne l'appréciation portée sur les engagements proposés par la société Ardian :
18. Lorsque lui est notifiée une opération de concentration dont la réalisation est soumise à son autorisation, il incombe à l'Autorité de la concurrence d'user des pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties, qui lui sont conférés par les dispositions des articles L. 430-6 et suivants du code de commerce, à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération. D'une part, l'Autorité de la concurrence n'est pas tenue, lorsqu'elle identifie un effet anticoncurrentiel de l'opération, d'adopter des mesures correctives de nature à le supprimer intégralement, pourvu que ces mesures permettent d'assurer le maintien d'une concurrence suffisante. D'autre part, les engagements qu'elle accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche.
S'agissant des engagements proposés le 21 janvier 2021 et complétés le 30 mars 2021 :
19. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les engagements présentés le 21 janvier 2021 et complétés le 30 mars 2021 visaient principalement à limiter la capacité d'Ardian à décider seule de hausses tarifaires en prévoyant notamment que cette société ne nommerait que six des neuf membres du conseil d'administration de la SPMR, les autres étant nommés par les actionnaires minoritaires Trapil et Esso, et que deux de ses administrateurs s'abstiendraient de voter sur les propositions de hausse de la grille tarifaire, de sorte que toute décision de hausse tarifaire nécessiterait l'aval d'au-moins un autre administrateur (engagements E.1 à E.3). Ardian s'engageait en outre à accroître le rôle du commissaire du Gouvernement s'agissant des décisions non-tarifaires, en prévoyant que son avis serait sollicité sur les propositions soumises au vote du conseil d'administration de la SPMR portant en particulier sur la modification des règles de fonctionnement du PMR, de la politique commerciale et de la politique d'investissement, que les administrateurs d'Ardian ne voteraient pas en faveur de propositions ayant donné lieu à un désaccord motivé ou des réserves du commissaire du Gouvernement, que les décisions prises sans avis favorable du commissaire du Gouvernement ne seraient pas mises en oeuvre pendant un délai d'un mois à compter de leur adoption au cours duquel le commissaire du Gouvernement pourrait exprimer des réserves ou un désaccord, que dans un tel cas, les décisions ne seraient pas exécutées tant que le conseil d'administration ne se réunirait pas à nouveau et que les décisions en cause seraient révoquées par le conseil d'administration si le commissaire du Gouvernement maintenait, en les motivant, son désaccord ou ses réserves au plus tard lors de la nouvelle réunion du conseil d'administration (engagements E.4). Ardian s'engageait également à accroître les informations communiquées au commissaire du Gouvernement notamment en lui transmettant les éléments justificatifs des propositions soumises au conseil d'administration ainsi que l'avis du comité des utilisateurs, organe consultatif prévu par les mêmes engagements (engagements E. 5 à E.9). Il était proposé que ces engagements soient souscrits pour une durée de vingt ans, renouvelables par tranches de dix ans, autant de fois que l'Autorité de la concurrence l'estimerait nécessaire, et au plus tard jusqu'à l'adoption d'une régulation sur la tarification du transport d'hydrocarbures par oléoduc.
20. L'Autorité de la concurrence a rejeté ces engagements au motif, notamment, d'une part, que s'ils supprimaient le contrôle positif de la société Ardian sur les décisions tarifaires, c'est-à-dire sa capacité à prendre seule de telles décisions, ils laissaient subsister un contrôle négatif permettant à cette société de bloquer la formation de majorités de vote alternatives, alors que la possibilité de telles majorités, plus favorable aux intérêts des utilisateurs du PMR, existait antérieurement, tandis que, d'autre part, la société Ardian disposait toujours du pouvoir de prendre seule les décisions non-tarifaires, notamment en matière d'investissement ou de politique commerciale, le contrôle exercé par le commissaire du Gouvernement ne visant pas à maintenir une concurrence suffisante.
21. Les sociétés requérantes contestent cette analyse en soutenant, d'une part, s'agissant de la politique tarifaire, que si Ardian conservait un contrôle négatif sur la grille tarifaire, les autres administrateurs n'avaient jamais, avant l'opération, formé une majorité alternative excluant Ardian sur ces votes, d'autre part, s'agissant de la politique non-tarifaire, qu'Ardian, en tant que principal actionnaire, aurait intérêt à ce que la SPMR procède à des investissements permettant de maintenir la qualité de services et préservant la valeur de la société et que le contrôle que l'Etat exercerait sur sa politique tarifaire et non-tarifaire était de nature à prévenir les effets anticoncurrentiels de l'opération. Toutefois, cette argumentation n'est pas de nature à remettre en cause la crédibilité du scénario anticoncurrentiel décrit par l'Autorité de la concurrence et consistant, pour Ardian, à s'appuyer sur sa capacité à prendre seule les décisions non-tarifaires, soit pour obtenir des hausses tarifaires susceptibles d'affecter la concurrence, soit directement pour user du pouvoir de marché que lui confère le contrôle de la SPMR. En particulier, s'agissant du contrôle exercé par l'Etat sur la politique tarifaire et non-tarifaire, quand bien même celui-ci verrait ses pouvoirs étendus par l'effet des engagements proposés, ce qui suppose d'ailleurs qu'il accepte d'exercer le contrôle envisagé, ce contrôle n'est, ainsi qu'il a été dit au point 13, pas de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur le marché affecté par l'opération.
22. L'Autorité de la concurrence n'a donc pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que les engagements présentés les 21 janvier et 30 mars 2021 étaient insuffisants pour remédier aux risques d'atteinte à la concurrence sur le marché affecté par l'opération.
S'agissant des engagements supplémentaires proposés le 21 avril 2021 :
23. En deuxième lieu, les engagements supplémentaires proposés le 21 avril 2021 consistaient principalement, pour une durée de vingt ans renouvelable autant de fois que nécessaire pour une durée de dix ans, jusqu'à adoption d'une nouvelle régulation portant sur le transport d'hydrocarbures par oléoduc, à maintenir au conseil d'administration la représentation de tout actionnaire de la SPMR détenant au moins 10 % du capital et des droits de vote mais moins de 50 % de ce capital et de ces droits, à conserver une composition d'au moins neuf membres au sein du conseil d'administration, à limiter à quatre le nombre d'administrateurs d'Ardian, à prévoir que quatre administrateurs seraient choisis par les actionnaires minoritaires et que le neuvième serait un administrateur indépendant, qui remplacerait l'actuel administrateur de la société ENI, de sorte que des propositions puissent être adoptées par le conseil d'administration sans l'aval de la société Ardian (engagements E.1). La société Ardian s'engageait également à notifier à l'Autorité de la concurrence, qui pouvait s'y opposer, toute proposition de modification du nombre d'administrateurs de la SPMR (engagements E.2), et, en vue de prévenir tout contournement de l'effet utile des engagements E.1 et E.2, à ne pas détenir plus de deux tiers du capital et des droits de vote de la SPMR afin de ne pas avoir le pouvoir de modifier seule les statuts de la société, d'une part, et à ne pas faire inscrire à l'ordre du jour des assemblées générales ordinaires des projets de résolution qui relèvent de la compétence du conseil d'administration et qui portent sur des décisions stratégiques au sens du droit des concentrations (nomination des dirigeants autres que les administrateurs, adoption du budget ou du plan d'affaires), des décisions relatives à l'exploitation commerciale de la SPMR et des décisions relatives à l'exploitation technique du PMR, d'autre part (engagements E.3).
24. L'Autorité de la concurrence a rejeté ces engagements en estimant, notamment, que la nomination d'un administrateur indépendant agissant dans le meilleur intérêt social de la SPMR, lequel pouvait résider dans des hausses de prix dès lors que cette société n'était pas active en amont ou en aval du transport pétrolier par oléoduc, ne garantissait pas que la société Ardian n'aurait pas pu user de son pouvoir de marché. A cet égard, les réponses au test de marché mené par l'Autorité de la concurrence sur cette dernière version des engagements font ressortir la forte probabilité qu'un administrateur indépendant ait, s'agissant notamment de la politique tarifaire ou de la politique d'investissement, une position proche de celle d'Ardian et consistant à tirer profit du pouvoir dont dispose la SPMR sur le marché du transport des produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France, dès lors qu'une telle position serait dans l'intérêt de la SPMR. La composition du conseil d'administration résultant de cet engagement aurait alors pour conséquence une dégradation de la situation concurrentielle par rapport à la composition avant l'opération, qui permettait, ainsi qu'il ressort de l'examen des positions respectives des différents actionnaires au sein du conseil d'administration, de modérer les hausses tarifaires demandées par Ardian. Ce motif, qui n'est pas contesté par les requérantes, suffit ainsi à justifier que les engagements tels que complétés par ceux proposés le 21 avril 2021 n'étaient pas de nature à pallier les effets anticoncurrentiels de l'opération sur le marché du transport des produits pétroliers raffinés par oléoduc dans la partie sud de la France. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens dirigés contre les autres motifs retenus par l'Autorité de la concurrence, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que celle-ci aurait entaché sur ce point sa décision d'une erreur d'appréciation.
S'agissant des injonctions que l'Autorité de la concurrence aurait pu prononcer :
25. En troisième lieu, il résulte des dispositions citées au point 3, que, lorsqu'elle estime qu'une opération est de nature à porter atteinte à la concurrence malgré les engagements présentés par les parties, l'Autorité de la concurrence peut autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Toutefois, l'Autorité de la concurrence, qui doit se prononcer en respectant l'impératif de célérité qui caractérise l'économie générale de la procédure d'examen des projets d'opération de concentration, ne saurait se substituer aux parties, auxquelles il incombe en premier lieu de proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération. Lorsque tel n'est pas le cas des engagements proposés, l'Autorité de la concurrence ne saurait être tenue d'y substituer ou d'y ajouter des injonctions dont, eu égard notamment à la nature et à l'importance des effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration envisagée et à la difficulté de déterminer des mesures adéquates pour les compenser, la faisabilité ou l'efficacité n'aurait pas été établies par l'instruction du dossier, ou qui modifieraient substantiellement la nature de l'opération concernée, et peut alors, sans porter une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie, décider d'interdire l'opération.
26. Les requérantes soutiennent que l'Autorité de la concurrence devait, dès lors qu'elle estimait insuffisants les engagements proposés, autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante, et non l'interdire. Elles se prévalent à cet égard de ce que, d'une part, leurs conseils avaient, dans un courrier du 3 mai 2021, envisagé que l'administrateur indépendant puisse représenter les utilisateurs de la SPMR, et de ce que, d'autre part, les avis rendus par le comité des utilisateurs auraient pu se voir reconnaître un caractère contraignant, afin de rétablir des incitations similaires à celles existant au sein de la SPMR avant l'opération. Cependant, d'une part, alors que, ainsi qu'il a été dit, les engagements présentés par les requérantes ne permettaient pas de maintenir une concurrence suffisante sur le marché affecté, dès lors qu'ils laissaient persister une incitation pour la SPMR à user de son pouvoir de marché tenant à la situation monopolistique du PMR, les requérantes n'ont à aucun moment de la procédure formalisé de proposition d'engagement correspondant aux mesures dont elles soutiennent qu'elles auraient pu faire l'objet d'une injonction de l'Autorité de la concurrence. D'autre part, ces injonctions, dont la mise en oeuvre aurait largement privé Ardian du contrôle de la SPMR, auraient substantiellement modifié la nature même de l'opération envisagée, et excèdent ainsi largement le cadre des engagements que les requérantes avaient proposés à l'Autorité de la concurrence ainsi que, d'ailleurs, le cadre des engagements et injonctions habituellement acceptés ou prononcés par celle-ci. Dans ces conditions, et alors que, si ces injonctions ont pu être évoquées par les parties au cours de la procédure, celles-ci n'ont pas précisé les modalités de mise en oeuvre qu'elles estimeraient acceptables, ni même formellement fait part de cette acceptabilité, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence aurait porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie en interdisant l'opération plutôt que de l'autoriser en l'assortissant, en complément des engagements proposés, de ces injonctions.
27. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
28. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision attaquée. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête des sociétés Transport stockage énergies et Ardian est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Transport stockage énergies, à la société Ardian et à l'Autorité de la concurrence.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.
Rendu le 15 février 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Jau
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
N° 454475
ECLI:FR:CECHR:2024:454475.20240215
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Nicolas Jau, rapporteur
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats
Lecture du jeudi 15 février 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 juillet 2021, 8 octobre 2021, 4 février 2022 et 27 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Transport stockage énergies et la société Ardian demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 21-DCC-79 de l'Autorité de la concurrence du 12 mai 2021 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société du pipeline Méditerranée-Rhône par la société Transport stockage énergies ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'environnement :
- le décret du 8 mai 1967 autorisant la construction et l'exploitation d'une conduite d'intérêt général destinée au transport d'hydrocarbures liquides ;
- le décret n° 2012-615 du 2 mai 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Transport stockage énergies et de la société Ardian ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Transport stockage énergie (TSE), filiale de fonds gérés par la société Ardian, a adressé le 14 septembre 2020 à l'Autorité de la concurrence un dossier de notification relatif à la prise de contrôle exclusif de la société du pipeline Méditerranée-Rhône (SPMR), résultant de son acquisition des actions et droits de vote détenus au sein de celle-ci par la société ENI. Avant cette opération, le capital social de la SPMR, propriétaire du pipeline Méditerranée-Rhône (PMR), réseau de canalisations d'environ 760 kilomètres de long qui approvisionne en produits pétroliers raffinés les dépôts du sud-est de la France, était partagé entre TSE, pour 47,2 %, la société Trapil, pour 32,8 % et à qui la SPMR a délégué l'exploitation de l'oléoduc, la société Esso, pour 14,2 %, ENI, pour 5 % et la société Thevenin Ducrot Distribution, pour 0,8 %. Par une décision n° 20-DEX-01 du 8 décembre 2020, l'Autorité a décidé l'ouverture d'un examen approfondi de l'opération dans les conditions prévues aux articles L. 430-5 à L. 430-7 du code de commerce. Par une décision n° 21-DCC-79 du 12 mai 2021, l'Autorité a interdit l'opération, estimant que les engagements proposés par les parties n'étaient pas suffisants pour prévenir les risques d'atteinte à la concurrence sur le marché du transport des produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France induits par l'opération et qu'aucune autre mesure, prenant la forme d'injonctions, ne permettait d'assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur ce marché. Les sociétés TSE et Ardian demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
Sur le cadre juridique applicable :
2. D'une part, aux termes du 2° du I de l'article L. 430-1 du code de commerce, une opération de concentration est réalisée " lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 430-6 du même code : " Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet, en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence examine si elle est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Elle apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. / La procédure applicable à cet examen approfondi de l'opération par l'Autorité de la concurrence est celle prévue au deuxième alinéa de l'article L. 463-2 et aux articles L. 463-4, L. 463-6 et L. 463-7. Toutefois, les parties qui ont procédé à la notification et le commissaire du Gouvernement doivent produire leurs observations en réponse à la communication du rapport dans un délai de quinze jours ouvrés. / (...) ". Aux termes de l'article L. 430-7 du même code : " I. - Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence prend une décision dans un délai de soixante-cinq jours ouvrés à compter de l'ouverture de celui-ci. / II. - Après avoir pris connaissance de l'ouverture d'un examen approfondi en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, les parties peuvent proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération. Lorsque des engagements ou des modifications apportées à des engagements déjà proposés sont transmis à l'Autorité de la concurrence moins de vingt jours ouvrés avant la fin du délai mentionné au I, celui-ci expire vingt jours ouvrés après leur réception, dans la limite de quatre-vingt-cinq jours ouvrés à compter de l'ouverture de l'examen approfondi. / En cas de nécessité particulière, telle que la finalisation des engagements mentionnés à l'alinéa précédent, les parties peuvent demander à l'Autorité de la concurrence de suspendre les délais d'examen de l'opération dans la limite de vingt jours ouvrés. Ces délais peuvent également être suspendus à l'initiative de l'Autorité de la concurrence lorsque les parties ayant procédé à la notification ont manqué de l'informer d'un fait nouveau dès sa survenance ou de lui communiquer, en tout ou partie, les informations demandées dans le délai imparti, ou que des tiers ont manqué de lui communiquer, pour des raisons imputables aux parties ayant procédé à la notification, les informations demandées. En ce cas, le délai reprend son cours dès la disparition de la cause ayant justifié sa suspension. / III. - L'Autorité de la concurrence peut, par décision motivée : / - soit interdire l'opération de concentration et enjoindre, le cas échéant, aux parties de prendre toute mesure propre à rétablir une concurrence suffisante ; / - soit autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. / Les injonctions et prescriptions mentionnées aux deux alinéas précédents s'imposent quelles que soient les clauses contractuelles éventuellement conclues par les parties. / Le projet de décision est transmis aux parties intéressées, auxquelles un délai raisonnable est imparti pour présenter leurs observations. / IV. - Si l'Autorité de la concurrence n'entend prendre aucune des décisions prévues au III, elle autorise l'opération par une décision motivée. L'autorisation peut être subordonnée à la réalisation effective des engagements pris par les parties qui ont procédé à la notification. / V. - Si aucune des décisions prévues aux III et IV n'a été prise dans le délai mentionné au I, éventuellement prolongé en application du II, l'Autorité de la concurrence en informe le ministre chargé de l'économie. L'opération est réputée avoir fait l'objet d'une décision d'autorisation au terme du délai ouvert au ministre chargé de l'économie par le II de l'article L. 430-7-1 ". En application du II de cet article L. 430-7-1, ce délai est de vingt-cinq jours ouvrés.
4. Enfin, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 463-2 du même code : " Le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés ". Et aux termes de l'article L. 463-7 : " Les séances de l'Autorité de la concurrence ne sont pas publiques. Seules les parties et le commissaire du Gouvernement peuvent y assister. Les parties peuvent demander à être entendues par l'Autorité et se faire représenter ou assister ".
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
5. Il ressort des pièces du dossier que la phase d'examen approfondi a été ouverte par l'Autorité de la concurrence le 8 décembre 2020. Les parties ont ensuite reçu communication du rapport du service d'instruction, daté du 17 février 2021, qui contenait une analyse des premiers engagements proposés le 21 janvier 2021, et y ont répondu le 10 mars 2021. Les requérantes ont ensuite pu présenter des observations orales lors de la séance du 24 mars 2021. Elles ont ensuite soumis deux nouvelles versions des engagements proposés, les 30 mars et 21 avril 2021, qui ont porté le délai laissé à l'Autorité de la concurrence pour prendre sa décision à la limite de quatre-vingt-cinq jours ouvrés, au 14 mai 2021. L'Autorité de la concurrence a réalisé un test de marché sur la dernière version des engagements présentés et le collège a délibéré sur ces engagements le 3 mai 2021. Elle a alors transmis aux requérantes le projet de décision le vendredi 7 mai 2021, en sollicitant une réponse pour le 11 mai au soir, puis a publié sa décision le 12 mai 2021, avant-dernier jour ouvré avant l'expiration du délai.
6. En premier lieu, il ne résulte pas des dispositions citées aux points 3 et 4 que, lorsque les parties à l'opération de concentration proposent de nouveaux engagements à l'Autorité de la concurrence au cours de la procédure d'examen approfondi, celle-ci soit tenue d'organiser une nouvelle séance avec le collège, ni que le rapporteur général ou le rapporteur général-adjoint soit tenu de produire un rapport complémentaire avant que le collège ne se prononce sur ces engagements. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence aurait méconnu les exigences du contradictoire et les droits de la défense en ne leur communiquant pas ses critiques contre la troisième version des engagements, proposée le 21 avril 2021, et en ne les conviant pas à présenter leurs observations avant le délibéré du collège sur ces engagements.
7. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les requérantes ont soumis la dernière version de leurs engagements, substantiellement différente des précédentes, à un stade avancé de la procédure. La brièveté du délai de quatre jours, dont deux ouvrés, qui leur a été laissé pour présenter leurs observations sur le projet de décision, résultait nécessairement du délai contraint restant à l'Autorité de la concurrence, après analyse de cette dernière version des engagements, pour rendre sa décision, en application des dispositions citées au point 3. Dès lors, et dans les circonstances de l'espèce, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence ne leur aurait pas laissé un délai raisonnable pour présenter leurs observations sur le projet de décision, et qu'il aurait ainsi été porté atteinte aux droits de la défense ou aux exigences du contradictoire.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne l'analyse des effets de l'opération sur la concurrence :
8. Il appartient à l'Autorité de la concurrence saisie d'une opération de concentration, à partir d'une analyse prospective tenant compte de l'ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération et d'apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte.
9. L'Autorité de la concurrence a estimé que le PMR était en situation de monopole de fait sur le marché pertinent du transport des produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France. Elle a considéré qu'il s'agissait d'une infrastructure essentielle compte tenu de son caractère incontournable et non duplicable par d'éventuels concurrents. Elle a relevé qu'avant l'opération, aucun actionnaire n'exerçait une influence déterminante sur la SPMR, de sorte que la prise de décision au sein de la société nécessitait un certain consensus entre des actionnaires ayant des intérêts divergents, certains étant utilisateurs de l'oléoduc, contribuant ainsi à limiter les hausses de prix. Après l'opération, elle a estimé qu'Ardian aurait la capacité et l'incitation à mettre en oeuvre une stratégie de hausse de prix ou de dégradation de la qualité de service, dès lors, d'une part, qu'elle exercerait un contrôle exclusif sur la SPMR lui permettant de prendre seule les décisions relatives à la politique commerciale et tarifaire de la société et que le contrôle exercé par le commissaire du Gouvernement et le ministre chargé de l'économie sur la SPMR, bien que réel, se limite pour l'essentiel au champ de la politique énergétique et à la continuité d'approvisionnement en produits pétroliers du territoire français et non aux questions de concurrence, d'autre part, qu'Ardian n'exerçant pas d'activité en amont ou en aval du transport de produits pétroliers par oléoduc et n'étant donc pas une utilisatrice de l'infrastructure, n'avait pas d'intérêt à modérer les hausses de prix, enfin, qu'une dégradation de l'offre de la SPMR n'occasionnerait pas de perte de clientèle significative, les opérateurs répercutant eux-mêmes les hausses de prix sur le consommateur final.
S'agissant du moyen tiré de l'absence de modification structurelle des conditions de concurrence sur le marché concerné :
10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'opération notifiée par TSE le 14 septembre 2020, qui consiste en la prise de contrôle exclusif de la SPMR par la société Ardian, constitue une opération de concentration au sens du 2° du I de l'article L. 430-1 du code de commerce cité au point 2 et que cette opération est de nature à affecter la concurrence sur le marché du transport des produits pétroliers raffinés par oléoduc dans la partie sud de la France, en raison des changements qu'elle entraîne dans les incitations de la SPMR, dès lors que les incitations d'Ardian sont différentes de celles d'ENI s'agissant de la politique tarifaire et commerciale relative au PMR, comme cela résulte notamment de l'examen des prises de position respectives des deux sociétés au sein du conseil d'administration. Dès lors, c'est sans erreur de droit que l'Autorité de la concurrence a considéré que l'opération litigieuse constituait une opération de concentration justifiant qu'elle examine si elle était de nature à porter atteinte à la concurrence.
S'agissant de la qualification d'infrastructure essentielle du PMR :
11. En deuxième lieu, l'Autorité de la concurrence a estimé que le PMR constituait une infrastructure essentielle sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés dans le sud de la France, c'est-à-dire qu'il n'existait pas de produits ou de services constituant des solutions alternatives crédibles, même moins avantageuses, et qu'il existait des obstacles techniques, réglementaires ou économiques de nature à rendre impossible, ou du moins déraisonnablement difficile, pour toute entreprise entendant opérer sur ce marché, de créer, éventuellement en collaboration avec d'autres opérateurs, des produits ou des services alternatifs. Les requérantes contestent cette analyse, en estimant que le PMR fait l'objet d'une pression concurrentielle tenant à l'existence de modes de transport alternatifs. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment des tests de marché, ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence, d'une part, que le montant élevé des investissements requis pour la construction d'un oléoduc et les contraintes réglementaires y afférentes ne rendent pas envisageable l'entrée sur le marché d'un nouvel acteur susceptible de représenter une alternative crédible au PMR sur l'ensemble de son tracé. Il en ressort, d'autre part, que les autres modes de transport de produits pétroliers raffinés ne constituent pas une alternative crédible au PMR, si ce n'est de manière marginale pour le transport par camions sur le tronçon Marseille - Puget-sur-Argens. En effet, le transport, qu'il soit effectué par camion, barge ou train, outre un coût sensiblement plus élevé, ne permet pas d'assurer un volume d'approvisionnement comparable au PMR et n'offre pas les mêmes garanties en termes d'approvisionnement, de sécurité et de limitation des émissions de dioxyde de carbone. S'agissant du tronçon Marseille - Puget-sur-Argens, un report de l'activité du PMR sur le transport par camion n'est ainsi envisageable que pendant une partie de l'année, lorsque la fréquentation routière est modérée, et pour des volumes limités. Par ailleurs, si le transport par barge, lorsqu'il est possible, ou par train, sont à même de concerner des volumes plus importants que le transport par camion, ils ne permettent pas d'offrir une sécurité des approvisionnements comparable au transport par oléoduc. En outre, la plupart des dépôts actuellement connectés au PMR ne sont pas équipés d'installations pour recevoir de tels moyens de transport et leur interconnexion éventuelle serait excessivement coûteuse et difficile à mettre en oeuvre. Ces modes de transport ne constituent donc pas, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, une alternative crédible au PMR. Dès lors, c'est sans erreur de droit ni erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé que le PMR avait la nature d'une infrastructure essentielle non soumise à une réelle pression concurrentielle.
S'agissant du contrôle exercé par l'Etat sur la SPMR :
12. En troisième lieu, les requérantes soutiennent que le contrôle exercé par l'Etat sur la SPMR lui permet de s'opposer à toute décision qui serait contraire à l'intérêt général, incluant ainsi la préservation de la concurrence sur le marché, et que ce contrôle permettrait de remédier au risque d'atteinte à la concurrence susceptible de résulter de l'opération en cause.
13. D'une part, la construction et l'exploitation du PMR ont été autorisées par le décret du 8 mai 1967 autorisant la construction et l'exploitation d'une conduite d'intérêt général destinée au transport d'hydrocarbures liquides. L'article 6 de ce décret prévoit que le ministre chargé de l'énergie désigne auprès de cette société un commissaire du Gouvernement, qui peut s'opposer à toute décision de la société contraire à la politique générale du Gouvernement en matière de carburants, de combustibles et de transports. L'article 13 du même décret prévoit que les conditions financières de transport " sont les mêmes pour tous les usagers, dans des conditions comparables notamment de qualité des produits, de régularité et d'importance du trafic et de localisation géographique ". De plus, le décret du 2 mai 2012 relatif à la sécurité, l'autorisation et la déclaration d'utilité publique des canalisations de transport de gaz, d'hydrocarbures et de produits chimiques prévoit, en son article 6, la possibilité pour le ministre chargé de l'énergie de s'opposer aux changements de capital ayant pour conséquence une modification du contrôle de la société, la possibilité pour le commissaire du Gouvernement de s'opposer notamment à toute décision de la société contraire à la politique générale du Gouvernement en matière d'énergie, selon les modalités prévues par les statuts de la société, le contrôle du ministre chargé de l'énergie sur les dispositions des statuts relatives au commissaire du Gouvernement ainsi que la possibilité, pour le ministre chargé de l'énergie, de s'opposer aux décisions de la société instituant ou modifiant les tarifs d'accès à ses canalisations, dans un délai de deux mois, réduit à un mois pour les modifications tarifaires.
14. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que l'article 24 des statuts de la SPMR précise les modalités du contrôle du commissaire du Gouvernement qui " assiste aux assemblées générales et aux séances du conseil d'administration ", " peut prendre part, à sa demande, aux séances des comités et groupes de travail qui seraient institués au sein de la [SPMR] ", " dispose de tous pouvoirs d'investigation sur pièce et sur place ", " peut faire connaître au conseil d'administration son avis sur les problèmes qui y sont évoqués et sur l'orientation de la politique générale suivie par la société ", " présente toutes observations qu'il juge conforme à l'intérêt général ", " peut demander l'inscription de toute question à l'ordre du jour " et " peut présenter des réserves sur toute décision de la société jugée par lui incompatible avec la politique générale du Gouvernement en matière d'approvisionnement pétrolier ou de transports ". Il est prévu que " l'exécution de la décision est, du fait de ces réserves, suspendue jusqu'à nouvelle réunion du Conseil, où la question est obligatoirement inscrite à l'ordre du jour. Lors de ce deuxième examen, le Commissaire du Gouvernement peut, soit lever ses réserves, soit les maintenir, soit notifier son désaccord. En cas de mainlevée des réserves, la décision du Conseil intervenant sur deuxième étude est exécutoire. Elle l'est également, malgré le maintien des réserves, sauf si le Commissaire signifie son désaccord. En cas de désaccord, le Commissaire du Gouvernement est tenu de le confirmer par écrit au Président, dans un délai de huit jours à compter de la décision du Conseil et d'en saisir le Ministre dont il relève ; l'exécution de la décision contestée reste alors suspendue. Elle ne devient exécutoire qu'en l'absence de prise de position contraire du Ministre, à l'expiration d'un délai de deux mois ".
15. Il résulte de ces dispositions et stipulations que le commissaire du Gouvernement et le ministre chargé de l'énergie peuvent s'opposer aux décisions, tarifaires et non-tarifaires, prises par la société, dans la mesure où ces décisions sont contraires à la politique générale du Gouvernement en matière d'énergie. Ce contrôle n'a cependant pas pour objet de garantir que la SPMR ne conduit pas une politique portant atteinte au maintien d'une concurrence suffisante. A cet égard, et ainsi qu'il ressort notamment de l'audition, par l'Autorité de la concurrence, de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui assure ce contrôle, celui-ci n'est pas exercé à des fins de régulation tarifaire mais en vue de garantir la sécurité de l'approvisionnement pétrolier, et celle-ci serait fragilisée en cas de refus de validation des tarifs proposés susceptible de perturber le trafic dans l'oléoduc concerné. Dès lors, c'est sans erreur de droit ni erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé que le contrôle exercé par l'Etat sur la SPMR, s'il peut permettre d'en limiter les effets les plus marqués, n'est pas de nature à faire effectivement obstacle à l'exercice, par Ardian, du pouvoir de marché qu'elle détiendrait à l'issue de l'opération.
S'agissant de la prise en compte des effets non-tarifaires de l'opération :
16. L'Autorité de la concurrence a relevé qu'après l'opération, la société Ardian aurait la capacité et l'incitation à user du pouvoir de marché de la SPMR, propriétaire du PMR, qui est en situation de monopole de fait sur le marché du transport des produits pétroliers raffinés par oléoduc dans la partie sud de la France, en augmentant les tarifs ou en dégradant la qualité de service. Elle a retenu que le changement des incitations de la SPMR dû à l'opération était susceptible de se traduire par une dégradation de la qualité de service pouvant notamment se matérialiser par une réduction au strict minimum des investissements nécessaires à la maintenance, au renouvellement et aux raccordements du réseau ou par une augmentation du temps d'attente des clients pour leur approvisionnement. Si les sociétés requérantes font valoir qu'il n'existe pas, dans la littérature économique, de lien univoque entre la concentration du marché et l'incitation à offrir une qualité de service et à innover, elles n'apportent aucun élément de nature à remettre en cause, en l'espèce, l'appréciation de l'Autorité de la concurrence, fondée sur un scénario économique suffisamment plausible et étayé, qui s'appuie notamment sur l'examen des comptes rendus du conseil d'administration de la SPMR illustrant la volonté d'Ardian d'user du pouvoir de marché de cette société et sur les tests de marché réalisés au cours de l'instruction du dossier qui ont confirmé l'existence d'un risque potentiel de dégradation de l'offre non-tarifaire, comme d'ailleurs tarifaire, de la SPMR.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence aurait commis une erreur de droit, une erreur de fait ou une erreur d'appréciation en considérant que l'opération projetée était de nature à porter atteinte à la concurrence, par le biais d'effets tarifaires et non-tarifaires, sur le marché du transport de produits pétroliers raffinés par oléoduc dans la partie sud de la France.
En ce qui concerne l'appréciation portée sur les engagements proposés par la société Ardian :
18. Lorsque lui est notifiée une opération de concentration dont la réalisation est soumise à son autorisation, il incombe à l'Autorité de la concurrence d'user des pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties, qui lui sont conférés par les dispositions des articles L. 430-6 et suivants du code de commerce, à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération. D'une part, l'Autorité de la concurrence n'est pas tenue, lorsqu'elle identifie un effet anticoncurrentiel de l'opération, d'adopter des mesures correctives de nature à le supprimer intégralement, pourvu que ces mesures permettent d'assurer le maintien d'une concurrence suffisante. D'autre part, les engagements qu'elle accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche.
S'agissant des engagements proposés le 21 janvier 2021 et complétés le 30 mars 2021 :
19. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les engagements présentés le 21 janvier 2021 et complétés le 30 mars 2021 visaient principalement à limiter la capacité d'Ardian à décider seule de hausses tarifaires en prévoyant notamment que cette société ne nommerait que six des neuf membres du conseil d'administration de la SPMR, les autres étant nommés par les actionnaires minoritaires Trapil et Esso, et que deux de ses administrateurs s'abstiendraient de voter sur les propositions de hausse de la grille tarifaire, de sorte que toute décision de hausse tarifaire nécessiterait l'aval d'au-moins un autre administrateur (engagements E.1 à E.3). Ardian s'engageait en outre à accroître le rôle du commissaire du Gouvernement s'agissant des décisions non-tarifaires, en prévoyant que son avis serait sollicité sur les propositions soumises au vote du conseil d'administration de la SPMR portant en particulier sur la modification des règles de fonctionnement du PMR, de la politique commerciale et de la politique d'investissement, que les administrateurs d'Ardian ne voteraient pas en faveur de propositions ayant donné lieu à un désaccord motivé ou des réserves du commissaire du Gouvernement, que les décisions prises sans avis favorable du commissaire du Gouvernement ne seraient pas mises en oeuvre pendant un délai d'un mois à compter de leur adoption au cours duquel le commissaire du Gouvernement pourrait exprimer des réserves ou un désaccord, que dans un tel cas, les décisions ne seraient pas exécutées tant que le conseil d'administration ne se réunirait pas à nouveau et que les décisions en cause seraient révoquées par le conseil d'administration si le commissaire du Gouvernement maintenait, en les motivant, son désaccord ou ses réserves au plus tard lors de la nouvelle réunion du conseil d'administration (engagements E.4). Ardian s'engageait également à accroître les informations communiquées au commissaire du Gouvernement notamment en lui transmettant les éléments justificatifs des propositions soumises au conseil d'administration ainsi que l'avis du comité des utilisateurs, organe consultatif prévu par les mêmes engagements (engagements E. 5 à E.9). Il était proposé que ces engagements soient souscrits pour une durée de vingt ans, renouvelables par tranches de dix ans, autant de fois que l'Autorité de la concurrence l'estimerait nécessaire, et au plus tard jusqu'à l'adoption d'une régulation sur la tarification du transport d'hydrocarbures par oléoduc.
20. L'Autorité de la concurrence a rejeté ces engagements au motif, notamment, d'une part, que s'ils supprimaient le contrôle positif de la société Ardian sur les décisions tarifaires, c'est-à-dire sa capacité à prendre seule de telles décisions, ils laissaient subsister un contrôle négatif permettant à cette société de bloquer la formation de majorités de vote alternatives, alors que la possibilité de telles majorités, plus favorable aux intérêts des utilisateurs du PMR, existait antérieurement, tandis que, d'autre part, la société Ardian disposait toujours du pouvoir de prendre seule les décisions non-tarifaires, notamment en matière d'investissement ou de politique commerciale, le contrôle exercé par le commissaire du Gouvernement ne visant pas à maintenir une concurrence suffisante.
21. Les sociétés requérantes contestent cette analyse en soutenant, d'une part, s'agissant de la politique tarifaire, que si Ardian conservait un contrôle négatif sur la grille tarifaire, les autres administrateurs n'avaient jamais, avant l'opération, formé une majorité alternative excluant Ardian sur ces votes, d'autre part, s'agissant de la politique non-tarifaire, qu'Ardian, en tant que principal actionnaire, aurait intérêt à ce que la SPMR procède à des investissements permettant de maintenir la qualité de services et préservant la valeur de la société et que le contrôle que l'Etat exercerait sur sa politique tarifaire et non-tarifaire était de nature à prévenir les effets anticoncurrentiels de l'opération. Toutefois, cette argumentation n'est pas de nature à remettre en cause la crédibilité du scénario anticoncurrentiel décrit par l'Autorité de la concurrence et consistant, pour Ardian, à s'appuyer sur sa capacité à prendre seule les décisions non-tarifaires, soit pour obtenir des hausses tarifaires susceptibles d'affecter la concurrence, soit directement pour user du pouvoir de marché que lui confère le contrôle de la SPMR. En particulier, s'agissant du contrôle exercé par l'Etat sur la politique tarifaire et non-tarifaire, quand bien même celui-ci verrait ses pouvoirs étendus par l'effet des engagements proposés, ce qui suppose d'ailleurs qu'il accepte d'exercer le contrôle envisagé, ce contrôle n'est, ainsi qu'il a été dit au point 13, pas de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur le marché affecté par l'opération.
22. L'Autorité de la concurrence n'a donc pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que les engagements présentés les 21 janvier et 30 mars 2021 étaient insuffisants pour remédier aux risques d'atteinte à la concurrence sur le marché affecté par l'opération.
S'agissant des engagements supplémentaires proposés le 21 avril 2021 :
23. En deuxième lieu, les engagements supplémentaires proposés le 21 avril 2021 consistaient principalement, pour une durée de vingt ans renouvelable autant de fois que nécessaire pour une durée de dix ans, jusqu'à adoption d'une nouvelle régulation portant sur le transport d'hydrocarbures par oléoduc, à maintenir au conseil d'administration la représentation de tout actionnaire de la SPMR détenant au moins 10 % du capital et des droits de vote mais moins de 50 % de ce capital et de ces droits, à conserver une composition d'au moins neuf membres au sein du conseil d'administration, à limiter à quatre le nombre d'administrateurs d'Ardian, à prévoir que quatre administrateurs seraient choisis par les actionnaires minoritaires et que le neuvième serait un administrateur indépendant, qui remplacerait l'actuel administrateur de la société ENI, de sorte que des propositions puissent être adoptées par le conseil d'administration sans l'aval de la société Ardian (engagements E.1). La société Ardian s'engageait également à notifier à l'Autorité de la concurrence, qui pouvait s'y opposer, toute proposition de modification du nombre d'administrateurs de la SPMR (engagements E.2), et, en vue de prévenir tout contournement de l'effet utile des engagements E.1 et E.2, à ne pas détenir plus de deux tiers du capital et des droits de vote de la SPMR afin de ne pas avoir le pouvoir de modifier seule les statuts de la société, d'une part, et à ne pas faire inscrire à l'ordre du jour des assemblées générales ordinaires des projets de résolution qui relèvent de la compétence du conseil d'administration et qui portent sur des décisions stratégiques au sens du droit des concentrations (nomination des dirigeants autres que les administrateurs, adoption du budget ou du plan d'affaires), des décisions relatives à l'exploitation commerciale de la SPMR et des décisions relatives à l'exploitation technique du PMR, d'autre part (engagements E.3).
24. L'Autorité de la concurrence a rejeté ces engagements en estimant, notamment, que la nomination d'un administrateur indépendant agissant dans le meilleur intérêt social de la SPMR, lequel pouvait résider dans des hausses de prix dès lors que cette société n'était pas active en amont ou en aval du transport pétrolier par oléoduc, ne garantissait pas que la société Ardian n'aurait pas pu user de son pouvoir de marché. A cet égard, les réponses au test de marché mené par l'Autorité de la concurrence sur cette dernière version des engagements font ressortir la forte probabilité qu'un administrateur indépendant ait, s'agissant notamment de la politique tarifaire ou de la politique d'investissement, une position proche de celle d'Ardian et consistant à tirer profit du pouvoir dont dispose la SPMR sur le marché du transport des produits raffinés par oléoduc dans le sud de la France, dès lors qu'une telle position serait dans l'intérêt de la SPMR. La composition du conseil d'administration résultant de cet engagement aurait alors pour conséquence une dégradation de la situation concurrentielle par rapport à la composition avant l'opération, qui permettait, ainsi qu'il ressort de l'examen des positions respectives des différents actionnaires au sein du conseil d'administration, de modérer les hausses tarifaires demandées par Ardian. Ce motif, qui n'est pas contesté par les requérantes, suffit ainsi à justifier que les engagements tels que complétés par ceux proposés le 21 avril 2021 n'étaient pas de nature à pallier les effets anticoncurrentiels de l'opération sur le marché du transport des produits pétroliers raffinés par oléoduc dans la partie sud de la France. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens dirigés contre les autres motifs retenus par l'Autorité de la concurrence, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que celle-ci aurait entaché sur ce point sa décision d'une erreur d'appréciation.
S'agissant des injonctions que l'Autorité de la concurrence aurait pu prononcer :
25. En troisième lieu, il résulte des dispositions citées au point 3, que, lorsqu'elle estime qu'une opération est de nature à porter atteinte à la concurrence malgré les engagements présentés par les parties, l'Autorité de la concurrence peut autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Toutefois, l'Autorité de la concurrence, qui doit se prononcer en respectant l'impératif de célérité qui caractérise l'économie générale de la procédure d'examen des projets d'opération de concentration, ne saurait se substituer aux parties, auxquelles il incombe en premier lieu de proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération. Lorsque tel n'est pas le cas des engagements proposés, l'Autorité de la concurrence ne saurait être tenue d'y substituer ou d'y ajouter des injonctions dont, eu égard notamment à la nature et à l'importance des effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration envisagée et à la difficulté de déterminer des mesures adéquates pour les compenser, la faisabilité ou l'efficacité n'aurait pas été établies par l'instruction du dossier, ou qui modifieraient substantiellement la nature de l'opération concernée, et peut alors, sans porter une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie, décider d'interdire l'opération.
26. Les requérantes soutiennent que l'Autorité de la concurrence devait, dès lors qu'elle estimait insuffisants les engagements proposés, autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante, et non l'interdire. Elles se prévalent à cet égard de ce que, d'une part, leurs conseils avaient, dans un courrier du 3 mai 2021, envisagé que l'administrateur indépendant puisse représenter les utilisateurs de la SPMR, et de ce que, d'autre part, les avis rendus par le comité des utilisateurs auraient pu se voir reconnaître un caractère contraignant, afin de rétablir des incitations similaires à celles existant au sein de la SPMR avant l'opération. Cependant, d'une part, alors que, ainsi qu'il a été dit, les engagements présentés par les requérantes ne permettaient pas de maintenir une concurrence suffisante sur le marché affecté, dès lors qu'ils laissaient persister une incitation pour la SPMR à user de son pouvoir de marché tenant à la situation monopolistique du PMR, les requérantes n'ont à aucun moment de la procédure formalisé de proposition d'engagement correspondant aux mesures dont elles soutiennent qu'elles auraient pu faire l'objet d'une injonction de l'Autorité de la concurrence. D'autre part, ces injonctions, dont la mise en oeuvre aurait largement privé Ardian du contrôle de la SPMR, auraient substantiellement modifié la nature même de l'opération envisagée, et excèdent ainsi largement le cadre des engagements que les requérantes avaient proposés à l'Autorité de la concurrence ainsi que, d'ailleurs, le cadre des engagements et injonctions habituellement acceptés ou prononcés par celle-ci. Dans ces conditions, et alors que, si ces injonctions ont pu être évoquées par les parties au cours de la procédure, celles-ci n'ont pas précisé les modalités de mise en oeuvre qu'elles estimeraient acceptables, ni même formellement fait part de cette acceptabilité, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité de la concurrence aurait porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie en interdisant l'opération plutôt que de l'autoriser en l'assortissant, en complément des engagements proposés, de ces injonctions.
27. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
28. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision attaquée. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête des sociétés Transport stockage énergies et Ardian est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Transport stockage énergies, à la société Ardian et à l'Autorité de la concurrence.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.
Rendu le 15 février 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Jau
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle