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Ariane Web: Conseil d'État 472038, lecture du 24 avril 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:472038.20240424

Décision n° 472038
24 avril 2024
Conseil d'État

N° 472038
ECLI:FR:CECHR:2024:472038.20240424
Publié au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats


Lecture du mercredi 24 avril 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Chapelle d'Abondance Loisir Développement (CALD) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de la Chapelle d'Abondance à lui verser la somme de 864 012 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction de la procédure d'attribution de la délégation de service public des remontées mécaniques. Par un jugement n° 1702695 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de la Chapelle d'Abondance à verser à la société CALD la somme de 22 558 euros assortie des intérêts et a rejeté le surplus de la demande.

Par un arrêt n° 21LY00192 du 10 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de la société CALD, porté le montant de la condamnation de la commune de la Chapelle d'Abondance à la somme de 450 000 euros, réformé dans cette mesure le jugement du tribunal administratif de Grenoble et rejeté le surplus de l'appel de la société CALD et l'appel incident de la commune.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 mars et 12 juin 2023 et 13 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de la Chapelle d'Abondance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui fait grief ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société CALD et de faire droit à son appel incident ;

3°) de mettre à la charge de la société CALD la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de la Chapelle d'Abondance et à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Chapelle d'Abondance Loisirs Développement ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la commune de la Chapelle d'Abondance a lancé une procédure d'attribution d'une délégation de service public pour l'exploitation des remontées mécaniques et des pistes de ski alpin situées sur son territoire. L'offre de la société d'exploitation de la Chapelle d'Abondance (SELCA) a été retenue. Le contrat a été signé le 10 novembre 2016. La société Chapelle d'Abondance Loisirs Développement (CALD), candidate évincée, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune à l'indemniser de son manque à gagner ou, à titre subsidiaire, des frais de présentation de son offre. Par un jugement du 19 novembre 2020, le tribunal administratif a partiellement fait droit à sa demande en condamnant la commune de la Chapelle d'Abondance à lui verser 22 558 euros, correspondant aux frais de présentation de son offre. La commune de la Chapelle d'Abondance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 janvier 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, sur appel de la société CALD, a réformé ce jugement et porté le montant de sa condamnation à la somme de 450 000 euros correspondant au manque à gagner de cette société.

2. D'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le contrat. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

3. D'autre part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité et si les chances sérieuses de l'entreprise d'emporter le contrat sont établies, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation. Il lui incombe aussi d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain, en tenant compte notamment, s'agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l'exploitation, de l'aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci.

4. Enfin, dans le cas où le contrat a été résilié par la personne publique, il y a lieu, pour apprécier l'existence d'un préjudice directement causé par l'irrégularité et en évaluer le montant, de tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation, afin de déterminer quels auraient été les droits à indemnisation du concurrent évincé si le contrat avait été conclu avec lui et si sa résiliation avait été prononcée pour les mêmes motifs que celle du contrat irrégulièrement conclu.

5. Il suit de là qu'en jugeant que, par principe, la circonstance que le contrat en litige initialement signé a été résilié par la suite était sans incidence sur le droit à l'indemnisation du manque à gagner du concurrent évincé, sans tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit. Ce moyen, qui est né de l'arrêt attaqué, peut, contrairement à ce que soutient la société CALD en défense, être soulevé pour la première fois devant le juge de cassation.

6. Il résulte de ce qui précède que la commune de la Chapelle d'Abondance est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de la Chapelle d'Abondance qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société CALD la somme de 3 000 euros à verser au titre de ces mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 10 janvier 2023 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : La société CALD versera à la commune de la Chapelle d'Abondance la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par la société CALD sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de la Chapelle d'Abondance et à la société Chapelle d'Abondance Loisir Développement.


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