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Ariane Web: Conseil d'État 492659, lecture du 25 juillet 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:492659.20240725

Décision n° 492659
25 juillet 2024
Conseil d'État

N° 492659
ECLI:FR:CECHS:2024:492659.20240725
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Philippe Mochon, président
Mme Coralie Albumazard, rapporteure
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du jeudi 25 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 3 octobre 2023 par lequel le maire de Marseille l'a mise en demeure, sur le fondement de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, d'une part, de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité des travaux réalisés sur un immeuble situé 44 rue Sénac de Meilhan à Marseille avec la réglementation en vigueur et, d'autre part, de procéder à la remise en état des lieux par la restitution de l'étage dans son volume, son aspect extérieur et ses matériaux extérieurs, dans un délai de six mois.

Par une ordonnance n° 2401860 du 29 février 2024, le juge des référés, statuant en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, a rejeté sa demande pour défaut d'urgence.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mars et 2 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance, avec toutes conséquences de droit ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Marseille la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme B....


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que Mme B... a fait réaliser des travaux sur un immeuble lui appartenant en indivision situé 44 rue Sénac de Meilhan à Marseille, dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable, en excédant le champ de la déclaration préalable qu'elle avait déposée à ce titre le 29 juillet 2022. Par un arrêté du 11 juillet 2023, la présidente de la métropole d'Aix-Marseille-Provence s'est opposée à sa déclaration préalable tendant à la régularisation de ces travaux. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 29 février 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a refusé de suspendre, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 3 octobre 2023 par lequel le maire de Marseille l'a mise en demeure, sur le fondement de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, d'une part, de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité des travaux litigieux avec la réglementation en vigueur et, d'autre part, de procéder à la remise en état des lieux par la restitution de l'étage dans son volume, son aspect extérieur et ses matériaux extérieurs, dans un délai de six mois.

3. Le premier alinéa de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme dispose que : " Les infractions aux dispositions des titres Ier, II, III, IV et VI du présent livre sont constatées par tous officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de l'Etat et des collectivités publiques commissionnés à cet effet par le maire ou le ministre chargé de l'urbanisme suivant l'autorité dont ils relèvent et assermentés. Les procès-verbaux dressés par ces agents font foi jusqu'à preuve du contraire. ". Aux termes de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable : " I.- Lorsque des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 ", c'est-à-dire ceux soumis à permis de construire, permis d'aménager, permis de démolir ou déclaration préalable ou ceux qui, par dérogation, en sont dispensés, " ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ainsi que des obligations mentionnées à l'article L. 610-1 ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable et qu'un procès-verbal a été dressé en application de l'article L. 480-1, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l'infraction constatée, l'autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3-1 ", c'est-à-dire l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire, d'aménager ou de démolir ou pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable, " peut, après avoir invité l'intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure, dans un délai qu'elle détermine, soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l'aménagement, de l'installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d'autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation. / (...) III.- L'autorité compétente peut assortir la mise en demeure d'une astreinte d'un montant maximal de 500 ? par jour de retard. / L'astreinte peut également être prononcée, à tout moment, après l'expiration du délai imparti par la mise en demeure, le cas échéant prolongé, s'il n'y a pas été satisfait, après que l'intéressé a été invité à présenter ses observations. / Son montant est modulé en tenant compte de l'ampleur des mesures et travaux prescrits et des conséquences de la non-exécution. / Le montant total des sommes résultant de l'astreinte ne peut excéder 25 000 ? ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité compétente peut, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale, mettre en demeure l'intéressé, selon la nature de l'irrégularité constatée et les moyens permettant d'y remédier, le cas échéant sous astreinte, soit de solliciter l'autorisation ou la déclaration nécessaire, soit de mettre la construction, l'aménagement, l'installation ou les travaux en cause en conformité avec les dispositions dont la méconnaissance a été constatée, y compris, si la mise en conformité l'impose, en procédant aux démolitions nécessaires.

4. Eu égard à la gravité des conséquences qu'emporte une mise en demeure, prononcée en application de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, lorsqu'elle prescrit une mise en conformité qui implique nécessairement la démolition de constructions, la condition d'urgence est en principe satisfaite en cas de demande de suspension de son exécution présentée, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, par le propriétaire de l'immeuble qui en est l'objet. Il ne peut en aller autrement que dans le cas où l'autorité administrative justifie de circonstances particulières faisant apparaître, soit que l'exécution de la mesure de démolition n'affecterait pas gravement la situation du propriétaire, soit qu'un intérêt public s'attache à l'exécution rapide de cette mesure.

5. Par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a jugé que Mme B... ne faisait état d'aucun élément de nature à caractériser une situation d'urgence, faute de démontrer que l'éventuelle astreinte prévue par l'arrêté litigieux une fois le délai de six mois écoulé aurait des conséquences irréversibles sur sa situation financière et d'établir que le délai de six mois pour réaliser les travaux, fixé depuis presque cinq mois sans demande de suspension de sa part, serait insuffisant pour effectuer ces opérations. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la condition d'urgence doit, ainsi qu'il a été dit, en principe être regardée comme satisfaite lorsqu'est prescrite une mise en conformité avec la réglementation impliquant des travaux de démolition, sauf circonstances particulières opposées par l'autorité administrative, et, d'autre part, qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l'exécution de l'arrêté du 3 octobre 2023 impliquait notamment la réalisation de tels travaux, le juge des référés a commis une erreur de droit. Par suite, Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Les moyens invoqués par Mme B... à l'appui de sa demande de suspension et tirés de ce que l'arrêté en litige aurait été signé par une autorité incompétente, serait irrégulier faute d'avoir été notifié aux autres propriétaires de l'immeuble et serait illégal en raison des vices qui entachent l'arrêté du 11 juillet 2023 par lequel la présidente de la métropole d'Aix-Marseille-Provence s'est opposée à sa déclaration préalable du 5 juin 2023 tendant à la régularisation des travaux litigieux ne paraissent pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. L'une des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, la demande présentée par Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l'arrêté du 3 octobre 2023 par lequel le maire de Marseille l'a mise en demeure de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité des travaux avec la réglementation en vigueur et à la remise en état des lieux par la restitution de l'étage dans son volume, son aspect extérieur et ses matériaux extérieurs, dans un délai de six mois, doit être rejetée.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit à leur titre mise à la charge de la commune de Marseille qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 29 février 2024 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la commune de Marseille.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 juillet 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 25 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet