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Ariane Web: Conseil d'État 493959, lecture du 30 avril 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:493959.20250430

Décision n° 493959
30 avril 2025
Conseil d'État

N° 493959
ECLI:FR:CECHR:2025:493959.20250430
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Anne Redondo, rapporteure
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats


Lecture du mercredi 30 avril 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée Prosper et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 1er septembre 2021 par lequel le maire de Veigy-Foncenex a accordé à la société en nom collectif IP1R un permis de construire valant permis de démolir pour la construction, après démolition du bâtiment existant, de deux immeubles d'habitation collectifs comportant vingt-cinq logement et quarante-six stationnements, ainsi que la décision du 22 décembre 2021 rejetant leur recours gracieux.

Par un premier jugement n° 2201135 du 27 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois pour permettre la régularisation du vice entachant le permis de construire tenant à la méconnaissance des dispositions de l'article UA.II.1.b. du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais en ce qui concerne l'implantation des constructions par rapport à la limite séparative ouest du terrain.

Un permis de construire modificatif a été délivré le 5 octobre 2023 à la société IP1R et versé à l'instance.

Par un second jugement n° 2201135 du 4 mars 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de la société Prosper et autre.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 mai et 30 juillet 2024 et le 31 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Prosper et M. B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 4 mars 2024 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Veigy-Foncenex et de la société IP1R la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat de la société Prosper et autre et à la SCP Melka, Prigent, Drusch, avocat de la société IP1R ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 1er septembre 2021, le maire de Veigy-Foncenex a accordé à la société IP1R un permis de construire valant permis de démolir pour la construction, après démolition du bâtiment existant, de deux immeubles d'habitation collectifs comportant vingt-cinq logement et quarante-six places de stationnement. La société Prosper et autre ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler cet arrêté, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux. Par un premier jugement du 27 février 2023, le tribunal administratif a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer afin de permettre la régularisation du vice entachant le permis de construire tenant à la méconnaissance des dispositions de l'article UA.II.1.b du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais concernant l'implantation des constructions par rapport à la limite séparative ouest du terrain. Par un arrêté du 5 octobre 2023, le maire de Veigy-Foncenex a délivré à la société IP1R un permis de régularisation, qui a été versé à l'instance. Par un second jugement du 4 mars 2024, dont la société Prosper et autre demandent l'annulation, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté l'ensemble des conclusions de la demande de la société Prosper et autre.

2. Aux termes des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge qui a sursis à statuer sur leur fondement d'apprécier, pour statuer sur le litige lorsqu'une mesure de régularisation lui a été notifiée, si cette mesure assure la régularisation du vice qu'il a relevé quand bien même les parties, invitées à le faire, n'ont pas présenté d'observations devant lui sur ce point.

3. Par suite, la circonstance que les requérants n'ont pas présenté devant le tribunal administratif de Grenoble de moyens dirigés contre le permis de construire de régularisation délivré le 5 octobre 2023, qui a été versé à l'instance devant ce tribunal et leur a été communiqué, ne fait pas obstacle à ce qu'ils puissent utilement contester devant le Conseil d'Etat, par des moyens auxquels ne saurait être opposée leur nouveauté en cassation, le jugement du 4 mars 2024 mettant fin à l'instance en tant que ce second jugement s'est prononcé sur la régularisation, par le permis de construire du 5 octobre 2023, du vice que le tribunal administratif avait relevé dans son premier jugement du 27 février 2023.

4. A cet égard, l'article UA.II.1 du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais, dans sa rédaction issue de la modification approuvée le 20 décembre 2022, entre le permis de construire initial et le permis de construire modificatif, dispose à propos de l'implantation des constructions que : " Pour l'application des règles ci-après, le calcul se fera au nu de la façade, sans tenir compte de ses éléments de débords éventuels, tels débords de toitures et tout ouvrage en saillie à condition que leur profondeur par rapport à la façade concernée ne dépasse pas 1,50 m. (...) UA.II.1.b. Implantation par rapport aux limites séparatives. Les nouvelles constructions (...) doivent s'implanter : (...) S'il n'existe pas d'ordre continu : - Soit sur limite séparative (...) / - Soit en retrait avec : la distance comptée horizontalement de tout point de ce bâtiment au point de la limite parcellaire qui en est le plus rapproché doit être au moins égale à la moitié de la différence d'altitude entre ces deux points, sans pouvoir être inférieure à 3 mètres ". Aux termes de l'article 7 du titre I de ce règlement, consacré notamment aux définitions : " La hauteur totale d'une construction, d'une façade, ou d'une installation correspond à la différence de niveau entre son point le plus haut et son point le plus bas situé à sa verticale, en tout point de la construction. / Elle s'apprécie par rapport au niveau du terrain existant avant travaux, à la date de dépôt de la demande. Le point le plus haut à prendre comme référence correspond au faîtage de la construction (...) ".

5. D'une part, dans son premier jugement du 27 février 2023, le tribunal a retenu que tant le bâtiment A que le bâtiment B étaient implantés à une distance insuffisante de la limite ouest du terrain d'assiette du projet, en méconnaissance des dispositions de l'article UA.II.1.b du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal dans sa rédaction applicable à la date du permis de construire initial, vice dont il a estimé, pour décider de sursoir à statuer, qu'il était susceptible d'être régularisé. En ne se prononçant, dans son jugement du 4 mars 2024 mettant fin à l'instance, que sur la régularisation par le permis de construire modificatif délivré le 5 octobre 2023 et versé à l'instance, de l'implantation du bâtiment A par rapport à la limite séparative, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement et méconnu son office.

6. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article UA.II.1.b du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais, dans sa rédaction applicable à la date du permis modificatif, que la distance devant être respectée par rapport aux limites séparatives de propriété pour l'implantation des bâtiments doit être calculée, non en se bornant à constater la hauteur d'une construction à l'égout du toit, mais de manière glissante, en tenant compte en particulier de la hauteur au faîtage de la construction ainsi que des retraits éventuels de la façade de ce bâtiment, exception faite des saillies de moins de 1,50 mètre. En se prononçant uniquement sur le respect de la règle de retrait par rapport à la hauteur à l'égout du toit, sans examiner celle au faîtage, le tribunal a commis une erreur de droit.

7. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Prosper et autre sont fondés à demander pour ces motifs l'annulation du jugement qu'ils attaquent.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Prosper et autre, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Veigy-Foncenex, d'une part, et de la société IP1R, d'autre part, le versement d'une somme globale de 1 500 euros chacune à la société Prosper et autre au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 4 mars 2024 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Grenoble.

Article 3 : La commune de Veigy-Foncenex versera une somme globale de 1 500 euros à la société Prosper et autre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La société IP1R versera une somme globale de 1 500 euros à la société Prosper et autre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société IP1R au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Prosper, représentante unique désignée, pour les deux requérants, à la commune de Veigy-Foncenex et à la société en nom collectif IP1R.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 avril 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 30 avril 2025.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Redondo
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber


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