Conseil d'État
N° 492192
ECLI:FR:CECHR:2025:492192.20250605
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Alexandre Denieul, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats
Lecture du jeudi 5 juin 2025
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 492192, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 février et 24 mai 2024 et les 8 et 25 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F... A..., Mme B... H... et M. D... E... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1313 du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention passée entre l'Etat et la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes et au cahier des charges annexé ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention ;
3°) d'annuler par voie de conséquence l'arrêté du 29 janvier 2024 relatif aux péages applicables sur le réseau autoroutier concédé à ASF et au tunnel du Puymorens.
2° Sous le n° 494400, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mai et 30 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. G... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1313 du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention passée entre l'Etat et la société ASF pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes et au cahier des charges annexé ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 25 du vingtième avenant à la convention conclue entre l'Etat et la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF) ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la société Le Prado et Gilbert, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des véhicules pour l'utilisation d'infrastructures routières ;
- le code de la commande publique ;
- le code de l'environnement ;
- le code de la voirie routière ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Autoroutes du Sud de la France et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par décret du 28 décembre 2023, le Premier ministre a approuvé le vingtième avenant à la convention conclue le 10 janvier 1992 entre l'Etat et la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes. Cet avenant a pour objet de prévoir les modalités de financement du nouveau tronçon, d'une longueur de 6,2 km, permettant le contournement par l'ouest de Montpellier et reliant les autoroutes A 750 et A 709, dont la réalisation est prévue par le dix-huitième avenant à la convention liant l'Etat et la société ASF approuvé par le décret n° 2022-81 du 28 janvier 2022. Par deux requêtes distinctes, M. C..., d'une part, et Mme A..., Mme B... et M. E..., d'autre part, demandent au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention conclue entre l'Etat et la société ASF et de l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention. Mme A... et autres demandent également l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêté du 29 janvier 2024 relatif aux péages applicables sur le réseau autoroutier concédé à ASF et au tunnel du Puymorens. Ces requêtes soulevant des questions connexes, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la clause tarifaire en litige :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'environnement : " I. - La Commission nationale du débat public est saisie de tous les projets d'aménagement ou d'équipement qui, par leur nature, leurs caractéristiques techniques ou leur coût prévisionnel, tel qu'il peut être évalué lors de la phase d'élaboration, répondent à des critères ou excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat. / (...) II. Les projets appartenant aux catégories définies en application du I mais dont le coût prévisionnel est d'un montant inférieur au seuil fixé en application du I, et qui répondent à des critères techniques ou excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat pour chaque nature de projet, sont rendus publics par leur maître d'ouvrage, qui en publie les objectifs et caractéristiques essentielles et indique sa décision de saisir ou de ne pas saisir la Commission nationale du débat public. Il précise également les modalités de concertation qu'il s'engage à mener dans l'hypothèse où la commission ne serait pas saisie. Il en informe la Commission nationale du débat public. La concertation préalable ainsi menée par le maître d'ouvrage respecte les conditions définies aux articles L. 121-16 et L. 121-16-1 (...) ".
3. L'avenant et le décret litigieux, qui ont pour seul objet de fixer les modalités de financement d'un projet dont la réalisation a été décidée par le dix-huitième avenant à la convention conclue entre l'Etat et la société ASF, ne relèvent pas du champ d'application des dispositions citées au point précédent. Le moyen tiré de l'absence de saisine de la Commission nationale du débat public doit donc être écarté comme inopérant.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière : " L'usage des autoroutes est en principe gratuit. / Toutefois, il peut être institué par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Autorité de régulation des transports, un péage pour l'usage d'une autoroute en vue d'assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l'exploitation, à l'entretien, à l'aménagement ou à l'extension de l'infrastructure. / En cas de concession des missions du service public autoroutier, le péage couvre également la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par le concessionnaire. / Sans préjudice des dispositions du code de la commande publique, des ouvrages ou des aménagements non prévus au cahier des charges de la concession peuvent être intégrés à l'assiette de celle-ci, sous condition stricte de leur nécessité ou de leur utilité, impliquant l'amélioration du service autoroutier sur le périmètre concédé, une meilleure articulation avec les réseaux situés au droit de la concession afin de sécuriser et fluidifier les flux de trafic depuis et vers les réseaux adjacents à la concession et une connexion renforcée avec les ouvrages permettant de desservir les territoires, ainsi que de leur caractère accessoire par rapport au réseau concédé. Ces ouvrages ou ces aménagements peuvent porter sur des sections à gabarit routier ayant pour effet de fluidifier l'accès au réseau autoroutier. Leur financement ne peut être couvert que par une augmentation des tarifs de péages, raisonnable et strictement limitée à ce qui est nécessaire. Le cas échéant, l'Etat et les collectivités territoriales intéressées, dans le cadre des règles prévues dans le code général des collectivités territoriales, peuvent, à titre exceptionnel, apporter des concours (...) ".
5. L'article 25 du cahier des charges annexé à la convention conclue entre l'Etat et la société ASF, tel que modifié par le vingtième avenant à cette convention, prévoit que le projet de contournement Ouest de Montpellier, dépourvu de péage, est financé par des suppléments de péage acquittés par les usagers de l'autoroute A 709 franchissant les barrières de Baillargues et de Saint-Jean-de-Védas, ainsi que par les usagers empruntant l'autoroute A 9 au droit de Montpellier.
6. Les requérants soutiennent que cette hausse tarifaire ne serait pas proportionnée au service rendu aux usagers dès lors, d'une part, que selon les estimations réalisées par l'Autorité de régulation des transports (ART) dans son avis n° 2023-049 du 26 octobre 2023 relatif au projet de vingtième avenant, 86 % des usagers acquittant ces péages n'emprunteront pas le nouveau tronçon, d'autre part que le choix d'amortir intégralement le coût du nouveau tronçon sur la période de douze années restant à courir jusqu'au terme de la concession actuelle plutôt que de prévoir un amortissement plus long avec le versement d'une soulte au concessionnaire en fin de concession, fait peser sur les usagers des douze prochaines années la charge financière d'un ouvrage qui bénéficiera aux usagers au-delà de 2036. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment de l'avis de l'Autorité de régulation des transports, d'une part, que la création du nouveau tronçon, dont l'objet même est de réduire la congestion du trafic local, permettra à l'ensemble des usagers de l'A 709 et de l'A 9 de réaliser des gains de temps sur leur trajet, de sorte que les suppléments de péage qu'ils acquittent trouvent leur contrepartie directe dans une prestation rendue. D'autre part, si la mise à contribution des usagers circulant sur l'A 709 et l'A 9 entre 2024 et 2036 n'est pas strictement proportionnelle à la valeur du service qui leur est spécifiquement rendu, la distorsion tarifaire en cause est d'ampleur limitée eu égard au faible montant du supplément de péage, qui est en moyenne de 18 centimes par trajet. Enfin, le choix de ne pas créer un péage dédié à ce nouveau tronçon trouve sa justification dans un motif d'intérêt général de fluidité du trafic. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la clause tarifaire ne respecterait pas la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu résultant de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière et serait contraire au principe d'égalité des usagers devant le service public et, en tout état de cause, au principe d'égalité devant les charges publiques.
7. En troisième lieu, il résulte des dispositions des articles 2 et 7 sexies de la directive du 17 juin 1999 relative à la taxation des véhicules pour l'utilisation des infrastructures routières que les modalités de calcul de la redevance d'infrastructure pour les véhicules utilitaires lourds prévues par l'article 7 ter de cette directive sont applicables aux concessions dont la procédure de passation est intervenue après le 10 juin 2008 et à celles, ayant été attribuées avant cette date, dont le dispositif de péage a connu une modification substantielle entraînant une hausse des recettes de 10 % par rapport à l'exercice financier précédent. Dès lors qu'il n'est pas même soutenu que le contrat de concession de la société ASF, qui a été conclu le 10 janvier 1992, aurait fait l'objet d'une telle modification substantielle, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de la méconnaissance par la clause tarifaire litigieuse des dispositions de la directive du 17 juin 1999.
8. En quatrième lieu, aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce que l'augmentation tarifaire inclue l'indemnisation des pertes de recettes que subira la société ASF en raison des reports de trafic résultant de la réalisation du nouveau tronçon.
9. En cinquième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (...) ". Aux termes de l'article 108 du même traité : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. (...) ".
10. Dès lors que la clause tarifaire litigieuse, qui ne prévoit aucun dispositif de compensation financière de la société ASF par l'Etat, est relative à des péages acquittés par les usagers d'autoroutes, elle ne peut être regardée comme une aide accordée par l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat au sens des stipulations de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne citées au point précédent. Par conséquent, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la clause tarifaire litigieuse serait constitutive d'une aide d'Etat irrégulière en l'absence de notification à la Commission européenne.
11. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 3135-2 du code de la commande publique : " Le contrat de concession peut être modifié lorsque, sous réserve de la limite fixée à l'article R. 3135-3, des travaux ou services supplémentaires sont devenus nécessaires et ne figuraient pas dans le contrat de concession initial, à la condition qu'un changement de concessionnaire soit impossible pour des raisons économiques ou techniques tenant notamment aux exigences d'interchangeabilité ou d'interopérabilité avec les équipements, services ou installations existants acquis dans le cadre de la concession initiale. "
12. M. C... soutient que l'avenant litigieux méconnaîtrait les dispositions de l'article R. 3135-2 du code de la commande publique citées au point précédent, qui encadre les modifications susceptibles d'être apportées à un contrat de concession en cours d'exécution, et de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière citées au point 2, qui précise les conditions dans lesquelles des ouvrages non prévus par le cahier des charges initial d'une concession autoroutière peuvent y être ajoutés. Toutefois, dès lors que, comme indiqué au point 3, les stipulations de l'avenant litigieux se bornent à prévoir les modalités de financement d'un projet dont la réalisation a été antérieurement décidée, ces moyens doivent être écartés comme inopérants.
Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 décembre 2023 :
13. Indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, dans les conditions définies par la décision n° 358994 du 4 avril 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, ou du recours pour excès de pouvoir susceptible d'être formé contre les clauses réglementaires d'un tel contrat, les tiers qui se prévalent d'intérêts auxquels l'exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester devant le juge de l'excès de pouvoir la légalité de l'acte administratif portant approbation du contrat, sauf à ce qu'un tel acte intervienne, en réalité, dans le cadre de la conclusion même du contrat. Dans le cadre d'un tel recours, les tiers ne sauraient utilement faire valoir des moyens relatifs au contrat lui-même, mais ne peuvent soulever que des moyens tirés de vices propres entachant l'acte d'approbation, voire demander l'annulation de cet acte par voie de conséquence de ce qui est jugé sur les recours formés contre le contrat.
14. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part et contrairement à ce qui est soutenu, le décret attaqué a été soumis à l'avis du Conseil d'Etat. D'autre part, si M. C... soutient qu'il n'est pas établi que le décret publié au Journal officiel serait conforme au projet initial du Gouvernement ou au texte adopté par la section des travaux publics du Conseil d'Etat, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, alors même que le ministre a versé au dossier le texte du décret adopté par cette section, qui a été communiqué au requérant.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret n° 2023-1313 du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention passée entre l'Etat et la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) et de l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention. Les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 janvier 2024 relatif aux péages applicables sur le réseau autoroutier concédé à ASF et au tunnel du Puymorens ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les frais du litige :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société ASF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes de Mme A... et autres et de M. C... sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Autoroutes du Sud de la France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme F... A..., première requérante dénommée, à M. G... C..., à la société Autoroutes du Sud de la France et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
N° 492192
ECLI:FR:CECHR:2025:492192.20250605
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Alexandre Denieul, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats
Lecture du jeudi 5 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 492192, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 février et 24 mai 2024 et les 8 et 25 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F... A..., Mme B... H... et M. D... E... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1313 du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention passée entre l'Etat et la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes et au cahier des charges annexé ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention ;
3°) d'annuler par voie de conséquence l'arrêté du 29 janvier 2024 relatif aux péages applicables sur le réseau autoroutier concédé à ASF et au tunnel du Puymorens.
2° Sous le n° 494400, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mai et 30 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. G... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1313 du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention passée entre l'Etat et la société ASF pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes et au cahier des charges annexé ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 25 du vingtième avenant à la convention conclue entre l'Etat et la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF) ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la société Le Prado et Gilbert, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des véhicules pour l'utilisation d'infrastructures routières ;
- le code de la commande publique ;
- le code de l'environnement ;
- le code de la voirie routière ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Autoroutes du Sud de la France et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par décret du 28 décembre 2023, le Premier ministre a approuvé le vingtième avenant à la convention conclue le 10 janvier 1992 entre l'Etat et la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes. Cet avenant a pour objet de prévoir les modalités de financement du nouveau tronçon, d'une longueur de 6,2 km, permettant le contournement par l'ouest de Montpellier et reliant les autoroutes A 750 et A 709, dont la réalisation est prévue par le dix-huitième avenant à la convention liant l'Etat et la société ASF approuvé par le décret n° 2022-81 du 28 janvier 2022. Par deux requêtes distinctes, M. C..., d'une part, et Mme A..., Mme B... et M. E..., d'autre part, demandent au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention conclue entre l'Etat et la société ASF et de l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention. Mme A... et autres demandent également l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêté du 29 janvier 2024 relatif aux péages applicables sur le réseau autoroutier concédé à ASF et au tunnel du Puymorens. Ces requêtes soulevant des questions connexes, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la clause tarifaire en litige :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'environnement : " I. - La Commission nationale du débat public est saisie de tous les projets d'aménagement ou d'équipement qui, par leur nature, leurs caractéristiques techniques ou leur coût prévisionnel, tel qu'il peut être évalué lors de la phase d'élaboration, répondent à des critères ou excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat. / (...) II. Les projets appartenant aux catégories définies en application du I mais dont le coût prévisionnel est d'un montant inférieur au seuil fixé en application du I, et qui répondent à des critères techniques ou excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat pour chaque nature de projet, sont rendus publics par leur maître d'ouvrage, qui en publie les objectifs et caractéristiques essentielles et indique sa décision de saisir ou de ne pas saisir la Commission nationale du débat public. Il précise également les modalités de concertation qu'il s'engage à mener dans l'hypothèse où la commission ne serait pas saisie. Il en informe la Commission nationale du débat public. La concertation préalable ainsi menée par le maître d'ouvrage respecte les conditions définies aux articles L. 121-16 et L. 121-16-1 (...) ".
3. L'avenant et le décret litigieux, qui ont pour seul objet de fixer les modalités de financement d'un projet dont la réalisation a été décidée par le dix-huitième avenant à la convention conclue entre l'Etat et la société ASF, ne relèvent pas du champ d'application des dispositions citées au point précédent. Le moyen tiré de l'absence de saisine de la Commission nationale du débat public doit donc être écarté comme inopérant.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière : " L'usage des autoroutes est en principe gratuit. / Toutefois, il peut être institué par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Autorité de régulation des transports, un péage pour l'usage d'une autoroute en vue d'assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l'exploitation, à l'entretien, à l'aménagement ou à l'extension de l'infrastructure. / En cas de concession des missions du service public autoroutier, le péage couvre également la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par le concessionnaire. / Sans préjudice des dispositions du code de la commande publique, des ouvrages ou des aménagements non prévus au cahier des charges de la concession peuvent être intégrés à l'assiette de celle-ci, sous condition stricte de leur nécessité ou de leur utilité, impliquant l'amélioration du service autoroutier sur le périmètre concédé, une meilleure articulation avec les réseaux situés au droit de la concession afin de sécuriser et fluidifier les flux de trafic depuis et vers les réseaux adjacents à la concession et une connexion renforcée avec les ouvrages permettant de desservir les territoires, ainsi que de leur caractère accessoire par rapport au réseau concédé. Ces ouvrages ou ces aménagements peuvent porter sur des sections à gabarit routier ayant pour effet de fluidifier l'accès au réseau autoroutier. Leur financement ne peut être couvert que par une augmentation des tarifs de péages, raisonnable et strictement limitée à ce qui est nécessaire. Le cas échéant, l'Etat et les collectivités territoriales intéressées, dans le cadre des règles prévues dans le code général des collectivités territoriales, peuvent, à titre exceptionnel, apporter des concours (...) ".
5. L'article 25 du cahier des charges annexé à la convention conclue entre l'Etat et la société ASF, tel que modifié par le vingtième avenant à cette convention, prévoit que le projet de contournement Ouest de Montpellier, dépourvu de péage, est financé par des suppléments de péage acquittés par les usagers de l'autoroute A 709 franchissant les barrières de Baillargues et de Saint-Jean-de-Védas, ainsi que par les usagers empruntant l'autoroute A 9 au droit de Montpellier.
6. Les requérants soutiennent que cette hausse tarifaire ne serait pas proportionnée au service rendu aux usagers dès lors, d'une part, que selon les estimations réalisées par l'Autorité de régulation des transports (ART) dans son avis n° 2023-049 du 26 octobre 2023 relatif au projet de vingtième avenant, 86 % des usagers acquittant ces péages n'emprunteront pas le nouveau tronçon, d'autre part que le choix d'amortir intégralement le coût du nouveau tronçon sur la période de douze années restant à courir jusqu'au terme de la concession actuelle plutôt que de prévoir un amortissement plus long avec le versement d'une soulte au concessionnaire en fin de concession, fait peser sur les usagers des douze prochaines années la charge financière d'un ouvrage qui bénéficiera aux usagers au-delà de 2036. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment de l'avis de l'Autorité de régulation des transports, d'une part, que la création du nouveau tronçon, dont l'objet même est de réduire la congestion du trafic local, permettra à l'ensemble des usagers de l'A 709 et de l'A 9 de réaliser des gains de temps sur leur trajet, de sorte que les suppléments de péage qu'ils acquittent trouvent leur contrepartie directe dans une prestation rendue. D'autre part, si la mise à contribution des usagers circulant sur l'A 709 et l'A 9 entre 2024 et 2036 n'est pas strictement proportionnelle à la valeur du service qui leur est spécifiquement rendu, la distorsion tarifaire en cause est d'ampleur limitée eu égard au faible montant du supplément de péage, qui est en moyenne de 18 centimes par trajet. Enfin, le choix de ne pas créer un péage dédié à ce nouveau tronçon trouve sa justification dans un motif d'intérêt général de fluidité du trafic. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la clause tarifaire ne respecterait pas la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu résultant de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière et serait contraire au principe d'égalité des usagers devant le service public et, en tout état de cause, au principe d'égalité devant les charges publiques.
7. En troisième lieu, il résulte des dispositions des articles 2 et 7 sexies de la directive du 17 juin 1999 relative à la taxation des véhicules pour l'utilisation des infrastructures routières que les modalités de calcul de la redevance d'infrastructure pour les véhicules utilitaires lourds prévues par l'article 7 ter de cette directive sont applicables aux concessions dont la procédure de passation est intervenue après le 10 juin 2008 et à celles, ayant été attribuées avant cette date, dont le dispositif de péage a connu une modification substantielle entraînant une hausse des recettes de 10 % par rapport à l'exercice financier précédent. Dès lors qu'il n'est pas même soutenu que le contrat de concession de la société ASF, qui a été conclu le 10 janvier 1992, aurait fait l'objet d'une telle modification substantielle, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de la méconnaissance par la clause tarifaire litigieuse des dispositions de la directive du 17 juin 1999.
8. En quatrième lieu, aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce que l'augmentation tarifaire inclue l'indemnisation des pertes de recettes que subira la société ASF en raison des reports de trafic résultant de la réalisation du nouveau tronçon.
9. En cinquième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (...) ". Aux termes de l'article 108 du même traité : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. (...) ".
10. Dès lors que la clause tarifaire litigieuse, qui ne prévoit aucun dispositif de compensation financière de la société ASF par l'Etat, est relative à des péages acquittés par les usagers d'autoroutes, elle ne peut être regardée comme une aide accordée par l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat au sens des stipulations de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne citées au point précédent. Par conséquent, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la clause tarifaire litigieuse serait constitutive d'une aide d'Etat irrégulière en l'absence de notification à la Commission européenne.
11. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 3135-2 du code de la commande publique : " Le contrat de concession peut être modifié lorsque, sous réserve de la limite fixée à l'article R. 3135-3, des travaux ou services supplémentaires sont devenus nécessaires et ne figuraient pas dans le contrat de concession initial, à la condition qu'un changement de concessionnaire soit impossible pour des raisons économiques ou techniques tenant notamment aux exigences d'interchangeabilité ou d'interopérabilité avec les équipements, services ou installations existants acquis dans le cadre de la concession initiale. "
12. M. C... soutient que l'avenant litigieux méconnaîtrait les dispositions de l'article R. 3135-2 du code de la commande publique citées au point précédent, qui encadre les modifications susceptibles d'être apportées à un contrat de concession en cours d'exécution, et de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière citées au point 2, qui précise les conditions dans lesquelles des ouvrages non prévus par le cahier des charges initial d'une concession autoroutière peuvent y être ajoutés. Toutefois, dès lors que, comme indiqué au point 3, les stipulations de l'avenant litigieux se bornent à prévoir les modalités de financement d'un projet dont la réalisation a été antérieurement décidée, ces moyens doivent être écartés comme inopérants.
Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 décembre 2023 :
13. Indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, dans les conditions définies par la décision n° 358994 du 4 avril 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, ou du recours pour excès de pouvoir susceptible d'être formé contre les clauses réglementaires d'un tel contrat, les tiers qui se prévalent d'intérêts auxquels l'exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester devant le juge de l'excès de pouvoir la légalité de l'acte administratif portant approbation du contrat, sauf à ce qu'un tel acte intervienne, en réalité, dans le cadre de la conclusion même du contrat. Dans le cadre d'un tel recours, les tiers ne sauraient utilement faire valoir des moyens relatifs au contrat lui-même, mais ne peuvent soulever que des moyens tirés de vices propres entachant l'acte d'approbation, voire demander l'annulation de cet acte par voie de conséquence de ce qui est jugé sur les recours formés contre le contrat.
14. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part et contrairement à ce qui est soutenu, le décret attaqué a été soumis à l'avis du Conseil d'Etat. D'autre part, si M. C... soutient qu'il n'est pas établi que le décret publié au Journal officiel serait conforme au projet initial du Gouvernement ou au texte adopté par la section des travaux publics du Conseil d'Etat, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, alors même que le ministre a versé au dossier le texte du décret adopté par cette section, qui a été communiqué au requérant.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret n° 2023-1313 du 28 décembre 2023 approuvant le vingtième avenant à la convention passée entre l'Etat et la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) et de l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention. Les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 janvier 2024 relatif aux péages applicables sur le réseau autoroutier concédé à ASF et au tunnel du Puymorens ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les frais du litige :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société ASF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de Mme A... et autres et de M. C... sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Autoroutes du Sud de la France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme F... A..., première requérante dénommée, à M. G... C..., à la société Autoroutes du Sud de la France et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Copie en sera adressée au Premier ministre.