Conseil d'État
N° 497707
ECLI:FR:CECHR:2025:497707.20250630
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Claire Legras, rapporteure
M. Thomas Janicot, rapporteur public
Lecture du lundi 30 juin 2025
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 septembre et 9 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-780 du 9 juillet 2024 relatif aux procédures de suspension du repos hebdomadaire en agriculture ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Claire Legras, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Union syndicale Solidaires ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 714-1 du code rural et de la pêche maritime : " I.- Chaque semaine, les salariés entrant dans le champ d'application de l'article L. 713-1 ont droit à un repos, à prendre le dimanche, d'une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives, auquel s'ajoute le repos prévu à l'article L. 3131-1 du code du travail. / (...) V.- En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de travaux dont l'exécution ne peut être différée, le repos hebdomadaire peut être suspendu pour une durée limitée ; les intéressés bénéficieront, au moment choisi d'un commun accord entre l'employeur et le salarié, d'un repos d'une durée égale au repos supprimé. / (...) VII.- Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la sous-commission des conventions et accords, dans la formation spécifique aux professions agricoles, de la commission nationale de la négociation collective fixe l'ensemble des mesures nécessaires à l'application du présent article ".
2. L'article R. 714-10 du même code, pris pour l'application des dispositions précitées, prévoit, en ses deux premiers alinéas, que : " Tout employeur qui veut suspendre le repos hebdomadaire, dans le cas de circonstances exceptionnelles prévu au V de l'article L. 714-1, doit en aviser immédiatement l'agent de contrôle de l'inspection du travail et, sauf cas de force majeure, avant le commencement du travail. / Il doit faire connaître les circonstances qui justifient la suspension du repos hebdomadaire, indiquer la date et la durée de cette suspension, les personnes qu'elle atteindra et la date à laquelle ces personnes pourront bénéficier du repos compensateur. "
3. Le décret du 9 juillet 2024 relatif aux procédures de suspension du repos hebdomadaire en agriculture, dont l'Union syndicale Solidaires demande l'annulation pour excès de pouvoir, a ajouté à cet article R. 714-10 les deux alinéas suivants : " Sont considérées notamment comme des travaux dont l'exécution ne peut être différée au sens du V de l'article L. 714-1, les récoltes réalisées manuellement en application d'un cahier des charges lié à une appellation d'origine contrôlée ou une indication géographique protégée et imposées par arrêté conformément aux articles L. 641-7 et L. 641-11. / Le repos hebdomadaire des salariés peut être suspendu une fois au plus sur une période de 30 jours ".
4. Les récoltes dont le pouvoir réglementaire a ainsi entendu explicitement préciser qu'elles sont par principe au nombre des travaux dont l'exécution ne peut être différée, et dont, à ce titre, la survenance est réputée caractériser un cas de circonstances exceptionnelles permettant la suspension du repos hebdomadaire au titre des dispositions du V de l'article L. 714-1 du code rural et de la pêche maritime, sont celles qui concernent des produits régis par des appellations d'origine contrôlée ou des indications géographiques protégées, dont le cahier des charges impose qu'elles soient faites à la main à des dates arrêtées chaque année par l'autorité administrative en fonction de critères de maturité strictement définis, avec un préavis dont il ressort des pièces versées au dossier qu'il peut être très bref.
5. En premier lieu, eu égard aux contraintes rigoureuses qui pèsent sur ces récoltes, lesquelles induisent des difficultés spécifiques d'organisation du travail et de recrutement de salariés saisonniers, le pouvoir réglementaire a pu légalement considérer que les conditions particulières dans lesquelles elles sont réalisées caractérisent, au sens et pour l'application des dispositions du V de l'article L. 714-1 du code rural et de la pêche maritime, un cas de " circonstances exceptionnelles, notamment de travaux dont l'exécution ne peut être différée ", quand bien même elles se produiraient chaque année. Il suit de là qu'en édictant les dispositions en litige, le pouvoir réglementaire n'a pas excédé sa compétence et n'a pas méconnu les dispositions du V de cet article L. 714-1.
6. En deuxième lieu, l'employeur qui entend suspendre le repos hebdomadaire dans cette hypothèse demeure soumis aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article R. 714-10 du code rural et de la pêche maritime assurant le contrôle du respect des conditions fixées par le V de l'article L. 714-1 de ce code, dont la méconnaissance est susceptible de donner lieu aux sanctions prévues à l'article L. 719-10 du même code. L'employeur doit ainsi " aviser immédiatement l'agent de contrôle de l'inspection du travail et, sauf cas de force majeure, avant le commencement du travail " et " faire connaître les circonstances qui justifient la suspension du repos hebdomadaire, indiquer la date et la durée de cette suspension, les personnes qu'elle atteindra et la date à laquelle ces personnes pourront bénéficier du repos compensateur ". Le moyen tiré par l'Union syndicale Solidaires de ce que le décret attaqué s'affranchirait des conditions posées par l'article L. 714-1 du code rural et de la pêche maritime ne peut donc qu'être écarté.
7. En dernier lieu, il découle de ce qui précède que l'Union syndicale Solidaires ne peut utilement soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le droit au repos protégé par l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. En tout état de cause, en vertu du dernier alinéa ajouté à l'article R. 714-10 par le décret attaqué, le repos hebdomadaire des salariés ne peut être suspendu plus d'une fois sur une période de trente jours et il donne lieu à l'application du repos compensateur prévu par la loi.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l'Union syndicale Solidaires n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elle attaque.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'Union syndicale Solidaires est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale Solidaires, au Premier ministre et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 juin 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, Mme Anne Lazar Sury, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Claire Legras, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 30 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Claire Legras
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 497707
ECLI:FR:CECHR:2025:497707.20250630
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Claire Legras, rapporteure
M. Thomas Janicot, rapporteur public
Lecture du lundi 30 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 septembre et 9 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-780 du 9 juillet 2024 relatif aux procédures de suspension du repos hebdomadaire en agriculture ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Claire Legras, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Union syndicale Solidaires ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 714-1 du code rural et de la pêche maritime : " I.- Chaque semaine, les salariés entrant dans le champ d'application de l'article L. 713-1 ont droit à un repos, à prendre le dimanche, d'une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives, auquel s'ajoute le repos prévu à l'article L. 3131-1 du code du travail. / (...) V.- En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de travaux dont l'exécution ne peut être différée, le repos hebdomadaire peut être suspendu pour une durée limitée ; les intéressés bénéficieront, au moment choisi d'un commun accord entre l'employeur et le salarié, d'un repos d'une durée égale au repos supprimé. / (...) VII.- Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la sous-commission des conventions et accords, dans la formation spécifique aux professions agricoles, de la commission nationale de la négociation collective fixe l'ensemble des mesures nécessaires à l'application du présent article ".
2. L'article R. 714-10 du même code, pris pour l'application des dispositions précitées, prévoit, en ses deux premiers alinéas, que : " Tout employeur qui veut suspendre le repos hebdomadaire, dans le cas de circonstances exceptionnelles prévu au V de l'article L. 714-1, doit en aviser immédiatement l'agent de contrôle de l'inspection du travail et, sauf cas de force majeure, avant le commencement du travail. / Il doit faire connaître les circonstances qui justifient la suspension du repos hebdomadaire, indiquer la date et la durée de cette suspension, les personnes qu'elle atteindra et la date à laquelle ces personnes pourront bénéficier du repos compensateur. "
3. Le décret du 9 juillet 2024 relatif aux procédures de suspension du repos hebdomadaire en agriculture, dont l'Union syndicale Solidaires demande l'annulation pour excès de pouvoir, a ajouté à cet article R. 714-10 les deux alinéas suivants : " Sont considérées notamment comme des travaux dont l'exécution ne peut être différée au sens du V de l'article L. 714-1, les récoltes réalisées manuellement en application d'un cahier des charges lié à une appellation d'origine contrôlée ou une indication géographique protégée et imposées par arrêté conformément aux articles L. 641-7 et L. 641-11. / Le repos hebdomadaire des salariés peut être suspendu une fois au plus sur une période de 30 jours ".
4. Les récoltes dont le pouvoir réglementaire a ainsi entendu explicitement préciser qu'elles sont par principe au nombre des travaux dont l'exécution ne peut être différée, et dont, à ce titre, la survenance est réputée caractériser un cas de circonstances exceptionnelles permettant la suspension du repos hebdomadaire au titre des dispositions du V de l'article L. 714-1 du code rural et de la pêche maritime, sont celles qui concernent des produits régis par des appellations d'origine contrôlée ou des indications géographiques protégées, dont le cahier des charges impose qu'elles soient faites à la main à des dates arrêtées chaque année par l'autorité administrative en fonction de critères de maturité strictement définis, avec un préavis dont il ressort des pièces versées au dossier qu'il peut être très bref.
5. En premier lieu, eu égard aux contraintes rigoureuses qui pèsent sur ces récoltes, lesquelles induisent des difficultés spécifiques d'organisation du travail et de recrutement de salariés saisonniers, le pouvoir réglementaire a pu légalement considérer que les conditions particulières dans lesquelles elles sont réalisées caractérisent, au sens et pour l'application des dispositions du V de l'article L. 714-1 du code rural et de la pêche maritime, un cas de " circonstances exceptionnelles, notamment de travaux dont l'exécution ne peut être différée ", quand bien même elles se produiraient chaque année. Il suit de là qu'en édictant les dispositions en litige, le pouvoir réglementaire n'a pas excédé sa compétence et n'a pas méconnu les dispositions du V de cet article L. 714-1.
6. En deuxième lieu, l'employeur qui entend suspendre le repos hebdomadaire dans cette hypothèse demeure soumis aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article R. 714-10 du code rural et de la pêche maritime assurant le contrôle du respect des conditions fixées par le V de l'article L. 714-1 de ce code, dont la méconnaissance est susceptible de donner lieu aux sanctions prévues à l'article L. 719-10 du même code. L'employeur doit ainsi " aviser immédiatement l'agent de contrôle de l'inspection du travail et, sauf cas de force majeure, avant le commencement du travail " et " faire connaître les circonstances qui justifient la suspension du repos hebdomadaire, indiquer la date et la durée de cette suspension, les personnes qu'elle atteindra et la date à laquelle ces personnes pourront bénéficier du repos compensateur ". Le moyen tiré par l'Union syndicale Solidaires de ce que le décret attaqué s'affranchirait des conditions posées par l'article L. 714-1 du code rural et de la pêche maritime ne peut donc qu'être écarté.
7. En dernier lieu, il découle de ce qui précède que l'Union syndicale Solidaires ne peut utilement soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le droit au repos protégé par l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. En tout état de cause, en vertu du dernier alinéa ajouté à l'article R. 714-10 par le décret attaqué, le repos hebdomadaire des salariés ne peut être suspendu plus d'une fois sur une période de trente jours et il donne lieu à l'application du repos compensateur prévu par la loi.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l'Union syndicale Solidaires n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elle attaque.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'Union syndicale Solidaires est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale Solidaires, au Premier ministre et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 juin 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, Mme Anne Lazar Sury, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Claire Legras, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 30 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Claire Legras
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber