Conseil d'État
N° 491374
ECLI:FR:CECHR:2025:491374.20250701
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteure
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS;SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du mardi 1 juillet 2025
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro 491374, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février, 2 mai et 3 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Comité français pour le fonds des Nations-Unies pour l'enfance (UNICEF France), Médecins du monde, Secours catholique - Caritas France et Comité inter-mouvements auprès des évacués demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté leur demande d'abrogation des articles R. 221-11 à R. 221-15-9 du code de l'action sociale et des familles ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les départements pour l'évaluation de ces personnes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le numéro 491419, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février et 2 mai 2024 et le 8 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, l'association Informations sur les mineurs isolés étrangers et l'association Accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les départements pour l'évaluation de ces personnes ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre toutes les dispositions réglementaires et mesures nécessaires pour compléter le dispositif de prise en charge des mineurs non accompagnés et assurer la poursuite de leur prise en charge en dépit d'une décision du président du conseil départemental concluant à leur majorité ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au Premier ministre d'adopter toutes les mesures nécessaires pour instaurer une voie de recours effective contre la décision du président du conseil départemental refusant la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance des personnes considérées comme majeures ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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3° Sous le numéro 491420, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février et 2 mai 2024 et le 8 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, l'association Informations sur les mineurs isolés étrangers et l'association Accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (AADJAM) demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande d'abrogation des articles R. 221-11 à R. 221-15-9 du code de l'action sociale et des familles ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre toutes les dispositions réglementaires et mesures nécessaires pour compléter le dispositif de prise en charge des mineurs non accompagnés et assurer la poursuite de leur prise en charge en dépit d'une décision du président du conseil départemental concluant à leur majorité ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au Premier ministre d'adopter toutes les mesures nécessaires pour instaurer une voie de recours effective contre la décision du président du conseil départemental refusant la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance des personnes considérées comme majeures ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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4° Sous le numéro 492078, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 février et 23 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Hauts-de-Seine demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les départements pour l'évaluation de ces personnes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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5° Sous le numéro 492079, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 février et 23 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Hauts-de-Seine demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1253 du 26 décembre 2023 relatif aux modalités de répartition des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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6° Sous le numéro 493478, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 16 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Informations sur les mineurs isolés étrangers, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, l'association Accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité et l'association Utopia 56 demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-119 du 16 février 2024 relatif aux conditions d'accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d'hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter toutes les dispositions réglementaires et mesures nécessaires pour assurer une prise en charge des mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance conforme à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990, et son protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association Unicef France et autres, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s et autres, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du département des Hauts-de-Seine, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'association Informations sur les mineurs isolés étrangers et autres et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de l'association La voix de l'enfant ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 juin 2025, présentée sous le n° 491374 par l'association UNICEF France et autres ;
Vu les observations, enregistrées le 4 juin 2025, présentées sous les nos 491374,491419 et 491420 par la Défenseure des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2001 relative au Défenseur des droits ;
Considérant ce qui suit :
1. La section 4 du chapitre premier du titre II du livre II du code de l'action sociale et des familles, qui comporte, en partie réglementaire, des articles R. 221-11 à R. 221-15 9, comprend les dispositions relatives aux conditions d'accueil et d'évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. À la suite de l'adoption de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, cette section a été modifiée par un décret du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les départements pour l'évaluation de ces personnes et par un décret du 26 décembre 2023 relatif aux modalités de répartition des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Le décret du 16 février 2024 relatif aux conditions d'accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d'hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration a par ailleurs créé, avant la section 4, une section 3 bis précisant les conditions d'accueil exceptionnel pour des situations d'urgence ou pour assurer la mise à l'abri des personnes mineures ou majeures âgées de moins de vingt et un ans prises en charge par l'aide sociale à l'enfance. Les six requêtes visées ci-dessus, qui tendent à l'annulation pour excès de pouvoir de ces trois décrets et des décisions du Premier ministre refusant d'abroger la section 4 du chapitre premier du titre II du livre II de la partie réglementaire du code de l'action sociale et des familles, présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur les interventions :
2. Les interventions, sous le n° 491374, de l'association La Voix de l'enfant, de l'association Uniopss et autres, de l'Association nationale des assistants de service social et autres, de l'association Alliance des avocats pour les droits de l'homme et autres, du Comité pour la santé des exilé.e.s, de l'association Droit à l'école, de l'association Médecins sans frontières, de l'association Utopia 56, sous les nos 491419 et 491420, du Syndicat des avocats de France et autres et de l'association La Voix de l'enfant et, sous le n° 493478, de l'association La Voix de l'enfant, sont recevables, ces organisations justifiant d'un intérêt suffisant à l'annulation des décrets et décisions attaqués.
Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions refusant d'abroger les articles R. 221-11 à R. 221-15-9 du code de l'action sociale et des familles et du décret du 22 décembre 2023 :
3. Aux termes de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction issue de l'article 40 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence. / II. - En vue d'évaluer la situation de la personne mentionnée au I et après lui avoir permis de bénéficier d'un temps de répit, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. / L'évaluation est réalisée par les services du département. Dans le cas où le président du conseil départemental délègue la mission d'évaluation à un organisme public ou à une association, les services du département assurent un contrôle régulier des conditions d'évaluation par la structure délégataire. / Sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental, en lien avec le représentant de l'Etat dans le département, organise la présentation de la personne auprès des services de l'Etat afin qu'elle communique toute information utile à son identification et au renseignement, par les agents spécialement habilités à cet effet, du traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l'article L. 142-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le représentant de l'Etat dans le département communique au président du conseil départemental les informations permettant d'aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne. / Le président du conseil départemental peut en outre : / 1° Solliciter le concours du représentant de l'Etat dans le département pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne ; / 2° Demander à l'autorité judiciaire la mise en oeuvre des examens prévus au deuxième alinéa de l'article 388 du code civil selon la procédure définie au même article 388. / Il statue sur la minorité et la situation d'isolement de la personne, en s'appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises par le représentant de l'Etat dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l'éclairer. / La majorité d'une personne se présentant comme mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ne peut être déduite de son seul refus opposé au recueil de ses empreintes, ni de la seule constatation qu'elle est déjà enregistrée dans le traitement automatisé mentionné au présent II ou dans le traitement automatisé mentionné à l'article L. 142-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. / III. - Le président du conseil départemental transmet chaque mois au représentant de l'Etat dans le département la date et le sens des décisions individuelles prises à l'issue de l'évaluation prévue au II du présent article. / IV. - L'Etat verse aux départements une contribution forfaitaire pour l'évaluation de la situation et la mise à l'abri des personnes mentionnées au I. / La contribution n'est pas versée, en totalité ou en partie, lorsque le président du conseil départemental n'organise pas la présentation de la personne prévue au troisième alinéa du II ou ne transmet pas, chaque mois, la date et le sens des décisions mentionnées au III. / V. - Les modalités d'application du présent article, notamment des dispositions relatives à la durée de l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I et au versement de la contribution mentionnée au IV, sont fixées par décret en Conseil d'Etat. "
En ce qui concerne les garanties reconnues à la personne se déclarant mineure :
4. D'une part, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Le 1 de l'article 8 de cette convention dispose que " Les Etats parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale ". Aux termes de l'article 12 de la même convention : " 1. Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. " Le 1 de l'article 20 de cette convention prévoit que : " Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui, dans son propre intérêt, ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l'Etat ". Enfin, l'article 37 de la même convention stipule que : " Les Etats parties veillent à ce que : / a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans; / b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible; / c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l'on estime préférable de ne pas le faire dans l'intérêt supérieur de l'enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles; / d) Les enfants privés de liberté aient le droit d'avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu'une décision rapide soit prise en la matière. "
5. D'autre part, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 8 de la même convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
6. Il résulte des stipulations citées, d'une part, au point 4, lesquelles ne confèrent pas de caractère contraignant aux " constatations " que le comité des droits de l'enfant institué par l'article 43 de la convention relative aux droits de l'enfant transmet à un Etat partie, sur le fondement du protocole facultatif à cette convention établissant une procédure de présentation de communications et, d'autre part, au point 5, que la puissance publique a pour obligation de protéger et de prendre en charge les mineurs présents sur le territoire national qui sont privés du soutien de leur famille. Il s'ensuit que les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures.
S'agissant de la durée de l'accueil provisoire d'urgence :
7. L'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles impose au président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille de mettre en place un accueil provisoire d'urgence. Après lui avoir permis de bénéficier d'un temps de répit, le président du conseil départemental procède, en vue d'évaluer sa situation, aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. À l'issue de ces dernières, il statue sur la minorité et la situation d'isolement de cette personne. Le V de cet article renvoie à un décret en Conseil d'Etat la fixation des modalités d'application de ces dispositions, en particulier la durée de l'accueil provisoire d'urgence. Le I de l'article R. 221-11 du même code, dans sa rédaction résultant du décret du 22 décembre 2023, dispose que la durée de l'accueil provisoire d'urgence est de cinq jours à compter du premier jour de la prise en charge de la personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille et qu'il peut être prolongé deux fois pour la même durée. Le VI du même article prévoit qu'au terme de ce délai ou avant son expiration si l'évaluation a été conduite à son terme, le président du conseil départemental statue sur la minorité et la situation d'isolement de la personne sollicitant une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. S'il estime que la situation de cette personne ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il lui notifie sa décision de refuser sa prise en charge et l'accueil provisoire d'urgence prend fin. Si, au contraire, il saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 aux fins d'application du deuxième alinéa de l'article 375-5 du code civil, l'accueil provisoire d'urgence se prolonge jusqu'à la décision de l'autorité judiciaire.
8. Si les requérantes soutiennent que la durée de l'accueil provisoire d'urgence prévu au I de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles serait insuffisante au regard du délai nécessaire au président du conseil départemental pour rendre sa décision, il résulte en tout état de cause des dispositions citées au point précédent, ainsi que l'indique le ministre en défense, que cet accueil ne peut cesser tant que le président du conseil départemental n'a pas statué sur la minorité et sur la situation d'isolement de la personne ou, s'il saisit l'autorité judiciaire, jusqu'à la décision de celle-ci. Le moyen ne peut, par suite, qu'être écarté.
S'agissant de l'accompagnement du demandeur :
9. Le II de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles prévoit que les investigations portant sur l'identité, l'âge, la famille d'origine, la nationalité et l'état d'isolement de la personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille sont conduites par les services du département ou sous leur contrôle. Sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental organise la présentation de la personne auprès des services de l'Etat. Il peut en outre solliciter le concours du représentant de l'Etat dans le département pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne et demander à l'autorité judiciaire la mise en oeuvre des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge prévus au deuxième alinéa de l'article 388 du code civil. Le IV de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue du décret contesté, prévoit que l'évaluation de la minorité et de l'isolement est organisée selon les modalités précisées dans un référentiel national, que les entretiens sont conduits par des professionnels justifiant d'une formation ou d'une expérience définie par arrêté des ministres mentionnés à l'alinéa précédent dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et que ces entretiens se déroulent dans une langue comprise par la personne accueillie.
10. Au cours de cette procédure, la personne accueillie peut être accompagnée de la personne de son choix, représentant ou non une association, en application de l'article L. 223-1 du même code. Dans la mesure où les textes régissant cette procédure ne l'excluent pas expressément, elle peut être assistée ou représentée par un avocat dans les conditions prévues à l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Compte tenu de la possibilité d'être ainsi accompagnée, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'absence de désignation d'un représentant chargé de défendre les intérêts de cette personne serait de nature à priver cette dernière d'une garantie nécessaire.
S'agissant de la " présomption d'authenticité " des documents d'identité :
11. Si, comme il a été dit au point 6, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique que les modalités de détermination de l'âge des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille soient entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures, il ne résulte pas de ces stipulations de " présomption d'authenticité " des documents d'identité qui conduirait à considérer que, jusqu'à preuve du contraire, les documents d'identité étrangers présentés sont authentiques. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention relative aux droits de l'enfant doit, pour les mêmes raisons et en tout état de cause, être écarté.
12. L'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles, cité au point 3, prévoit que, pour apprécier la situation de la personne sollicitant sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental se fonde sur un faisceau d'indices, résultant des investigations qu'il a diligentées. Les éléments pris en compte par le président du conseil départemental incluent les informations et documents, notamment d'identité, fournis par la personne sollicitant sa prise en charge, les informations transmises par le représentant de l'Etat dans le département, le résultat des examens radiologiques osseux le cas échéant réalisés aux fins de détermination de l'âge que le président du conseil départemental peut demander à l'autorité judiciaire de mettre en oeuvre, ainsi que tout autre élément susceptible de l'éclairer. L'article 388 du code civil précise que les conclusions des examens radiologiques osseux doivent préciser la marge d'erreur et ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur, le doute profitant à ce dernier. En permettant au président du conseil départemental de prendre en compte l'ensemble de ces éléments pour statuer sur la situation de la personne sollicitant sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, sans accorder un poids déterminant aux documents d'identité produits, dont l'authenticité peut être longue et difficile à établir, le législateur a entouré la procédure ainsi définie de garanties suffisantes. En outre, les associations requérantes ne peuvent, en tout état de cause, soutenir que les dispositions de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des famille, qui précisent que l'évaluation de la minorité et de l'isolement est organisée selon les modalités précisées dans un référentiel national fixé par arrêté des ministres de la justice et de l'intérieur ainsi que des ministres chargés de l'enfance, des collectivités territoriales et de l'outre-mer, que les entretiens sont conduits par des professionnels justifiant d'une formation ou d'une expérience définie par arrêté des mêmes ministres dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et que ces entretiens se déroulent dans une langue comprise par la personne accueillie, méconnaîtraient la valeur que l'article 47 du code civil accorde aux actes d'état civil faits en pays étranger dès lors que ces dispositions sont prises pour l'application de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles.
13. Il résulte de ce qui précède que la procédure d'évaluation de la minorité et de l'isolement de la personne sollicitant son admission à l'aide sociale à l'enfance instituée aux articles L. 221-2-4 et R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles ne contrevient pas aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute de créer une " présomption d'authenticité " des documents d'état civil ou d'identité produits par les demandeurs.
S'agissant des relations entre le département et les services de l'Etat :
14. Le troisième alinéa du II de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental, en lien avec le représentant de l'Etat dans le département, organise la présentation de la personne auprès des services de l'Etat. Le représentant de l'Etat dans le département communique au président du conseil départemental les informations permettant d'aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne. Tout d'abord, la circonstance que l'intéressé soit ainsi amené à se rendre en préfecture et à y être accueilli par des agents habituellement chargés de la mise en oeuvre de la réglementation concernant les ressortissants étrangers, à qui il appartient, au demeurant, de prendre en compte la situation de vulnérabilité de la personne se présentant comme mineure et privée de la protection de sa famille, n'est pas, en elle-même, de nature à priver le demandeur des garanties nécessaires. L'intervention des agents des préfectures a pour seul objet de fournir au président du conseil départemental des informations permettant d'aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne, qui sont alors l'un des éléments de l'évaluation qui doit être conduite, en vertu du IV de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, par les services du département, ou de la structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle cette mission a été déléguée par le président du conseil départemental. Elle est distincte des entretiens menés avec les intéressés par les professionnels de ces services ou structures, en application du second alinéa du IV du même article, dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire. Enfin, d'une part, il résulte des articles L. 221-1, L. 223-2 et R. 221-11 du même code que, sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l'évidence pas remplie, il incombe aux autorités du département de mettre en place un accueil provisoire d'urgence pour toute personne se déclarant mineure et privée de la protection de sa famille, confrontée à des difficultés risquant de mettre en danger sa santé, sa sécurité ou sa moralité, sans pouvoir subordonner le bénéfice de cet accueil à la communication par l'intéressé des informations utiles à son identification et au renseignement du traitement " appui à l'évaluation de la minorité " ni au résultat de l'éventuelle sollicitation des services de l'Etat. D'autre part, il résulte des dispositions du 5° de l'article R. 221-15-8 du même code qu'une mesure d'éloignement ne peut être prise contre la personne que si, de nationalité étrangère, elle a été évaluée comme majeure, et après un examen de sa situation. Dès lors, en instaurant cette procédure, le législateur et le pouvoir réglementaire n'ont pas privé le demandeur de garanties nécessaires.
S'agissant de la possibilité de contester la décision de refus de prise en charge du président du conseil départemental :
15. Si le président du conseil départemental refuse de saisir l'autorité judiciaire, notamment lorsqu'il estime que la personne sollicitant son admission à l'aide sociale à l'enfance a atteint la majorité, celle-ci peut saisir le juge des enfants en application de l'article 375 du code civil. Par cette voie de recours, un mineur peut obtenir du juge qu'il ordonne son admission à l'aide sociale à l'enfance, y compris à titre provisoire pendant l'instance, sans que son incapacité à agir en justice ne puisse lui être opposée, une telle admission provisoire pouvant également être ordonnée en cas d'urgence par le procureur de la République dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 375-5 du code civil. L'intéressé peut bénéficier, pour cette procédure, de l'aide juridictionnelle sans condition de résidence, conformément aux articles 13 et 19-1 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle. Si l'existence de cette voie de droit rend irrecevable le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif contre la décision du président du conseil départemental de refuser de saisir l'autorité judiciaire et la demande de suspension dont ce recours peut être assorti, la personne sollicitant son admission à l'aide sociale à l'enfance peut demander au juge du référé, statuant dans un délai de quarante-huit heures sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que ce dernier serait privé du droit à un recours effectif garanti par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute de possibilité de former un recours suspensif contre la décision du président du conseil départemental et faute de délai imparti au juge pour statuer sur sa requête.
16. Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions en litige méconnaîtraient l'intérêt supérieur de l'enfant ou ne comporteraient pas les garanties nécessaires afin que des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ne soient pas, au cours de la procédure d'évaluation de la minorité et de l'isolement de la personne sollicitant son admission à l'aide sociale à l'enfance instituée aux articles L. 221-2-4 et R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, indûment considérées comme majeures.
En ce qui concerne les autres moyens des requêtes :
17. D'une part, il ressort de la copie de la minute de la section sociale du Conseil d'Etat, produite dans le cadre de l'instruction par la ministre du travail, de la santé et des solidarités, que le décret du 22 décembre 2023 ne comporte pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret ne peut qu'être écarté.
18. D'autre part, le département des Hauts-de-Seine ne peut utilement soutenir que le décret en litige méconnaîtrait les articles L. 221-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles qui organisent l'exercice par les départements de leur compétence en matière d'aide sociale à l'enfance, dès lors que le décret en litige ne procède au transfert d'aucune nouvelle compétence aux départements.
19. Enfin, si le département des Hauts-de-Seine soutient que la possibilité instaurée au premier alinéa de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles par le décret en litige, pour le président du conseil départemental, de prolonger la durée de l'accueil provisoire d'urgence, initialement de cinq jours, deux fois pour la même durée, crée pour lui une charge nouvelle, il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que cette charge serait, par son ampleur, de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales, en méconnaissance de l'article 72 de la Constitution.
20. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret du 22 décembre 2023 et de la décision refusant d'abroger les articles R. 221-11 à R. 221-15-9 du code de l'action sociale et des familles.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 26 décembre 2023 :
21. L'article L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que le ministre de la justice fixe, selon des modalités prévues par décret en Conseil d'Etat, les objectifs de répartition proportionnée, entre les départements, des accueils de mineurs et de majeurs de moins de vingt et un ans privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, en fonction de critères démographiques, socio-économiques et d'éloignement géographique.
22. Le décret en litige modifie les dispositions d'application de cet article, qui figurent à l'article R. 221-13 du même code. D'une part, ce décret exclut de la population du département prise en compte pour le calcul de la clef de répartition entre départements les bénéficiaires du revenu de solidarité active et leurs ayants droit dans ce département. D'autre part, il prend en compte, pour déterminer cette clef de répartition, non seulement les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, mais également les majeurs de moins de vingt et un ans privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.
23. Ces deux modifications ne sont, en tout état de cause, pas de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales, en méconnaissance de l'article 72 de la Constitution, dès lors qu'elles ont pour effet de modifier la répartition des mineurs et des jeunes majeurs pris en charge par les départements au titre de l'aide sociale à l'enfance, sans altérer le nombre de personnes ainsi prises en charge, si bien qu'elles ne sauraient mettre une compétence nouvelle à la charge des départements.
24. Il résulte de ce qui précède que le département des Hauts-de France n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 26 décembre 2023.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 16 février 2024 :
25. Aux termes de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles : " Hors périodes de vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs, la prise en charge d'une personne mineure ou âgée de moins de vingt et un ans au titre [de l'aide sociale à l'enfance] est assurée par [un assistant familial] ou dans des établissements et services autorisés au titre du présent code. / Par dérogation au premier alinéa du présent article et à titre exceptionnel pour répondre à des situations d'urgence ou assurer la mise à l'abri des mineurs, cette prise en charge peut être réalisée, pour une durée ne pouvant excéder deux mois, dans d'autres structures d'hébergement relevant des articles L. 227-4 et L. 321-1. Elle ne s'applique pas dans le cas des mineurs atteints d'un handicap physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant, reconnu par la maison départementale des personnes handicapées. Un décret, pris après consultation des conseils départementaux, fixe les conditions d'application du présent article, notamment le niveau minimal d'encadrement et de suivi des mineurs concernés requis au sein de ces structures ainsi que la formation requise ". Le décret du 16 février 2024, pris en application de ces dispositions, introduit dans le chapitre premier du titre II du livre II du code de l'action sociale et des familles des articles D. 221-10-1 à D. 221-10-3.
26. En premier lieu, il ne résulte pas des dispositions de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles, éclairées par les travaux préparatoires qui ont précédé leur adoption, que chacun des 101 conseils départementaux devait être consulté préalablement à l'édiction du décret litigieux. Il ressort des pièces des dossiers que, préalablement à l'adoption du décret litigieux, l'administration a réuni un groupe de travail auquel ont été invités des représentants de Départements de France, des départements de Seine-Saint-Denis, des Hauts de-Seine, des Bouches-du-Rhône, du Nord, du Val-d'Oise et de la métropole de Lyon, qui ont été choisis en raison du nombre élevé de mineurs non accompagnés qu'ils prennent en charge. Ces derniers ont été invités à participer à une réunion de concertation et ont pu déposer des contributions. Par suite, l'association requérante, qui ne soutient pas que le décret traiterait de questions n'ayant pas été préalablement soumises à concertation, n'est pas fondée à soutenir que le décret aurait été adopté selon une procédure méconnaissant les prescriptions de la dernière phrase de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles.
27. En deuxième lieu, l'article D. 221-10-2 du code de l'action sociale et des familles créé par le décret litigieux se borne à prévoir que l'accueil des mineurs âgés d'au moins seize ans et des jeunes majeurs pris en charge dans une structure d'hébergement relevant des articles L. 227-4 et L. 321-1 comprend une surveillance de jour comme de nuit au sein de la structure, par la présence d'au moins un professionnel formé à cet effet, afin de garantir la protection des personnes qui y sont accueillies, ainsi que des visites régulières diligentées par le président du conseil départemental afin de s'assurer des conditions matérielles de prise en charge des personnes ainsi hébergées. L'article D. 221-10-3 du même code énonce pour sa part que ces personnes bénéficient d'un accompagnement socio-éducatif adapté.
28. Ces dispositions, qui se bornent, d'une part, à imposer la présence d'un surveillant quel que soit le nombre de mineurs accueillis et, d'autre part, à prévoir que ceux-ci doivent bénéficier d'un accompagnement socio-éducatif " adapté ", ne peuvent être regardées comme fixant le niveau minimal d'encadrement et de suivi de façon conforme à la dernière phrase de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, les associations requérantes sont fondées à soutenir qu'elles méconnaissent cet article dans cette mesure.
29. En troisième lieu, l'article D. 221-10-3 du code de l'action sociale et des familles, cité au point 27, dispose également que les professionnels chargés de l'accompagnement socio-éducatif et sanitaire des personnes prises en charge sont titulaires d'un diplôme dans le domaine social, sanitaire, médico-social ou de l'animation socio-éducative. Ces mentions permettent d'identifier les formations requises pour assurer l'encadrement et le suivi des jeunes ainsi hébergés. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles, l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 et par le premier alinéa de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ou qu'elles seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
30. En dernier lieu, dès lors que l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles dispose lui-même que l'accueil des mineurs dans les conditions qu'il fixe constitue une modalité dérogatoire de prise en charge à titre exceptionnel, pour une durée ne pouvant excéder deux mois, pour répondre à des situations d'urgence ou pour assurer la mise à l'abri des mineur, les associations requérantes ne peuvent utilement soutenir que le décret en litige méconnaîtrait les mêmes dispositions faute de fixer une durée maximale pour l'accueil de ces mineurs.
31. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation du décret du 16 février 2024 dans la mesure mentionnée au point 28.
Sur le surplus des conclusions :
32. L'annulation partielle prononcée n'implique pas qu'il soit fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par les requérantes, qu'il y a dès lors lieu de rejeter.
33. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante pour l'essentiel.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions, sous le n° 491374, de l'association La Voix de l'enfant, de l'association Uniopss et autres, de l'Association nationale des assistants de service social et autres, de l'association Alliance des avocats pour les droits de l'homme et autres, de l'association Comité pour la santé des exilé.e.s, de l'association Droit à l'école, de l'association Médecins sans frontières et de l'association Utopia 56, sous les nos 491419 et 491420, du Syndicat des avocats de France et autres et de l'association La Voix de l'enfant, et, sous le n° 493478, de l'association La Voix de l'enfant, sont admises.
Article 2 : Le décret du 16 février 2024 relatif aux conditions d'accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d'hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration est annulé en tant qu'il ne fixe pas le niveau minimal d'encadrement et de suivi requis par la dernière phrase de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Comité français pour le fonds des Nations-Unies pour l'enfance (UNICEF France), représentant unique désigné, pour l'ensemble des requérants sous le n° 491374, à l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, première dénommée, sous les nos 491419 et 491420, au département des Hauts-de-Seine sous les nos 492078 et 492079, à l'association Information sur les mineurs isolés étrangers, première dénommée, sous le n° 493478, aux associations La voix de l'enfant, Uniopss, Association nationale des assistants de service social, Alliance des avocats pour les droits de l'homme, Comité pour la santé des exilé.e.s, Droit à l'école, Médecins sans frontières et Utopia 56 et au Syndicat des avocats de France et autres, intervenants ou premiers intervenants dénommés, pour l'ensemble des intervenants, au Premier ministre, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Copie en sera adressée à la Défenseure des droits.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 mai 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mahé conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 1er juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly
N° 491374
ECLI:FR:CECHR:2025:491374.20250701
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteure
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS;SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du mardi 1 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro 491374, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février, 2 mai et 3 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Comité français pour le fonds des Nations-Unies pour l'enfance (UNICEF France), Médecins du monde, Secours catholique - Caritas France et Comité inter-mouvements auprès des évacués demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté leur demande d'abrogation des articles R. 221-11 à R. 221-15-9 du code de l'action sociale et des familles ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les départements pour l'évaluation de ces personnes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le numéro 491419, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février et 2 mai 2024 et le 8 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, l'association Informations sur les mineurs isolés étrangers et l'association Accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les départements pour l'évaluation de ces personnes ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre toutes les dispositions réglementaires et mesures nécessaires pour compléter le dispositif de prise en charge des mineurs non accompagnés et assurer la poursuite de leur prise en charge en dépit d'une décision du président du conseil départemental concluant à leur majorité ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au Premier ministre d'adopter toutes les mesures nécessaires pour instaurer une voie de recours effective contre la décision du président du conseil départemental refusant la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance des personnes considérées comme majeures ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le numéro 491420, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février et 2 mai 2024 et le 8 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, l'association Informations sur les mineurs isolés étrangers et l'association Accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (AADJAM) demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande d'abrogation des articles R. 221-11 à R. 221-15-9 du code de l'action sociale et des familles ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre toutes les dispositions réglementaires et mesures nécessaires pour compléter le dispositif de prise en charge des mineurs non accompagnés et assurer la poursuite de leur prise en charge en dépit d'une décision du président du conseil départemental concluant à leur majorité ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au Premier ministre d'adopter toutes les mesures nécessaires pour instaurer une voie de recours effective contre la décision du président du conseil départemental refusant la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance des personnes considérées comme majeures ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
4° Sous le numéro 492078, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 février et 23 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Hauts-de-Seine demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les départements pour l'évaluation de ces personnes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
5° Sous le numéro 492079, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 février et 23 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Hauts-de-Seine demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1253 du 26 décembre 2023 relatif aux modalités de répartition des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
6° Sous le numéro 493478, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 16 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Informations sur les mineurs isolés étrangers, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, l'association Accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité et l'association Utopia 56 demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-119 du 16 février 2024 relatif aux conditions d'accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d'hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter toutes les dispositions réglementaires et mesures nécessaires pour assurer une prise en charge des mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance conforme à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990, et son protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association Unicef France et autres, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s et autres, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du département des Hauts-de-Seine, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'association Informations sur les mineurs isolés étrangers et autres et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de l'association La voix de l'enfant ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 juin 2025, présentée sous le n° 491374 par l'association UNICEF France et autres ;
Vu les observations, enregistrées le 4 juin 2025, présentées sous les nos 491374,491419 et 491420 par la Défenseure des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2001 relative au Défenseur des droits ;
Considérant ce qui suit :
1. La section 4 du chapitre premier du titre II du livre II du code de l'action sociale et des familles, qui comporte, en partie réglementaire, des articles R. 221-11 à R. 221-15 9, comprend les dispositions relatives aux conditions d'accueil et d'évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. À la suite de l'adoption de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, cette section a été modifiée par un décret du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les départements pour l'évaluation de ces personnes et par un décret du 26 décembre 2023 relatif aux modalités de répartition des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Le décret du 16 février 2024 relatif aux conditions d'accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d'hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration a par ailleurs créé, avant la section 4, une section 3 bis précisant les conditions d'accueil exceptionnel pour des situations d'urgence ou pour assurer la mise à l'abri des personnes mineures ou majeures âgées de moins de vingt et un ans prises en charge par l'aide sociale à l'enfance. Les six requêtes visées ci-dessus, qui tendent à l'annulation pour excès de pouvoir de ces trois décrets et des décisions du Premier ministre refusant d'abroger la section 4 du chapitre premier du titre II du livre II de la partie réglementaire du code de l'action sociale et des familles, présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur les interventions :
2. Les interventions, sous le n° 491374, de l'association La Voix de l'enfant, de l'association Uniopss et autres, de l'Association nationale des assistants de service social et autres, de l'association Alliance des avocats pour les droits de l'homme et autres, du Comité pour la santé des exilé.e.s, de l'association Droit à l'école, de l'association Médecins sans frontières, de l'association Utopia 56, sous les nos 491419 et 491420, du Syndicat des avocats de France et autres et de l'association La Voix de l'enfant et, sous le n° 493478, de l'association La Voix de l'enfant, sont recevables, ces organisations justifiant d'un intérêt suffisant à l'annulation des décrets et décisions attaqués.
Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions refusant d'abroger les articles R. 221-11 à R. 221-15-9 du code de l'action sociale et des familles et du décret du 22 décembre 2023 :
3. Aux termes de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction issue de l'article 40 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence. / II. - En vue d'évaluer la situation de la personne mentionnée au I et après lui avoir permis de bénéficier d'un temps de répit, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. / L'évaluation est réalisée par les services du département. Dans le cas où le président du conseil départemental délègue la mission d'évaluation à un organisme public ou à une association, les services du département assurent un contrôle régulier des conditions d'évaluation par la structure délégataire. / Sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental, en lien avec le représentant de l'Etat dans le département, organise la présentation de la personne auprès des services de l'Etat afin qu'elle communique toute information utile à son identification et au renseignement, par les agents spécialement habilités à cet effet, du traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l'article L. 142-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le représentant de l'Etat dans le département communique au président du conseil départemental les informations permettant d'aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne. / Le président du conseil départemental peut en outre : / 1° Solliciter le concours du représentant de l'Etat dans le département pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne ; / 2° Demander à l'autorité judiciaire la mise en oeuvre des examens prévus au deuxième alinéa de l'article 388 du code civil selon la procédure définie au même article 388. / Il statue sur la minorité et la situation d'isolement de la personne, en s'appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises par le représentant de l'Etat dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l'éclairer. / La majorité d'une personne se présentant comme mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ne peut être déduite de son seul refus opposé au recueil de ses empreintes, ni de la seule constatation qu'elle est déjà enregistrée dans le traitement automatisé mentionné au présent II ou dans le traitement automatisé mentionné à l'article L. 142-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. / III. - Le président du conseil départemental transmet chaque mois au représentant de l'Etat dans le département la date et le sens des décisions individuelles prises à l'issue de l'évaluation prévue au II du présent article. / IV. - L'Etat verse aux départements une contribution forfaitaire pour l'évaluation de la situation et la mise à l'abri des personnes mentionnées au I. / La contribution n'est pas versée, en totalité ou en partie, lorsque le président du conseil départemental n'organise pas la présentation de la personne prévue au troisième alinéa du II ou ne transmet pas, chaque mois, la date et le sens des décisions mentionnées au III. / V. - Les modalités d'application du présent article, notamment des dispositions relatives à la durée de l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I et au versement de la contribution mentionnée au IV, sont fixées par décret en Conseil d'Etat. "
En ce qui concerne les garanties reconnues à la personne se déclarant mineure :
4. D'une part, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Le 1 de l'article 8 de cette convention dispose que " Les Etats parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale ". Aux termes de l'article 12 de la même convention : " 1. Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. " Le 1 de l'article 20 de cette convention prévoit que : " Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui, dans son propre intérêt, ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l'Etat ". Enfin, l'article 37 de la même convention stipule que : " Les Etats parties veillent à ce que : / a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans; / b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible; / c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l'on estime préférable de ne pas le faire dans l'intérêt supérieur de l'enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles; / d) Les enfants privés de liberté aient le droit d'avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu'une décision rapide soit prise en la matière. "
5. D'autre part, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 8 de la même convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
6. Il résulte des stipulations citées, d'une part, au point 4, lesquelles ne confèrent pas de caractère contraignant aux " constatations " que le comité des droits de l'enfant institué par l'article 43 de la convention relative aux droits de l'enfant transmet à un Etat partie, sur le fondement du protocole facultatif à cette convention établissant une procédure de présentation de communications et, d'autre part, au point 5, que la puissance publique a pour obligation de protéger et de prendre en charge les mineurs présents sur le territoire national qui sont privés du soutien de leur famille. Il s'ensuit que les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures.
S'agissant de la durée de l'accueil provisoire d'urgence :
7. L'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles impose au président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille de mettre en place un accueil provisoire d'urgence. Après lui avoir permis de bénéficier d'un temps de répit, le président du conseil départemental procède, en vue d'évaluer sa situation, aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. À l'issue de ces dernières, il statue sur la minorité et la situation d'isolement de cette personne. Le V de cet article renvoie à un décret en Conseil d'Etat la fixation des modalités d'application de ces dispositions, en particulier la durée de l'accueil provisoire d'urgence. Le I de l'article R. 221-11 du même code, dans sa rédaction résultant du décret du 22 décembre 2023, dispose que la durée de l'accueil provisoire d'urgence est de cinq jours à compter du premier jour de la prise en charge de la personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille et qu'il peut être prolongé deux fois pour la même durée. Le VI du même article prévoit qu'au terme de ce délai ou avant son expiration si l'évaluation a été conduite à son terme, le président du conseil départemental statue sur la minorité et la situation d'isolement de la personne sollicitant une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. S'il estime que la situation de cette personne ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il lui notifie sa décision de refuser sa prise en charge et l'accueil provisoire d'urgence prend fin. Si, au contraire, il saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 aux fins d'application du deuxième alinéa de l'article 375-5 du code civil, l'accueil provisoire d'urgence se prolonge jusqu'à la décision de l'autorité judiciaire.
8. Si les requérantes soutiennent que la durée de l'accueil provisoire d'urgence prévu au I de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles serait insuffisante au regard du délai nécessaire au président du conseil départemental pour rendre sa décision, il résulte en tout état de cause des dispositions citées au point précédent, ainsi que l'indique le ministre en défense, que cet accueil ne peut cesser tant que le président du conseil départemental n'a pas statué sur la minorité et sur la situation d'isolement de la personne ou, s'il saisit l'autorité judiciaire, jusqu'à la décision de celle-ci. Le moyen ne peut, par suite, qu'être écarté.
S'agissant de l'accompagnement du demandeur :
9. Le II de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles prévoit que les investigations portant sur l'identité, l'âge, la famille d'origine, la nationalité et l'état d'isolement de la personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille sont conduites par les services du département ou sous leur contrôle. Sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental organise la présentation de la personne auprès des services de l'Etat. Il peut en outre solliciter le concours du représentant de l'Etat dans le département pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne et demander à l'autorité judiciaire la mise en oeuvre des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge prévus au deuxième alinéa de l'article 388 du code civil. Le IV de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue du décret contesté, prévoit que l'évaluation de la minorité et de l'isolement est organisée selon les modalités précisées dans un référentiel national, que les entretiens sont conduits par des professionnels justifiant d'une formation ou d'une expérience définie par arrêté des ministres mentionnés à l'alinéa précédent dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et que ces entretiens se déroulent dans une langue comprise par la personne accueillie.
10. Au cours de cette procédure, la personne accueillie peut être accompagnée de la personne de son choix, représentant ou non une association, en application de l'article L. 223-1 du même code. Dans la mesure où les textes régissant cette procédure ne l'excluent pas expressément, elle peut être assistée ou représentée par un avocat dans les conditions prévues à l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Compte tenu de la possibilité d'être ainsi accompagnée, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'absence de désignation d'un représentant chargé de défendre les intérêts de cette personne serait de nature à priver cette dernière d'une garantie nécessaire.
S'agissant de la " présomption d'authenticité " des documents d'identité :
11. Si, comme il a été dit au point 6, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique que les modalités de détermination de l'âge des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille soient entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures, il ne résulte pas de ces stipulations de " présomption d'authenticité " des documents d'identité qui conduirait à considérer que, jusqu'à preuve du contraire, les documents d'identité étrangers présentés sont authentiques. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention relative aux droits de l'enfant doit, pour les mêmes raisons et en tout état de cause, être écarté.
12. L'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles, cité au point 3, prévoit que, pour apprécier la situation de la personne sollicitant sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental se fonde sur un faisceau d'indices, résultant des investigations qu'il a diligentées. Les éléments pris en compte par le président du conseil départemental incluent les informations et documents, notamment d'identité, fournis par la personne sollicitant sa prise en charge, les informations transmises par le représentant de l'Etat dans le département, le résultat des examens radiologiques osseux le cas échéant réalisés aux fins de détermination de l'âge que le président du conseil départemental peut demander à l'autorité judiciaire de mettre en oeuvre, ainsi que tout autre élément susceptible de l'éclairer. L'article 388 du code civil précise que les conclusions des examens radiologiques osseux doivent préciser la marge d'erreur et ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur, le doute profitant à ce dernier. En permettant au président du conseil départemental de prendre en compte l'ensemble de ces éléments pour statuer sur la situation de la personne sollicitant sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, sans accorder un poids déterminant aux documents d'identité produits, dont l'authenticité peut être longue et difficile à établir, le législateur a entouré la procédure ainsi définie de garanties suffisantes. En outre, les associations requérantes ne peuvent, en tout état de cause, soutenir que les dispositions de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des famille, qui précisent que l'évaluation de la minorité et de l'isolement est organisée selon les modalités précisées dans un référentiel national fixé par arrêté des ministres de la justice et de l'intérieur ainsi que des ministres chargés de l'enfance, des collectivités territoriales et de l'outre-mer, que les entretiens sont conduits par des professionnels justifiant d'une formation ou d'une expérience définie par arrêté des mêmes ministres dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et que ces entretiens se déroulent dans une langue comprise par la personne accueillie, méconnaîtraient la valeur que l'article 47 du code civil accorde aux actes d'état civil faits en pays étranger dès lors que ces dispositions sont prises pour l'application de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles.
13. Il résulte de ce qui précède que la procédure d'évaluation de la minorité et de l'isolement de la personne sollicitant son admission à l'aide sociale à l'enfance instituée aux articles L. 221-2-4 et R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles ne contrevient pas aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute de créer une " présomption d'authenticité " des documents d'état civil ou d'identité produits par les demandeurs.
S'agissant des relations entre le département et les services de l'Etat :
14. Le troisième alinéa du II de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental, en lien avec le représentant de l'Etat dans le département, organise la présentation de la personne auprès des services de l'Etat. Le représentant de l'Etat dans le département communique au président du conseil départemental les informations permettant d'aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne. Tout d'abord, la circonstance que l'intéressé soit ainsi amené à se rendre en préfecture et à y être accueilli par des agents habituellement chargés de la mise en oeuvre de la réglementation concernant les ressortissants étrangers, à qui il appartient, au demeurant, de prendre en compte la situation de vulnérabilité de la personne se présentant comme mineure et privée de la protection de sa famille, n'est pas, en elle-même, de nature à priver le demandeur des garanties nécessaires. L'intervention des agents des préfectures a pour seul objet de fournir au président du conseil départemental des informations permettant d'aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne, qui sont alors l'un des éléments de l'évaluation qui doit être conduite, en vertu du IV de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, par les services du département, ou de la structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle cette mission a été déléguée par le président du conseil départemental. Elle est distincte des entretiens menés avec les intéressés par les professionnels de ces services ou structures, en application du second alinéa du IV du même article, dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire. Enfin, d'une part, il résulte des articles L. 221-1, L. 223-2 et R. 221-11 du même code que, sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l'évidence pas remplie, il incombe aux autorités du département de mettre en place un accueil provisoire d'urgence pour toute personne se déclarant mineure et privée de la protection de sa famille, confrontée à des difficultés risquant de mettre en danger sa santé, sa sécurité ou sa moralité, sans pouvoir subordonner le bénéfice de cet accueil à la communication par l'intéressé des informations utiles à son identification et au renseignement du traitement " appui à l'évaluation de la minorité " ni au résultat de l'éventuelle sollicitation des services de l'Etat. D'autre part, il résulte des dispositions du 5° de l'article R. 221-15-8 du même code qu'une mesure d'éloignement ne peut être prise contre la personne que si, de nationalité étrangère, elle a été évaluée comme majeure, et après un examen de sa situation. Dès lors, en instaurant cette procédure, le législateur et le pouvoir réglementaire n'ont pas privé le demandeur de garanties nécessaires.
S'agissant de la possibilité de contester la décision de refus de prise en charge du président du conseil départemental :
15. Si le président du conseil départemental refuse de saisir l'autorité judiciaire, notamment lorsqu'il estime que la personne sollicitant son admission à l'aide sociale à l'enfance a atteint la majorité, celle-ci peut saisir le juge des enfants en application de l'article 375 du code civil. Par cette voie de recours, un mineur peut obtenir du juge qu'il ordonne son admission à l'aide sociale à l'enfance, y compris à titre provisoire pendant l'instance, sans que son incapacité à agir en justice ne puisse lui être opposée, une telle admission provisoire pouvant également être ordonnée en cas d'urgence par le procureur de la République dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 375-5 du code civil. L'intéressé peut bénéficier, pour cette procédure, de l'aide juridictionnelle sans condition de résidence, conformément aux articles 13 et 19-1 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle. Si l'existence de cette voie de droit rend irrecevable le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif contre la décision du président du conseil départemental de refuser de saisir l'autorité judiciaire et la demande de suspension dont ce recours peut être assorti, la personne sollicitant son admission à l'aide sociale à l'enfance peut demander au juge du référé, statuant dans un délai de quarante-huit heures sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que ce dernier serait privé du droit à un recours effectif garanti par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute de possibilité de former un recours suspensif contre la décision du président du conseil départemental et faute de délai imparti au juge pour statuer sur sa requête.
16. Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions en litige méconnaîtraient l'intérêt supérieur de l'enfant ou ne comporteraient pas les garanties nécessaires afin que des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ne soient pas, au cours de la procédure d'évaluation de la minorité et de l'isolement de la personne sollicitant son admission à l'aide sociale à l'enfance instituée aux articles L. 221-2-4 et R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, indûment considérées comme majeures.
En ce qui concerne les autres moyens des requêtes :
17. D'une part, il ressort de la copie de la minute de la section sociale du Conseil d'Etat, produite dans le cadre de l'instruction par la ministre du travail, de la santé et des solidarités, que le décret du 22 décembre 2023 ne comporte pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret ne peut qu'être écarté.
18. D'autre part, le département des Hauts-de-Seine ne peut utilement soutenir que le décret en litige méconnaîtrait les articles L. 221-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles qui organisent l'exercice par les départements de leur compétence en matière d'aide sociale à l'enfance, dès lors que le décret en litige ne procède au transfert d'aucune nouvelle compétence aux départements.
19. Enfin, si le département des Hauts-de-Seine soutient que la possibilité instaurée au premier alinéa de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles par le décret en litige, pour le président du conseil départemental, de prolonger la durée de l'accueil provisoire d'urgence, initialement de cinq jours, deux fois pour la même durée, crée pour lui une charge nouvelle, il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que cette charge serait, par son ampleur, de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales, en méconnaissance de l'article 72 de la Constitution.
20. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret du 22 décembre 2023 et de la décision refusant d'abroger les articles R. 221-11 à R. 221-15-9 du code de l'action sociale et des familles.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 26 décembre 2023 :
21. L'article L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que le ministre de la justice fixe, selon des modalités prévues par décret en Conseil d'Etat, les objectifs de répartition proportionnée, entre les départements, des accueils de mineurs et de majeurs de moins de vingt et un ans privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, en fonction de critères démographiques, socio-économiques et d'éloignement géographique.
22. Le décret en litige modifie les dispositions d'application de cet article, qui figurent à l'article R. 221-13 du même code. D'une part, ce décret exclut de la population du département prise en compte pour le calcul de la clef de répartition entre départements les bénéficiaires du revenu de solidarité active et leurs ayants droit dans ce département. D'autre part, il prend en compte, pour déterminer cette clef de répartition, non seulement les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, mais également les majeurs de moins de vingt et un ans privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.
23. Ces deux modifications ne sont, en tout état de cause, pas de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales, en méconnaissance de l'article 72 de la Constitution, dès lors qu'elles ont pour effet de modifier la répartition des mineurs et des jeunes majeurs pris en charge par les départements au titre de l'aide sociale à l'enfance, sans altérer le nombre de personnes ainsi prises en charge, si bien qu'elles ne sauraient mettre une compétence nouvelle à la charge des départements.
24. Il résulte de ce qui précède que le département des Hauts-de France n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 26 décembre 2023.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 16 février 2024 :
25. Aux termes de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles : " Hors périodes de vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs, la prise en charge d'une personne mineure ou âgée de moins de vingt et un ans au titre [de l'aide sociale à l'enfance] est assurée par [un assistant familial] ou dans des établissements et services autorisés au titre du présent code. / Par dérogation au premier alinéa du présent article et à titre exceptionnel pour répondre à des situations d'urgence ou assurer la mise à l'abri des mineurs, cette prise en charge peut être réalisée, pour une durée ne pouvant excéder deux mois, dans d'autres structures d'hébergement relevant des articles L. 227-4 et L. 321-1. Elle ne s'applique pas dans le cas des mineurs atteints d'un handicap physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant, reconnu par la maison départementale des personnes handicapées. Un décret, pris après consultation des conseils départementaux, fixe les conditions d'application du présent article, notamment le niveau minimal d'encadrement et de suivi des mineurs concernés requis au sein de ces structures ainsi que la formation requise ". Le décret du 16 février 2024, pris en application de ces dispositions, introduit dans le chapitre premier du titre II du livre II du code de l'action sociale et des familles des articles D. 221-10-1 à D. 221-10-3.
26. En premier lieu, il ne résulte pas des dispositions de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles, éclairées par les travaux préparatoires qui ont précédé leur adoption, que chacun des 101 conseils départementaux devait être consulté préalablement à l'édiction du décret litigieux. Il ressort des pièces des dossiers que, préalablement à l'adoption du décret litigieux, l'administration a réuni un groupe de travail auquel ont été invités des représentants de Départements de France, des départements de Seine-Saint-Denis, des Hauts de-Seine, des Bouches-du-Rhône, du Nord, du Val-d'Oise et de la métropole de Lyon, qui ont été choisis en raison du nombre élevé de mineurs non accompagnés qu'ils prennent en charge. Ces derniers ont été invités à participer à une réunion de concertation et ont pu déposer des contributions. Par suite, l'association requérante, qui ne soutient pas que le décret traiterait de questions n'ayant pas été préalablement soumises à concertation, n'est pas fondée à soutenir que le décret aurait été adopté selon une procédure méconnaissant les prescriptions de la dernière phrase de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles.
27. En deuxième lieu, l'article D. 221-10-2 du code de l'action sociale et des familles créé par le décret litigieux se borne à prévoir que l'accueil des mineurs âgés d'au moins seize ans et des jeunes majeurs pris en charge dans une structure d'hébergement relevant des articles L. 227-4 et L. 321-1 comprend une surveillance de jour comme de nuit au sein de la structure, par la présence d'au moins un professionnel formé à cet effet, afin de garantir la protection des personnes qui y sont accueillies, ainsi que des visites régulières diligentées par le président du conseil départemental afin de s'assurer des conditions matérielles de prise en charge des personnes ainsi hébergées. L'article D. 221-10-3 du même code énonce pour sa part que ces personnes bénéficient d'un accompagnement socio-éducatif adapté.
28. Ces dispositions, qui se bornent, d'une part, à imposer la présence d'un surveillant quel que soit le nombre de mineurs accueillis et, d'autre part, à prévoir que ceux-ci doivent bénéficier d'un accompagnement socio-éducatif " adapté ", ne peuvent être regardées comme fixant le niveau minimal d'encadrement et de suivi de façon conforme à la dernière phrase de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, les associations requérantes sont fondées à soutenir qu'elles méconnaissent cet article dans cette mesure.
29. En troisième lieu, l'article D. 221-10-3 du code de l'action sociale et des familles, cité au point 27, dispose également que les professionnels chargés de l'accompagnement socio-éducatif et sanitaire des personnes prises en charge sont titulaires d'un diplôme dans le domaine social, sanitaire, médico-social ou de l'animation socio-éducative. Ces mentions permettent d'identifier les formations requises pour assurer l'encadrement et le suivi des jeunes ainsi hébergés. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles, l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 et par le premier alinéa de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ou qu'elles seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
30. En dernier lieu, dès lors que l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles dispose lui-même que l'accueil des mineurs dans les conditions qu'il fixe constitue une modalité dérogatoire de prise en charge à titre exceptionnel, pour une durée ne pouvant excéder deux mois, pour répondre à des situations d'urgence ou pour assurer la mise à l'abri des mineur, les associations requérantes ne peuvent utilement soutenir que le décret en litige méconnaîtrait les mêmes dispositions faute de fixer une durée maximale pour l'accueil de ces mineurs.
31. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation du décret du 16 février 2024 dans la mesure mentionnée au point 28.
Sur le surplus des conclusions :
32. L'annulation partielle prononcée n'implique pas qu'il soit fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par les requérantes, qu'il y a dès lors lieu de rejeter.
33. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante pour l'essentiel.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions, sous le n° 491374, de l'association La Voix de l'enfant, de l'association Uniopss et autres, de l'Association nationale des assistants de service social et autres, de l'association Alliance des avocats pour les droits de l'homme et autres, de l'association Comité pour la santé des exilé.e.s, de l'association Droit à l'école, de l'association Médecins sans frontières et de l'association Utopia 56, sous les nos 491419 et 491420, du Syndicat des avocats de France et autres et de l'association La Voix de l'enfant, et, sous le n° 493478, de l'association La Voix de l'enfant, sont admises.
Article 2 : Le décret du 16 février 2024 relatif aux conditions d'accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d'hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration est annulé en tant qu'il ne fixe pas le niveau minimal d'encadrement et de suivi requis par la dernière phrase de l'article L. 221-2-3 du code de l'action sociale et des familles.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Comité français pour le fonds des Nations-Unies pour l'enfance (UNICEF France), représentant unique désigné, pour l'ensemble des requérants sous le n° 491374, à l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, première dénommée, sous les nos 491419 et 491420, au département des Hauts-de-Seine sous les nos 492078 et 492079, à l'association Information sur les mineurs isolés étrangers, première dénommée, sous le n° 493478, aux associations La voix de l'enfant, Uniopss, Association nationale des assistants de service social, Alliance des avocats pour les droits de l'homme, Comité pour la santé des exilé.e.s, Droit à l'école, Médecins sans frontières et Utopia 56 et au Syndicat des avocats de France et autres, intervenants ou premiers intervenants dénommés, pour l'ensemble des intervenants, au Premier ministre, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Copie en sera adressée à la Défenseure des droits.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 mai 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mahé conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 1er juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly