Conseil d'État
N° 471282
ECLI:FR:CECHR:2025:471282.20250704
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
Mme Amel Hafid, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP SEVAUX, MATHONNET;SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES, avocats
Lecture du vendredi 4 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
Mme C... B... et Mme A... E... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser les sommes de 1 583 202,38 euros à Mme A... E... B... en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de sa vaccination contre la grippe A (H1N1) par le vaccin Pandemrix et de 50 080,60 euros à Mme C... B..., sa mère, en réparation de ses préjudices propres. Par un jugement n° 1507409 du 5 juillet 2021, rectifié pour erreur matérielle par une ordonnance n° 1507409 du 9 août 2021, le tribunal administratif a condamné l'ONIAM d'une part, à verser à Mme A... E... B... une somme de 365 148 euros, une rente annuelle de 15 450 euros ainsi qu'une rente de 6 095 euros pendant sa scolarité et, d'autre part, à verser à Mme C... B... la somme de 14 589 euros.
Par un arrêt n° 21PA04943 du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'ONIAM et appel incident de Mmes A... E... B... et C... B..., porté à 435 391 euros la somme mise à la charge de l'ONIAM au bénéfice de Mme A... E... B..., condamné l'ONIAM à verser à Mme E... B... une rente annuelle de 18 540 euros au titre de l'assistance par une tierce personne et à rembourser sur justificatifs ses frais d'aide scolaire dans la limite de deux heures par jour, cinq jours par semaine en dehors des vacances scolaires, et porté la somme allouée à Mme C... B... à 20 000 euros.
1° Sous le n° 471282, par une décision du 10 octobre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission partielle du pourvoi de Mme A... D... et Mme C... B... dirigé contre cet arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice d'assistance par tierce personne pour ses études.
2° Sous le n° 471438, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire enregistrés les 16 février 2023, 17 mai 2023 et 24 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ONIAM demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de Mmes A... E... B... et C... B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté de la ministre de la santé et des sports du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de Mmes B... et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... E... B..., née le 26 juin 2000, a été vaccinée le 3 décembre 2009 avec le vaccin Pandemrix, dans le cadre d'une campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) organisée dans le cadre d'un arrêté du ministre de la santé et des sports du 4 novembre 2009 pris sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Le 16 février 2012, une narcolepsie de type I, dite également narcolepsie avec cataplexie, lui a été diagnostiquée. Estimant que cette pathologie était imputable à la vaccination, sa mère, Mme C... B..., a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d'une demande d'indemnisation sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique. L'ONIAM, après expertise, a rejeté cette demande le 16 juillet 2015. Par un jugement du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Melun, saisi par Mmes A... E... B... et C... B..., a notamment condamné l'ONIAM à verser à Mme A... E... B... une somme de 365 148 euros, une rente annuelle de 15 450 euros ainsi qu'une rente de 6 095 euros pendant sa scolarité. Par un arrêt du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'ONIAM et appel incident de Mmes A... E... B... et C... B..., porté à 435 391 euros la somme mise à la charge de l'ONIAM au bénéfice de Mme A... E... B..., condamné l'ONIAM à verser à Mme A... E... B... une rente annuelle de 18 540 euros au titre de l'assistance par une tierce personne et à rembourser sur justificatifs ses frais d'aide scolaire dans la limite de deux heures par jour et cinq jours par semaine en dehors des vacances scolaires. Par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, Mmes A... E... B... et C... B..., d'une part, et l'ONIAM, d'autre part, demandent l'annulation de cet arrêt en tant qu'il leur fait grief. Le pourvoi de Mmes A... E... B... et C... B... n'a été admis qu'en tant qu'il statue sur le préjudice d'assistance par tierce personne pour ses études.
Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la réparation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :
2. Aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique : " I. - En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de prévenir et de limiter les conséquences de cette menace sur la santé de la population, prescrire : / 1° Toute mesure réglementaire ou individuelle relative à l'organisation et au fonctionnement du système de santé ; (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, et pour prévenir les conséquences de la pandémie de grippe A (H1N1), la ministre de la santé et des sports a, par un arrêté du 4 novembre 2009, pris des mesures d'urgence en vue de la mise en oeuvre d'une campagne nationale de vaccination qui a débuté le 20 octobre 2009 pour les professionnels de santé et le 12 novembre 2009 pour l'ensemble de la population.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. " Il appartient à l'ONIAM de réparer, en application des dispositions qui viennent d'être citées, qui s'appliquent aux mesures d'urgence prises pour faire face à une menace sanitaire grave, les pathologies imputables aux vaccinations contre la grippe A (H1N1) intervenues dans le cadre de l'arrêté cité précédemment du ministre de la santé et des sports. Saisis d'un litige individuel portant sur la réparation des conséquences d'une vaccination intervenue dans ce cadre, il appartient aux juges du fond, dans un premier temps, non pas de rechercher si le lien de causalité entre la vaccination et l'affection présentée est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant eux, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il leur appartient ensuite, soit, s'il ressort de cet examen qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination subie par la victime et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que la vaccination.
4. En premier lieu, il ressort des points 4 à 9 de l'arrêt attaqué que pour conclure à l'imputabilité de la pathologie de Mme A... E... B... à sa vaccination contre la grippe A (H1N1) avec le vaccin Pandemrix, la cour administrative d'appel a d'abord recherché si en l'état des connaissances scientifiques en débat devant elle, il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe puis, ayant considéré que cette question appelait une réponse négative, considéré ensuite que les symptômes étaient apparus dans un délai normal, pour l'affection en cause, à la suite de la vaccination et qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être imputés à une autre cause que cette dernière. Il résulte de ce qui est dit au point 3 qu'en appliquant ce régime de présomption au litige qui lui était soumis, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
5. En deuxième lieu, d'une part, les juges du fond se sont livrés à une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation en retenant qu'il ressortait de manière suffisamment probante d'études menées dans différents pays, que synthétise notamment une méta-étude internationale de juin 2017 publiée en 2018 dans la Sleep Medicine Review, une augmentation modérée du risque relatif de développer une narcolepsie-cataplexie à la suite d'une vaccination avec Pandemrix dans les deux années suivant cette vaccination. La circonstance que ces études puissent reposer sur des méthodologies différentes, notamment en ce qui concerne la détermination de la date d'apparition de la pathologie, ne remet pas en cause cette conclusion, alors même que, comme cela ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, les symptômes de celle-ci sont de nature progressive et insidieuse. Les juges du fond n'ont pas davantage dénaturé les pièces du dossier en relevant que l'Agence nationale de sécurité du médicament avait, notamment dans une publication de septembre 2013, indiqué ce même délai d'apparition des symptômes, correspondant à la fourchette haute observée pour les cas signalés dans le cadre de son suivi de pharmacovigilance à la suite de la campagne française de vaccination.
6. D'autre part, le délai normal d'apparition des symptômes au sens de la règle énoncée au point 3 est fonction, non pas du délai moyen ou médian résultant des études disponibles, mais des caractéristiques propres à chaque pathologie telles qu'elles ressortent des données de la science en débat devant le juge. Il suit de là que la cour, qui n'a ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en s'appuyant à titre confortatif sur les conclusions des rapports d'expertise, a exactement qualifié les faits de la cause en retenant que le délai de 19 mois écoulé entre l'administration du vaccin et la date d'apparition des symptômes chez Mme A... E... B... constituait un délai normal au sens de cette règle.
7. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM, qui par ailleurs ne conteste ni qu'en l'état des données actuelles de la science, il ne peut être considéré qu'il n'existe aucune probabilité qu'un lien existe entre vaccination au Pandemrix et le développement d'une narcolepsie de type I, ni que Mme A... E... B... ne présentait pas d'antécédent ou de facteur de santé permettant de regarder sa pathologie comme résultant d'une autre cause que sa vaccination, n'est pas fondé à contester l'arrêt en tant qu'il retient l'existence d'un lien de causalité entre cette vaccination et cette pathologie et met à sa charge, au titre de la solidarité nationale, la réparation des préjudices en résultant.
Sur l'arrêt en tant qu'il détermine l'indemnisation de Mme E... B... :
En ce qui concerne les moyens soulevés par l'ONIAM :
8. Il ressort du point 20 de l'arrêt attaqué que pour indemniser Mme A... E... B..., à hauteur de 20 000 euros, au titre du préjudice d'incidence scolaire, universitaire et de formation, la cour a retenu que l'intéressée, dont elle a relevé qu'elle avait mené une scolarité remarquable et était, à la date de l'arrêt, engagée dans des études supérieures de santé, n'avait cependant réalisé ce parcours qu'au prix de grands efforts et d'une pénibilité accrue du fait de la fatigue et des troubles de la concentration résultant de sa pathologie. Contrairement à ce que soutient l'ONIAM qui ne démontre ni même n'allègue que ce préjudice n'était pas établi, il ne ressort ni de ces mentions, ni du reste de l'arrêt attaqué que la cour l'aurait indemnisée deux fois à ce titre et aurait ainsi méconnu le principe général du droit prohibant de condamner une personne publique à verser une somme qu'elle ne doit pas. La seule circonstance que la cour a, par ailleurs, indemnisé un préjudice de déficit fonctionnel temporaire sans préciser si ce déficit avait des conséquences dans le cadre scolaire, n'est pas par elle-même et en l'absence de toute autre argumentation en ce sens, de nature à établir que ce principe aurait été méconnu.
En ce qui concerne les moyens soulevés par Mmes A... E... B... et C... B... :
9. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime ou que celle-ci n'a, malgré son besoin, pas fait effectivement appel à une telle aide.
10. En premier lieu, Mmes A... E... B... et C... B... demandaient en appel que leur soit allouée la somme de 77 350 euros, sur la base d'un besoin estimé à deux heures par jour, du 1er janvier 2010 au 28 mars 2014, en réparation du préjudice né du besoin d'assistance à la victime par une tierce personne pour l'aider dans ses études. Il ressort du point 18 de l'arrêt attaqué que pour limiter l'indemnisation de ce préjudice à la somme de 4 589 euros, la cour administrative d'appel a retenu que les factures produites par la victime ne permettaient pas d'établir l'engagement de dépenses au-delà de cette somme. En se déterminant ainsi, alors qu'en application des principes énoncés au point 9 ci-dessus, il lui appartenait seulement, pour rechercher si ce préjudice devait être indemnisé, et avant d'arrêter le montant dû à ce titre après déduction, le cas échéant, des prestations reçues ayant eu le même objet, de tenir compte des besoins de la victime tels qu'ils ressortaient notamment des rapports d'expertise, la cour a commis une erreur de droit.
11. En second lieu, s'agissant de ce même chef de préjudice pour la période postérieure à la date de l'arrêt, la cour a conditionné le versement de la rente qu'elle a allouée jusqu'à la fin des études de Mme A... E... B... à la production par cette dernière de pièces justifiant que cette aide lui a été effectivement apportée. Pour le même motif que celui indiqué au point précédent, ce raisonnement est entaché d'une erreur de droit.
12. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le pourvoi de l'ONIAM doit être rejeté et, d'autre part, que Mmes C... B... et A... D... sont fondées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent en tant que celui-ci porte sur le préjudice d'assistance par tierce personne pour ses études de Mme A... E... B....
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mises à la charge de Mmes A... E... B... et C... B... les sommes que demande l'ONIAM à ce titre. Il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 1 500 euros chacune à Mmes A... E... B... et C... B....
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 16 décembre 2022 est annulé, en tant qu'il statue sur le préjudice d'assistance par tierce personne pour ses études de Mme A... E... B....
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'ONIAM versera à Mmes A... E... B... et C... B... la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le pourvoi de l'ONIAM et les conclusions présentées par celui-ci sous le n° 471282 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B..., première requérante dénommée et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
N° 471282
ECLI:FR:CECHR:2025:471282.20250704
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
Mme Amel Hafid, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP SEVAUX, MATHONNET;SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES, avocats
Lecture du vendredi 4 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme C... B... et Mme A... E... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser les sommes de 1 583 202,38 euros à Mme A... E... B... en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de sa vaccination contre la grippe A (H1N1) par le vaccin Pandemrix et de 50 080,60 euros à Mme C... B..., sa mère, en réparation de ses préjudices propres. Par un jugement n° 1507409 du 5 juillet 2021, rectifié pour erreur matérielle par une ordonnance n° 1507409 du 9 août 2021, le tribunal administratif a condamné l'ONIAM d'une part, à verser à Mme A... E... B... une somme de 365 148 euros, une rente annuelle de 15 450 euros ainsi qu'une rente de 6 095 euros pendant sa scolarité et, d'autre part, à verser à Mme C... B... la somme de 14 589 euros.
Par un arrêt n° 21PA04943 du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'ONIAM et appel incident de Mmes A... E... B... et C... B..., porté à 435 391 euros la somme mise à la charge de l'ONIAM au bénéfice de Mme A... E... B..., condamné l'ONIAM à verser à Mme E... B... une rente annuelle de 18 540 euros au titre de l'assistance par une tierce personne et à rembourser sur justificatifs ses frais d'aide scolaire dans la limite de deux heures par jour, cinq jours par semaine en dehors des vacances scolaires, et porté la somme allouée à Mme C... B... à 20 000 euros.
1° Sous le n° 471282, par une décision du 10 octobre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission partielle du pourvoi de Mme A... D... et Mme C... B... dirigé contre cet arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice d'assistance par tierce personne pour ses études.
2° Sous le n° 471438, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire enregistrés les 16 février 2023, 17 mai 2023 et 24 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ONIAM demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de Mmes A... E... B... et C... B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté de la ministre de la santé et des sports du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de Mmes B... et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... E... B..., née le 26 juin 2000, a été vaccinée le 3 décembre 2009 avec le vaccin Pandemrix, dans le cadre d'une campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) organisée dans le cadre d'un arrêté du ministre de la santé et des sports du 4 novembre 2009 pris sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Le 16 février 2012, une narcolepsie de type I, dite également narcolepsie avec cataplexie, lui a été diagnostiquée. Estimant que cette pathologie était imputable à la vaccination, sa mère, Mme C... B..., a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d'une demande d'indemnisation sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique. L'ONIAM, après expertise, a rejeté cette demande le 16 juillet 2015. Par un jugement du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Melun, saisi par Mmes A... E... B... et C... B..., a notamment condamné l'ONIAM à verser à Mme A... E... B... une somme de 365 148 euros, une rente annuelle de 15 450 euros ainsi qu'une rente de 6 095 euros pendant sa scolarité. Par un arrêt du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'ONIAM et appel incident de Mmes A... E... B... et C... B..., porté à 435 391 euros la somme mise à la charge de l'ONIAM au bénéfice de Mme A... E... B..., condamné l'ONIAM à verser à Mme A... E... B... une rente annuelle de 18 540 euros au titre de l'assistance par une tierce personne et à rembourser sur justificatifs ses frais d'aide scolaire dans la limite de deux heures par jour et cinq jours par semaine en dehors des vacances scolaires. Par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, Mmes A... E... B... et C... B..., d'une part, et l'ONIAM, d'autre part, demandent l'annulation de cet arrêt en tant qu'il leur fait grief. Le pourvoi de Mmes A... E... B... et C... B... n'a été admis qu'en tant qu'il statue sur le préjudice d'assistance par tierce personne pour ses études.
Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la réparation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :
2. Aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique : " I. - En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de prévenir et de limiter les conséquences de cette menace sur la santé de la population, prescrire : / 1° Toute mesure réglementaire ou individuelle relative à l'organisation et au fonctionnement du système de santé ; (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, et pour prévenir les conséquences de la pandémie de grippe A (H1N1), la ministre de la santé et des sports a, par un arrêté du 4 novembre 2009, pris des mesures d'urgence en vue de la mise en oeuvre d'une campagne nationale de vaccination qui a débuté le 20 octobre 2009 pour les professionnels de santé et le 12 novembre 2009 pour l'ensemble de la population.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. " Il appartient à l'ONIAM de réparer, en application des dispositions qui viennent d'être citées, qui s'appliquent aux mesures d'urgence prises pour faire face à une menace sanitaire grave, les pathologies imputables aux vaccinations contre la grippe A (H1N1) intervenues dans le cadre de l'arrêté cité précédemment du ministre de la santé et des sports. Saisis d'un litige individuel portant sur la réparation des conséquences d'une vaccination intervenue dans ce cadre, il appartient aux juges du fond, dans un premier temps, non pas de rechercher si le lien de causalité entre la vaccination et l'affection présentée est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant eux, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il leur appartient ensuite, soit, s'il ressort de cet examen qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination subie par la victime et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que la vaccination.
4. En premier lieu, il ressort des points 4 à 9 de l'arrêt attaqué que pour conclure à l'imputabilité de la pathologie de Mme A... E... B... à sa vaccination contre la grippe A (H1N1) avec le vaccin Pandemrix, la cour administrative d'appel a d'abord recherché si en l'état des connaissances scientifiques en débat devant elle, il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe puis, ayant considéré que cette question appelait une réponse négative, considéré ensuite que les symptômes étaient apparus dans un délai normal, pour l'affection en cause, à la suite de la vaccination et qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être imputés à une autre cause que cette dernière. Il résulte de ce qui est dit au point 3 qu'en appliquant ce régime de présomption au litige qui lui était soumis, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
5. En deuxième lieu, d'une part, les juges du fond se sont livrés à une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation en retenant qu'il ressortait de manière suffisamment probante d'études menées dans différents pays, que synthétise notamment une méta-étude internationale de juin 2017 publiée en 2018 dans la Sleep Medicine Review, une augmentation modérée du risque relatif de développer une narcolepsie-cataplexie à la suite d'une vaccination avec Pandemrix dans les deux années suivant cette vaccination. La circonstance que ces études puissent reposer sur des méthodologies différentes, notamment en ce qui concerne la détermination de la date d'apparition de la pathologie, ne remet pas en cause cette conclusion, alors même que, comme cela ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, les symptômes de celle-ci sont de nature progressive et insidieuse. Les juges du fond n'ont pas davantage dénaturé les pièces du dossier en relevant que l'Agence nationale de sécurité du médicament avait, notamment dans une publication de septembre 2013, indiqué ce même délai d'apparition des symptômes, correspondant à la fourchette haute observée pour les cas signalés dans le cadre de son suivi de pharmacovigilance à la suite de la campagne française de vaccination.
6. D'autre part, le délai normal d'apparition des symptômes au sens de la règle énoncée au point 3 est fonction, non pas du délai moyen ou médian résultant des études disponibles, mais des caractéristiques propres à chaque pathologie telles qu'elles ressortent des données de la science en débat devant le juge. Il suit de là que la cour, qui n'a ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en s'appuyant à titre confortatif sur les conclusions des rapports d'expertise, a exactement qualifié les faits de la cause en retenant que le délai de 19 mois écoulé entre l'administration du vaccin et la date d'apparition des symptômes chez Mme A... E... B... constituait un délai normal au sens de cette règle.
7. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM, qui par ailleurs ne conteste ni qu'en l'état des données actuelles de la science, il ne peut être considéré qu'il n'existe aucune probabilité qu'un lien existe entre vaccination au Pandemrix et le développement d'une narcolepsie de type I, ni que Mme A... E... B... ne présentait pas d'antécédent ou de facteur de santé permettant de regarder sa pathologie comme résultant d'une autre cause que sa vaccination, n'est pas fondé à contester l'arrêt en tant qu'il retient l'existence d'un lien de causalité entre cette vaccination et cette pathologie et met à sa charge, au titre de la solidarité nationale, la réparation des préjudices en résultant.
Sur l'arrêt en tant qu'il détermine l'indemnisation de Mme E... B... :
En ce qui concerne les moyens soulevés par l'ONIAM :
8. Il ressort du point 20 de l'arrêt attaqué que pour indemniser Mme A... E... B..., à hauteur de 20 000 euros, au titre du préjudice d'incidence scolaire, universitaire et de formation, la cour a retenu que l'intéressée, dont elle a relevé qu'elle avait mené une scolarité remarquable et était, à la date de l'arrêt, engagée dans des études supérieures de santé, n'avait cependant réalisé ce parcours qu'au prix de grands efforts et d'une pénibilité accrue du fait de la fatigue et des troubles de la concentration résultant de sa pathologie. Contrairement à ce que soutient l'ONIAM qui ne démontre ni même n'allègue que ce préjudice n'était pas établi, il ne ressort ni de ces mentions, ni du reste de l'arrêt attaqué que la cour l'aurait indemnisée deux fois à ce titre et aurait ainsi méconnu le principe général du droit prohibant de condamner une personne publique à verser une somme qu'elle ne doit pas. La seule circonstance que la cour a, par ailleurs, indemnisé un préjudice de déficit fonctionnel temporaire sans préciser si ce déficit avait des conséquences dans le cadre scolaire, n'est pas par elle-même et en l'absence de toute autre argumentation en ce sens, de nature à établir que ce principe aurait été méconnu.
En ce qui concerne les moyens soulevés par Mmes A... E... B... et C... B... :
9. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime ou que celle-ci n'a, malgré son besoin, pas fait effectivement appel à une telle aide.
10. En premier lieu, Mmes A... E... B... et C... B... demandaient en appel que leur soit allouée la somme de 77 350 euros, sur la base d'un besoin estimé à deux heures par jour, du 1er janvier 2010 au 28 mars 2014, en réparation du préjudice né du besoin d'assistance à la victime par une tierce personne pour l'aider dans ses études. Il ressort du point 18 de l'arrêt attaqué que pour limiter l'indemnisation de ce préjudice à la somme de 4 589 euros, la cour administrative d'appel a retenu que les factures produites par la victime ne permettaient pas d'établir l'engagement de dépenses au-delà de cette somme. En se déterminant ainsi, alors qu'en application des principes énoncés au point 9 ci-dessus, il lui appartenait seulement, pour rechercher si ce préjudice devait être indemnisé, et avant d'arrêter le montant dû à ce titre après déduction, le cas échéant, des prestations reçues ayant eu le même objet, de tenir compte des besoins de la victime tels qu'ils ressortaient notamment des rapports d'expertise, la cour a commis une erreur de droit.
11. En second lieu, s'agissant de ce même chef de préjudice pour la période postérieure à la date de l'arrêt, la cour a conditionné le versement de la rente qu'elle a allouée jusqu'à la fin des études de Mme A... E... B... à la production par cette dernière de pièces justifiant que cette aide lui a été effectivement apportée. Pour le même motif que celui indiqué au point précédent, ce raisonnement est entaché d'une erreur de droit.
12. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le pourvoi de l'ONIAM doit être rejeté et, d'autre part, que Mmes C... B... et A... D... sont fondées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent en tant que celui-ci porte sur le préjudice d'assistance par tierce personne pour ses études de Mme A... E... B....
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mises à la charge de Mmes A... E... B... et C... B... les sommes que demande l'ONIAM à ce titre. Il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 1 500 euros chacune à Mmes A... E... B... et C... B....
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 16 décembre 2022 est annulé, en tant qu'il statue sur le préjudice d'assistance par tierce personne pour ses études de Mme A... E... B....
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'ONIAM versera à Mmes A... E... B... et C... B... la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le pourvoi de l'ONIAM et les conclusions présentées par celui-ci sous le n° 471282 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B..., première requérante dénommée et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.