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Ariane Web: Conseil d'État 505771, lecture du 10 juillet 2025, ECLI:FR:CEORD:2025:505771.20250710

Décision n° 505771
10 juillet 2025
Conseil d'État

N° 505771
ECLI:FR:CEORD:2025:505771.20250710
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
DURRLEMAN, avocats


Lecture du jeudi 10 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Jeunes Médecins demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre la décision non matérialisée reportant au 1er janvier 2026 des revalorisations des honoraires prévues pour prendre effet en 2025 ;

2°) d'enjoindre à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) de convoquer les syndicats signataires de la convention et les syndicats observateurs aux fins de discuter des mesures pouvant être prises à la suite de l'avis du 18 juin 2025 du comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie (CADAM) ;

3°) de condamner l'Etat et la CNAM à verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- il justifie d'un intérêt pour agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts collectifs des professionnels de santé en les privant d'une augmentation de revenu certaine tout en remettant en cause la pérennité économique des cabinets médicaux, en deuxième lieu, elle préjudicie l'intérêt public de protection de la santé en ce qu'elle remet en cause le principe de continuité du service médical de proximité en entraînant une démobilisation générale des soignants libéraux et, en dernier lieu, elle est irréversible et immédiatement applicable jusqu'au 1er janvier 2026 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation en méconnaissance de l'article L. 2111-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle méconnaît les dispositions du II de l'article L. 162-14-1-1 du code de la sécurité sociale dès lors que, d'une part, le risque de dépassement justifiant la suspension des revalorisations n'est pas imputable aux dépenses de soins de ville et, d'autre part, aucune consultation préalable des parties signataires à la convention concernée n'a eu lieu ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que la durée de la suspension de revalorisation, fixée à 6 mois, est excessive au regard d'autres mesures alternatives existantes.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. " En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Aux termes de l'article L. 162-14-1-1 du code de la sécurité sociale : " I. _ Toute mesure conventionnelle ayant pour effet une revalorisation des tarifs des honoraires, rémunérations et frais accessoires mentionnés au 1° du I de l'article L. 162-14-1 ou des rémunérations mentionnées par les conventions ou accords prévus aux articles L. 162-5, L. 162-9, L. 162-12-2, L. 162-12-9, L. 162-14, L. 162-32-1 et L. 322-5-2 entre en vigueur au plus tôt à l'expiration d'un délai de six mois à compter de l'approbation prévue à l'article L. 162-15 de la convention, de l'accord ou de l'avenant comportant cette mesure. / II. _ Lorsque le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie émet un avis considérant qu'il existe un risque sérieux de dépassement de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie au sens du dernier alinéa de l'article L. 114-4-1, et dès lors qu'il apparaît que ce risque de dépassement est en tout ou partie imputable à l'évolution de celui des sous-objectifs mentionnés au 3° de l'article LO 111-3-5 comprenant les dépenses de soins de ville, l'entrée en vigueur de toute mesure conventionnelle ayant pour effet une revalorisation au cours de l'année des tarifs des honoraires, rémunérations et frais accessoires mentionnés au 1° du I de l'article L. 162-14-1 ou des rémunérations mentionnées par les conventions ou accords prévus aux articles L. 162-5, L. 162-9, L. 162-12-2, L. 162-12-9, L. 162-14, L. 162-32-1 et L. 322-5-2 est suspendue, après consultation des parties signataires à la convention nationale concernée. A défaut d'un avenant fixant à nouveau une date d'entrée en vigueur des revalorisations compatible avec les mesures de redressement mentionnées à l'article L. 114-4-1, l'entrée en vigueur est reportée au 1er janvier de l'année suivante. "

3. Il ressort des pièces du dossier que la revalorisation des honoraires de certains actes effectués par des professionnels de santé, qui devait intervenir au 1er juin 2025, a fait l'objet d'un report au 1er janvier 2026, en application du II de l'article L. 162-14-1-1 du code de la sécurité sociale cité ci-dessus, à la suite d'un avis du 18 juin 2025 rendu par le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance-maladie faisant état d'un " risque sérieux " de dépassement de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie pour l'année 2025. Le syndicat Jeunes Médecins demande la suspension, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative citées ci-dessus, de la décision non matérialisée prise à la suite de cet avis, dans l'attente qu'il soit statué sur le fond sur le recours n° 505769 qu'elle a formé devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux pour obtenir l'annulation de cette décision.

4. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce. Il appartient au juge des référés de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, le conduisent à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour caractériser l'existence d'une situation d'urgence au sens des dispositions citées au 1, le syndicat requérant se borne à faire état de considérations générales, qui ne sont étayées sur un aucun élément précis, tenant aux difficultés que le report de six mois de l'entrée en vigueur des revalorisations d'honoraires attendues serait susceptible d'entraîner pour les professionnels de santé concernés et le fonctionnement de leurs cabinets, et invoque, en termes très généraux, des risques prétendus quant à l'offre de soins globale qu'aucune donnée précise ne vient corroborer. Dans ces conditions, et eu égard à l'intérêt public qui s'attache à enrayer la dégradation des comptes de l'assurance-maladie, l'existence de la condition d'urgence à laquelle les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative subordonnent le succès d'une demande de suspension ne peut être tenue pour remplie.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse, la requête du syndicat Jeunes Médecins doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce qu'il y a lieu de faire selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête du syndicat Jeunes Médecins est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Jeunes Médecins.
Copie en sera adressée à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Fait à Paris, le 10 juillet 2025
Signé : Alain Seban