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Ariane Web: Conseil d'État 494749, lecture du 16 juillet 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:494749.20250716

Décision n° 494749
16 juillet 2025
Conseil d'État

N° 494749
ECLI:FR:CECHR:2025:494749.20250716
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Catherine Fischer-Hirtz, rapporteure
M. Cyrille Beaufils, rapporteur public
SCP DOUMIC-SEILLER, avocats


Lecture du mercredi 16 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 162 301, 03 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de fautes commises par la rectrice de l'académie de Créteil dans la gestion de la fin de son contrat. Par un jugement n° 1905501 du 23 juin 2022, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22PA03550 du 2 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris, sur appel de Mme B..., a, d'une part, réformant ce jugement, condamné l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de la réparation des troubles dans ses conditions d'existence et de son préjudice moral résultant de la faute commise par l'administration et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions d'appel.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 3 juin 2024 et le 23 mai 2025 au secrétariat du contentieux, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mme B....



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Doumic-Seiller, avocat de Mme B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces soumis aux juges du fond que Mme B... a été recrutée par des contrats à durée déterminée successifs pour occuper pendant six ans, du 1er septembre 2009 au 31 août 2015, des fonctions de secrétaire administrative puis de professeure non titulaire à temps complet au sein du rectorat de l'académie de Créteil. A compter du 1er septembre 2015, elle a été engagée par contrat à durée indéterminée sur un emploi de catégorie A pour exercer les fonctions de conseillère mobilité carrière au sein des services de la division de l'accompagnement médical, social et professionnel. Après avoir épuisé ses droits à congé de maladie ordinaire, Mme B..., qui était temporairement inapte pour raison de santé à reprendre son service, a été placée en congé sans traitement à compter du 18 juillet 2016, puis reconduite dans cette position jusqu'au 17 juillet 2017. Par un courrier du 13 novembre 2017, la rectrice de l'académie de Créteil l'a considérée comme démissionnaire, faute pour l'agente d'avoir sollicité son réemploi à l'issue de ses droits à congé sans traitement et l'a informée de ce qu'elle était radiée des effectifs. Le 12 juillet 2018, Mme B... a demandé à la rectrice de l'académie de Créteil l'indemnisation des préjudices, chiffrés à la somme globale de 162 301,03 euros, qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises par l'administration dans la gestion de la fin de son contrat. Par un jugement du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer ces préjudices. Par un arrêt du 2 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris, sur appel de Mme B..., a, d'une part, réformant le jugement du tribunal administratif, condamné l'Etat à verser à Mme B... la somme de 3 000 euros, et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions. La ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a prononcé cette condamnation à l'encontre de l'Etat. Mme B..., par la voie du pourvoi incident, demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions d'appel.

2. Aux termes de l'article 17 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat dans sa rédaction applicable au litige : " 1° L'agent non titulaire physiquement apte à reprendre son service à l'issue d'un congé de maladie (...) est réemployé dans les conditions définies à l'article 32 ci-dessous. / 2° L'agent non titulaire temporairement inapte pour raison de santé à reprendre son service à l'issue d'un congé de maladie (...) est placé en congé sans traitement pour une durée maximum d'une année. Cette durée peut être prolongée de six mois s'il résulte d'un avis médical que l'agent sera susceptible de reprendre ses fonctions à l'issue de cette période complémentaire. / (...) / A l'issue de ses droits à congé sans traitement prévus au 2° du présent article (...) l'agent non titulaire inapte physiquement à reprendre son service est licencié selon les modalités fixées au 3° du même article. / A l'issue de ses droits à congé sans traitement prévus au 2° du présent article (...) l'agent non titulaire physiquement apte à reprendre son service est réemployé dans les conditions définies à l'article 32 ci-dessous. Lorsque la durée de ce congé est égale ou supérieure à un an, l'agent non titulaire ne peut être réemployé que s'il en formule la demande par lettre recommandée au plus tard un mois avant l'expiration du congé. A défaut d'une telle demande formulée en temps utile, l'agent est considéré comme démissionnaire. / 3° A l'issue d'un congé de maladie (...), lorsqu'il a été médicalement constaté par le médecin agréé qu'un agent se trouve, de manière définitive, atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, le licenciement ne peut être prononcé que lorsque le reclassement de l'agent dans un emploi que la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 autorise à pourvoir par un agent contractuel et dans le respect des dispositions légales régissant le recrutement de ces agents, n'est pas possible (...) ".

Sur le pourvoi principal :

3. Il résulte des dispositions citées au point 2 que, lorsqu'à l'issue d'un congé pour raison de santé, un agent non titulaire est temporairement inapte à l'exercice de ses fonctions, il est placé en position de congé de maladie non rémunéré pour une durée maximale d'une année, qui peut être prolongée de six mois lorsque cet agent produit un avis médical attestant qu'il sera susceptible de reprendre ses fonctions au terme de cette période complémentaire. A l'expiration d'un tel congé, si l'agent est atteint, de manière définitive, d'une inaptitude physique à occuper son emploi, constatée par le médecin agréé, il est licencié selon les modalités fixées au 3° de l'article 17 lorsque son reclassement dans un autre emploi n'est pas possible. En revanche, il ne résulte d'aucune disposition du décret du 17 janvier 1986 ni d'aucune autre disposition ni d'aucun principe que l'administration serait tenue de soumettre l'agent non titulaire ayant bénéficié d'un tel congé à un examen médical à l'issue de ce congé. Ainsi, lorsque, à l'issue d'un congé sans traitement d'une durée supérieure ou égale à un an, l'agent non titulaire n'a fait état d'aucune circonstance médicale de nature à faire obstacle à la reprise de ses fonctions, il est regardé comme physiquement apte à reprendre son service et les dispositions du dernier alinéa du 2° de l'article 17 du décret du 17 septembre 1986 lui sont, par suite, applicables.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a jugé qu'en considérant Mme B... comme démissionnaire sans l'avoir préalablement soumise à un examen médical pour, d'une part, déterminer si elle était susceptible de bénéficier d'un congé supplémentaire de six mois sans rémunération et, d'autre part, apprécier son aptitude à reprendre son service, la rectrice avait méconnu les dispositions de l'article 17 du décret du 17 janvier 1986. En statuant ainsi, alors qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis et n'était d'ailleurs pas allégué que des éléments médicaux auraient été de nature à faire obstacle à la reprise de ses fonctions, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

5. Par suite, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à Mme B... la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence découlant pour elle de l'illégalité fautive résultant de la méconnaissance des dispositions de l'article 17 du décret du 17 janvier 1986.

Sur le pourvoi incident :

6. Il résulte des dispositions de l'article 17 du décret du 17 janvier 1986 citées au point 2 qu'un agent contractuel qui, ayant été placé, à la suite de l'épuisement de ses droits à congé de maladie, en congé sans traitement pour une durée égale ou supérieure à un an, est physiquement apte à reprendre son service à l'issue de ce congé sans traitement, ne peut être réemployé que s'il en formule la demande au plus tard un mois avant l'expiration du congé, l'agent étant considéré comme démissionnaire à défaut d'avoir formulé une telle demande en temps utile.

7. Toutefois l'agent placé dans une telle situation ne peut être regardé comme démissionnaire et ne peut être légalement radié des cadres que si l'administration l'a préalablement informé des obligations que lui imposent les dispositions réglementaires en vigueur et des conséquences de son éventuelle abstention à demander en temps utile à être réemployé. A défaut d'une telle information préalable, la reprise de son activité reste subordonnée à une demande de sa part dans le délai fixé par l'administration. Par suite, en jugeant qu'il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe que Mme B... aurait dû être mise en demeure de faire connaître son intention d'être réemployée à l'issue de son congé sans traitement pour inaptitude physique temporaire à défaut de quoi elle pourrait être considérée comme démissionnaire, sans rechercher si la rectrice de l'académie de Créteil l'avait préalablement informée des conséquences pouvant résulter de l'absence de demande de sa part de reprendre ses fonctions, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit.

8. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi incident, Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions d'appel.

Sur les conclusions présentées au titre des frais d'instance :

9. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Doumic-Seillier, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à cette société.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 avril 2024 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Doumic-Seillier, avocat de Mme B..., la somme de 3 000 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à Mme A... B....


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