Conseil d'État
N° 483757
ECLI:FR:CECHR:2025:483757.20250718
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Gaspard Montbeyre, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du vendredi 18 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
L'association Mardiéval et l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2018 par lequel le préfet du Loiret a accordé au conseil départemental du Loiret une dérogation à l'interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d'espèces protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction dans le cadre du projet de déviation de la route départementale 921 entre les communes de Jargeau et Saint-Denis-de-l'Hôtel. Par un jugement n° 1803356 du 15 avril 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 21VE01727 du 23 juin 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'association Mardiéval et autre contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 août et 10 novembre 2023 et le 25 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Mardiéval demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat et du département du Loiret la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de l'association Mardiéval et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du département du Loiret ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 16 septembre 2016, le préfet du Loiret a déclaré d'utilité publique les travaux d'aménagement de la déviation de la route départementale (RD) 921 entre Jargeau et Saint-Denis-de-l'Hôtel ainsi que la création d'un pont sur la Loire et que, par un arrêté du 11 août 2017, le préfet du Loiret a accordé au conseil départemental du Loiret, dans le cadre de ce projet, une dérogation à l'interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d'espèces animales protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction. Toutefois, par un jugement du 30 juillet 2018, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté pour insuffisance de motivation. Par un arrêté du 5 septembre 2018, le préfet du Loiret a délivré au conseil départemental du Loiret une nouvelle dérogation à l'interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d'espèces protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction, pour une espèce d'oiseaux, quinze espèces de chiroptères et neuf espèces de reptiles. Par un jugement du 15 avril 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande de l'association Mardiéval et de l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêt du 23 juin 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'association Mardiéval et l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire contre ce jugement. L'association Mardiéval se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
Sur le pourvoi :
2. L'article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive du 21 mai 1992 susvisée impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV, sous a), de cette directive, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ainsi que la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. Le respect de cette disposition impose aux États membres non seulement l'adoption d'un cadre législatif complet, mais également la mise en oeuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection. De même, le système de protection stricte suppose l'adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif. Un tel système de protection stricte doit donc permettre d'éviter effectivement la capture ou la mise à mort intentionnelle dans la nature ainsi que la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos des espèces animales figurant à l'annexe IV, sous a), de la directive " habitats ".
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, qui transposent en droit interne l'article 12 de la directive du 21 mai 1992 susvisée que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 411-2 du même code, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
4. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
5. Pour déterminer si une dérogation peut être accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l'ensemble des aspects mentionnés au point précédent, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d'évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire et de l'état de conservation des espèces concernées.
6. L'identification des espèces protégées susceptibles d'être affectées par un projet ainsi que l'évaluation des impacts du projet sur l'ensemble des espèces protégées présentes, après prise en compte, le cas échéant, des mesures d'évitement et de réduction proposées sont établies sous la responsabilité de l'auteur de la demande de dérogation. Un tiers ayant intérêt à agir contre une dérogation accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement peut utilement faire valoir, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation d'une telle décision, qu'elle est entachée d'illégalité au motif qu'elle ne porte pas, à la date de son intervention, sur l'ensemble des espèces affectées par le projet, moyen susceptible de conduire, au vu des pièces du dossier soumis au juge de l'excès de pouvoir, à son annulation. Il s'ensuit qu'en jugeant inopérant le moyen tiré de ce que l'arrêté du 5 septembre 2018 aurait dû concerner d'autres espèces protégées identifiées dans le périmètre d'étude pour lesquelles le pétitionnaire a estimé que l'impact résiduel était faible ou négligeable, la cour a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'association Mardiéval est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement au fond :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
9. Le jugement attaqué a, contrairement à ce qui est soutenu, visé le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact, s'agissant en particulier des incidences du projet sur les espèces protégées identifiées sur le tracé et y a répondu. Si les associations requérantes allèguent que le tribunal administratif d'Orléans aurait omis de répondre à d'autres moyens, elles ne précisent pas lesquels. Par suite, le moyen tiré d'une omission à statuer doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 5 septembre 2018 :
S'agissant de l'incompétence du préfet du Loiret :
10. Si les associations requérantes soutiennent que le tribunal administratif d'Orléans aurait omis de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'incompétence du préfet du Loiret pour prendre l'arrêté attaqué sur le fondement de l'article R. 411-8 du code de l'environnement, qui réserve au ministre chargé de la protection de la nature la délivrance de la dérogation " espèces protégées " lorsque sont en cause certaines espèces telle que la loutre d'Europe, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet en cause présentait un risque d'atteinte suffisamment caractérisé pour cette espèce, nécessitant l'obtention d'une dérogation sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
S'agissant de l'insuffisance du dossier de demande :
11. Les associations requérantes ne sauraient utilement invoquer les dispositions de l'article R. 122-5 du code de l'environnement régissant l'étude d'impact réalisée dans le cadre d'une demande d'autorisation distincte portant sur la déclaration d'utilité publique du projet, à l'appui de leur requête dirigée contre une dérogation délivrée en application de l'article L. 411-2 du même code. Par suite, le moyen tiré de ce que le dossier de demande de dérogation serait insuffisant au regard de ces dispositions ne peut qu'être écarté.
S'agissant de la procédure de participation du public :
12. Aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". En vertu de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement : " I.- Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public. (...) / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif. (...) / II. -Le projet d'une décision mentionnée au I ou, lorsque la décision est prise sur demande, le dossier de demande est mis à disposition du public par voie électronique. Lorsque le volume ou les caractéristiques du projet de décision ou du dossier de demande ne permettent pas sa mise à disposition par voie électronique, le public est informé, par voie électronique, de l'objet de la procédure de participation et des lieux et horaires où l'intégralité du projet ou du dossier de demande peut être consultée. / Au plus tard à la date de la mise à disposition ou de l'information prévue à l'alinéa précédent, le public est informé, par voie électronique, des modalités de la procédure de participation retenues. / Les observations et propositions du public, déposées par voie électronique, doivent parvenir à l'autorité publique concernée dans un délai qui ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la mise à disposition. / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à trois jours à compter de la date de clôture de la consultation. (...) ".
13. Il résulte des dispositions précitées que la personne publique concernée doit mettre à la disposition du public des éléments suffisants pour que la consultation puisse avoir lieu utilement. Elles n'imposent en revanche pas que cette consultation ne puisse intervenir qu'une fois rendus tous les avis des instances techniques et scientifiques dont la consultation est obligatoire en vertu des textes. En l'espèce, conformément aux dispositions de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement, le dossier de demande de dérogation a été mis en ligne et le public a été informé qu'il pouvait déposer des observations au sujet de cette demande du 28 mars au 18 avril 2017. Si l'avis du Conseil national de protection de la nature, rendu le 17 juillet 2017, n'a par conséquent pu être mis en ligne lors de la consultation du public, cette circonstance n'est pas de nature à avoir entaché d'irrégularité la procédure suivie, alors, au demeurant, que cet avis a été porté à la connaissance du public sur un site internet dédié répertoriant les avis rendus par cette instance. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté.
S'agissant du périmètre de la dérogation :
14. Il résulte des principes rappelés au point 6 que la légalité d'une dérogation accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement peut utilement être contestée au motif qu'elle ne porte pas sur certaines espèces protégées, le juge appréciant la légalité de la décision à la date à laquelle elle a été prise au vu des pièces produites par les parties. Toutefois, le moyen tiré d'une violation de ces principes par la dérogation litigieuse ne saurait être accueilli dès lors qu'une dérogation modificative accordée postérieurement en assure le respect.
15. En l'espèce, si la rainette verte n'était pas visée par l'arrêté du 5 septembre 2018 contesté, alors que le dossier de demande identifiait un impact résiduel moyen pour cette espèce, il résulte des pièces du dossier que l'arrêté modificatif du 23 mai 2022 modifiant l'arrêté du 5 septembre 2018 portant dérogation à l'interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d'espèces animales protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction, délivré en cours d'instance, assure la conformité de l'arrêté du 5 septembre 2018 avec les règles précitées. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté du 5 septembre 2018 est entaché d'illégalité en tant qu'il ne visait pas la rainette verte ne peut qu'être écarté.
16. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, que le projet présentait, compte tenu des mesures d'évitement et de réduction proposées, un risque suffisamment caractérisé pour d'autres espèces protégées nécessitant l'obtention d'une dérogation.
17. Enfin, la circonstance que l'étude d'impact de la déclaration d'utilité publique fasse mention d'autres espèces que celles visées dans le dossier de demande de dérogation " espèces protégées " et que l'avis du Conseil national de la protection de la nature relève l'absence de certaines espèces dans le dossier de demande de dérogation ne permet pas, par elle-même, d'établir qu'une dérogation était requise pour d'autres espèces protégées que celles visées par l'arrêté du 5 septembre 2018. Par suite, le moyen tiré de ce que cet arrêté est entaché d'illégalité en tant qu'il ne porte pas sur d'autres espèces protégées doit être écarté.
S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement :
18. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'au cours des études préparatoires au projet de déviation routière, plusieurs options alternatives ont été écartées en raison de leur incapacité à faire disparaitre ou à réduire les risques pour la sécurité routière et les nuisances sonores constatées. La réalisation d'un nouvel ouvrage a ensuite donné lieu à l'étude de plusieurs fuseaux distincts puis, au sein du fuseau retenu, différentes variantes ont été envisagées, en tenant compte des différents enjeux et de leurs impacts environnementaux, celle retenue étant plus favorable aux milieux naturels. En outre, il ressort de la décision attaquée que les alternatives proposées par plusieurs associations ont été examinées avant d'être écartées dès lors qu'elles ne permettaient pas de répondre aux problèmes de sécurité et de nuisances pour les riverains. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante doit être écarté.
19. En deuxième lieu, il résulte des pièces du dossier que la décision attaquée prescrit plusieurs mesures de réduction, d'évitement et de compensation, y compris avant le début des travaux, de nature à permettre le maintien, dans un état de conservation favorable, des espèces concernées par la dérogation, au regard de leur état de conservation. Si les requérantes invoquent certaines recommandations techniques pour contester l'adéquation des mesures prescrites en faveur des chiroptères, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles seraient, pour cette seule raison, insuffisantes. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la condition relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées par la dérogation dans leur aire de répartition naturelle, doit être écarté.
20. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet de déviation routière a pour objectifs, ainsi qu'il a été constaté par l'arrêté du 16 septembre 2016 portant déclaration d'utilité publique des travaux d'aménagement de la déviation de la RD 921 entre Saint-Denis-de-l'Hôtel et Jargeau et de la création d'un pont sur la Loire, d'améliorer le cadre de vie des habitants des communes traversées, de renforcer la sécurité des usagers, de développer les capacités d'évacuation des populations en cas de crue importante de la Loire et d'améliorer les conditions de circulation dans l'Est de l'agglomération d'Orléans. Contrairement à ce qui est soutenu, il ressort des pièces du dossier que le trafic routier du tronçon concerné par la déviation est particulièrement saturé, avec un nombre de véhicules excédant sensiblement celui prévu pour une route à deux voies. En outre, il n'est pas sérieusement contesté que le taux d'accident dans le secteur est sensiblement supérieur à la moyenne nationale sur des voies comparables, y compris en termes d'accidents graves. Par ailleurs, il résulte des pièces du dossier que le trafic routier actuel engendre des nuisances importantes, notamment sonores, pour une partie des riverains des communes concernées, en particulier à Jargeau et à Saint-Denis-de-l'Hôtel. Si les associations requérantes soutiennent que les projections d'évolution du trafic sont surestimées et que les nuisances devraient diminuer compte tenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d'un moindre recours à la voiture comme mode de transport et d'un développement de la voiture électrique, ces perspectives ne sont pas étayées par les pièces du dossier qui attestent, au contraire, d'une augmentation de la circulation dans le secteur en partie liée à la croissance démographique constatée dans l'agglomération d'Orléans. Enfin, il ressort des pièces du dossier que la création de la déviation permettra de doter le territoire d'un ouvrage de franchissement de la Loire susceptible d'être utilisé y compris pour des crues d'une intensité particulièrement forte, permettant de maintenir des voies de circulation, d'évacuation des populations et d'accès des secours. Il résulte de ce qui précède que le projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement et que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
21. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Mardiéval et l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et du département du Loiret qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Mardiéval la somme de 3 000 euros à verser au département du Loiret au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 23 juin 2023 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par l'association Mardiéval et l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire devant la cour administrative d'appel de Versailles est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'association Mardiéval au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : L'association Mardiéval versera au département du Loiret la somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association Mardiéval, à l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire, au département du Loiret et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juin 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 18 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Gaspard Montbeyre
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 483757
ECLI:FR:CECHR:2025:483757.20250718
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Gaspard Montbeyre, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du vendredi 18 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
L'association Mardiéval et l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2018 par lequel le préfet du Loiret a accordé au conseil départemental du Loiret une dérogation à l'interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d'espèces protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction dans le cadre du projet de déviation de la route départementale 921 entre les communes de Jargeau et Saint-Denis-de-l'Hôtel. Par un jugement n° 1803356 du 15 avril 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 21VE01727 du 23 juin 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'association Mardiéval et autre contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 août et 10 novembre 2023 et le 25 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Mardiéval demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat et du département du Loiret la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de l'association Mardiéval et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du département du Loiret ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 16 septembre 2016, le préfet du Loiret a déclaré d'utilité publique les travaux d'aménagement de la déviation de la route départementale (RD) 921 entre Jargeau et Saint-Denis-de-l'Hôtel ainsi que la création d'un pont sur la Loire et que, par un arrêté du 11 août 2017, le préfet du Loiret a accordé au conseil départemental du Loiret, dans le cadre de ce projet, une dérogation à l'interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d'espèces animales protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction. Toutefois, par un jugement du 30 juillet 2018, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté pour insuffisance de motivation. Par un arrêté du 5 septembre 2018, le préfet du Loiret a délivré au conseil départemental du Loiret une nouvelle dérogation à l'interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d'espèces protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction, pour une espèce d'oiseaux, quinze espèces de chiroptères et neuf espèces de reptiles. Par un jugement du 15 avril 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande de l'association Mardiéval et de l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêt du 23 juin 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'association Mardiéval et l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire contre ce jugement. L'association Mardiéval se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
Sur le pourvoi :
2. L'article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive du 21 mai 1992 susvisée impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV, sous a), de cette directive, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ainsi que la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. Le respect de cette disposition impose aux États membres non seulement l'adoption d'un cadre législatif complet, mais également la mise en oeuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection. De même, le système de protection stricte suppose l'adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif. Un tel système de protection stricte doit donc permettre d'éviter effectivement la capture ou la mise à mort intentionnelle dans la nature ainsi que la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos des espèces animales figurant à l'annexe IV, sous a), de la directive " habitats ".
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, qui transposent en droit interne l'article 12 de la directive du 21 mai 1992 susvisée que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 411-2 du même code, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
4. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
5. Pour déterminer si une dérogation peut être accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l'ensemble des aspects mentionnés au point précédent, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d'évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire et de l'état de conservation des espèces concernées.
6. L'identification des espèces protégées susceptibles d'être affectées par un projet ainsi que l'évaluation des impacts du projet sur l'ensemble des espèces protégées présentes, après prise en compte, le cas échéant, des mesures d'évitement et de réduction proposées sont établies sous la responsabilité de l'auteur de la demande de dérogation. Un tiers ayant intérêt à agir contre une dérogation accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement peut utilement faire valoir, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation d'une telle décision, qu'elle est entachée d'illégalité au motif qu'elle ne porte pas, à la date de son intervention, sur l'ensemble des espèces affectées par le projet, moyen susceptible de conduire, au vu des pièces du dossier soumis au juge de l'excès de pouvoir, à son annulation. Il s'ensuit qu'en jugeant inopérant le moyen tiré de ce que l'arrêté du 5 septembre 2018 aurait dû concerner d'autres espèces protégées identifiées dans le périmètre d'étude pour lesquelles le pétitionnaire a estimé que l'impact résiduel était faible ou négligeable, la cour a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'association Mardiéval est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement au fond :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
9. Le jugement attaqué a, contrairement à ce qui est soutenu, visé le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact, s'agissant en particulier des incidences du projet sur les espèces protégées identifiées sur le tracé et y a répondu. Si les associations requérantes allèguent que le tribunal administratif d'Orléans aurait omis de répondre à d'autres moyens, elles ne précisent pas lesquels. Par suite, le moyen tiré d'une omission à statuer doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 5 septembre 2018 :
S'agissant de l'incompétence du préfet du Loiret :
10. Si les associations requérantes soutiennent que le tribunal administratif d'Orléans aurait omis de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'incompétence du préfet du Loiret pour prendre l'arrêté attaqué sur le fondement de l'article R. 411-8 du code de l'environnement, qui réserve au ministre chargé de la protection de la nature la délivrance de la dérogation " espèces protégées " lorsque sont en cause certaines espèces telle que la loutre d'Europe, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet en cause présentait un risque d'atteinte suffisamment caractérisé pour cette espèce, nécessitant l'obtention d'une dérogation sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
S'agissant de l'insuffisance du dossier de demande :
11. Les associations requérantes ne sauraient utilement invoquer les dispositions de l'article R. 122-5 du code de l'environnement régissant l'étude d'impact réalisée dans le cadre d'une demande d'autorisation distincte portant sur la déclaration d'utilité publique du projet, à l'appui de leur requête dirigée contre une dérogation délivrée en application de l'article L. 411-2 du même code. Par suite, le moyen tiré de ce que le dossier de demande de dérogation serait insuffisant au regard de ces dispositions ne peut qu'être écarté.
S'agissant de la procédure de participation du public :
12. Aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". En vertu de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement : " I.- Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public. (...) / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif. (...) / II. -Le projet d'une décision mentionnée au I ou, lorsque la décision est prise sur demande, le dossier de demande est mis à disposition du public par voie électronique. Lorsque le volume ou les caractéristiques du projet de décision ou du dossier de demande ne permettent pas sa mise à disposition par voie électronique, le public est informé, par voie électronique, de l'objet de la procédure de participation et des lieux et horaires où l'intégralité du projet ou du dossier de demande peut être consultée. / Au plus tard à la date de la mise à disposition ou de l'information prévue à l'alinéa précédent, le public est informé, par voie électronique, des modalités de la procédure de participation retenues. / Les observations et propositions du public, déposées par voie électronique, doivent parvenir à l'autorité publique concernée dans un délai qui ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la mise à disposition. / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à trois jours à compter de la date de clôture de la consultation. (...) ".
13. Il résulte des dispositions précitées que la personne publique concernée doit mettre à la disposition du public des éléments suffisants pour que la consultation puisse avoir lieu utilement. Elles n'imposent en revanche pas que cette consultation ne puisse intervenir qu'une fois rendus tous les avis des instances techniques et scientifiques dont la consultation est obligatoire en vertu des textes. En l'espèce, conformément aux dispositions de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement, le dossier de demande de dérogation a été mis en ligne et le public a été informé qu'il pouvait déposer des observations au sujet de cette demande du 28 mars au 18 avril 2017. Si l'avis du Conseil national de protection de la nature, rendu le 17 juillet 2017, n'a par conséquent pu être mis en ligne lors de la consultation du public, cette circonstance n'est pas de nature à avoir entaché d'irrégularité la procédure suivie, alors, au demeurant, que cet avis a été porté à la connaissance du public sur un site internet dédié répertoriant les avis rendus par cette instance. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté.
S'agissant du périmètre de la dérogation :
14. Il résulte des principes rappelés au point 6 que la légalité d'une dérogation accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement peut utilement être contestée au motif qu'elle ne porte pas sur certaines espèces protégées, le juge appréciant la légalité de la décision à la date à laquelle elle a été prise au vu des pièces produites par les parties. Toutefois, le moyen tiré d'une violation de ces principes par la dérogation litigieuse ne saurait être accueilli dès lors qu'une dérogation modificative accordée postérieurement en assure le respect.
15. En l'espèce, si la rainette verte n'était pas visée par l'arrêté du 5 septembre 2018 contesté, alors que le dossier de demande identifiait un impact résiduel moyen pour cette espèce, il résulte des pièces du dossier que l'arrêté modificatif du 23 mai 2022 modifiant l'arrêté du 5 septembre 2018 portant dérogation à l'interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d'espèces animales protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction, délivré en cours d'instance, assure la conformité de l'arrêté du 5 septembre 2018 avec les règles précitées. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté du 5 septembre 2018 est entaché d'illégalité en tant qu'il ne visait pas la rainette verte ne peut qu'être écarté.
16. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, que le projet présentait, compte tenu des mesures d'évitement et de réduction proposées, un risque suffisamment caractérisé pour d'autres espèces protégées nécessitant l'obtention d'une dérogation.
17. Enfin, la circonstance que l'étude d'impact de la déclaration d'utilité publique fasse mention d'autres espèces que celles visées dans le dossier de demande de dérogation " espèces protégées " et que l'avis du Conseil national de la protection de la nature relève l'absence de certaines espèces dans le dossier de demande de dérogation ne permet pas, par elle-même, d'établir qu'une dérogation était requise pour d'autres espèces protégées que celles visées par l'arrêté du 5 septembre 2018. Par suite, le moyen tiré de ce que cet arrêté est entaché d'illégalité en tant qu'il ne porte pas sur d'autres espèces protégées doit être écarté.
S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement :
18. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'au cours des études préparatoires au projet de déviation routière, plusieurs options alternatives ont été écartées en raison de leur incapacité à faire disparaitre ou à réduire les risques pour la sécurité routière et les nuisances sonores constatées. La réalisation d'un nouvel ouvrage a ensuite donné lieu à l'étude de plusieurs fuseaux distincts puis, au sein du fuseau retenu, différentes variantes ont été envisagées, en tenant compte des différents enjeux et de leurs impacts environnementaux, celle retenue étant plus favorable aux milieux naturels. En outre, il ressort de la décision attaquée que les alternatives proposées par plusieurs associations ont été examinées avant d'être écartées dès lors qu'elles ne permettaient pas de répondre aux problèmes de sécurité et de nuisances pour les riverains. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante doit être écarté.
19. En deuxième lieu, il résulte des pièces du dossier que la décision attaquée prescrit plusieurs mesures de réduction, d'évitement et de compensation, y compris avant le début des travaux, de nature à permettre le maintien, dans un état de conservation favorable, des espèces concernées par la dérogation, au regard de leur état de conservation. Si les requérantes invoquent certaines recommandations techniques pour contester l'adéquation des mesures prescrites en faveur des chiroptères, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles seraient, pour cette seule raison, insuffisantes. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la condition relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées par la dérogation dans leur aire de répartition naturelle, doit être écarté.
20. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet de déviation routière a pour objectifs, ainsi qu'il a été constaté par l'arrêté du 16 septembre 2016 portant déclaration d'utilité publique des travaux d'aménagement de la déviation de la RD 921 entre Saint-Denis-de-l'Hôtel et Jargeau et de la création d'un pont sur la Loire, d'améliorer le cadre de vie des habitants des communes traversées, de renforcer la sécurité des usagers, de développer les capacités d'évacuation des populations en cas de crue importante de la Loire et d'améliorer les conditions de circulation dans l'Est de l'agglomération d'Orléans. Contrairement à ce qui est soutenu, il ressort des pièces du dossier que le trafic routier du tronçon concerné par la déviation est particulièrement saturé, avec un nombre de véhicules excédant sensiblement celui prévu pour une route à deux voies. En outre, il n'est pas sérieusement contesté que le taux d'accident dans le secteur est sensiblement supérieur à la moyenne nationale sur des voies comparables, y compris en termes d'accidents graves. Par ailleurs, il résulte des pièces du dossier que le trafic routier actuel engendre des nuisances importantes, notamment sonores, pour une partie des riverains des communes concernées, en particulier à Jargeau et à Saint-Denis-de-l'Hôtel. Si les associations requérantes soutiennent que les projections d'évolution du trafic sont surestimées et que les nuisances devraient diminuer compte tenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d'un moindre recours à la voiture comme mode de transport et d'un développement de la voiture électrique, ces perspectives ne sont pas étayées par les pièces du dossier qui attestent, au contraire, d'une augmentation de la circulation dans le secteur en partie liée à la croissance démographique constatée dans l'agglomération d'Orléans. Enfin, il ressort des pièces du dossier que la création de la déviation permettra de doter le territoire d'un ouvrage de franchissement de la Loire susceptible d'être utilisé y compris pour des crues d'une intensité particulièrement forte, permettant de maintenir des voies de circulation, d'évacuation des populations et d'accès des secours. Il résulte de ce qui précède que le projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement et que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
21. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Mardiéval et l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et du département du Loiret qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Mardiéval la somme de 3 000 euros à verser au département du Loiret au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 23 juin 2023 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par l'association Mardiéval et l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire devant la cour administrative d'appel de Versailles est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'association Mardiéval au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : L'association Mardiéval versera au département du Loiret la somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association Mardiéval, à l'association France Nature Environnement Centre-Val-de-Loire, au département du Loiret et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juin 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 18 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Gaspard Montbeyre
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain