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Ariane Web: Conseil d'État 494428, lecture du 17 septembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:494428.20250917

Décision n° 494428
17 septembre 2025
Conseil d'État

N° 494428
ECLI:FR:CECHR:2025:494428.20250917
Publié au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Vincent Mahé, rapporteur
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mercredi 17 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La Ville de Paris a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de prononcer l'expulsion sans délai de la société Parking Convention et de la société Kempf Automobiles des volumes n°s 12, 13, 14 et 15 de l'ensemble immobilier situé 92 à 98, rue de la Convention à Paris (15ème arrondissement), sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et d'autre part, de condamner la société Parking Convention à lui verser une somme de 20 583 euros par mois à compter du 6 octobre 2021 jusqu'à la libération des lieux, à titre d'indemnité pour l'occupation du domaine public. Par un jugement n° 2212912/4-3 du 22 mai 2023, ce tribunal, après avoir donné acte du désistement de la Ville de Paris de ses conclusions dirigées contre la société Kempf Automobiles, a enjoint à la société Parking Convention et à tous occupants de son chef de quitter sans délai les lieux en litige, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la notification de ce jugement, et condamné cette société à payer à la Ville de Paris la somme de 20 583 euros par mois pour la période allant du 6 octobre 2021 jusqu'à la libération des lieux occupés, déduction faite, le cas échéant, des sommes dont cette société se serait déjà acquittée.

Par un arrêt n°s 23PA02640, 23PA02641 du 21 mars 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Parking Convention contre ce jugement et jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 21 mai 2024, 20 août 2024 et 22 août 2025, la société Parking Convention demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) réglant dans cette mesure l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de la voirie routière ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Parking Convention et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Ville de Paris, propriétaire depuis le 7 mars 1963 d'un terrain situé 92 à 98 rue de la Convention, 131 rue de Lourmel et 1 à 11 rue Duranton (15ème arrondissement), a, par un contrat conclu le 15 juillet 1968 pour une durée de soixante-dix ans, confié à la société anonyme de gestion immobilière (SAGI) la charge de construire et de gérer trois bâtiments d'habitation comprenant 98 appartements, 35 chambres et 2 locaux à usage commercial, ainsi qu'un parc de stationnement automobile en sous-sol de 500 emplacements au minimum, 98 étant réservés aux locataires des appartements, 200 au maximum pouvant faire l'objet d'une location de longue durée et le reste devant être affecté à l'usage de parking public avec location à l'heure, à la journée et au mois. Ce contrat stipulait qu'à son expiration, l'intégralité des constructions et aménagements réalisés tant en surface qu'en sous-sol deviendraient propriété sans indemnité de la Ville de Paris. Comme elle y était autorisée par ce premier contrat, la SAGI a elle-même signé le 6 août 1968 un autre contrat avec la société Parking Convention, déléguant à cette dernière la construction de ce parc de stationnement ainsi que son exploitation pour une durée de cinquante ans à compter de la fin des travaux de construction, survenue le 6 octobre 1971, et stipulant que le parc de stationnement ferait, à l'issue de cette période de cinquante ans, accession sans indemnité à la SAGI. Le 15 novembre 2006, la Ville de Paris et la SAGI ont résilié de manière anticipée le contrat du 15 juillet 1968, par un acte notarié prévoyant la subrogation de la Ville de Paris " dans les droits, obligations et actions tant actives que passives de la SAGI ". A compter de cette date, la société Parking Convention a versé à la Ville de Paris la somme trimestrielle qu'elle versait jusqu'alors à la SAGI. Le 6 avril 2021, la Ville de Paris a informé la société Parking Convention de son intention de reprendre possession du parc de stationnement à compter du 6 octobre 2021. La société Parking Convention, qui s'estime titulaire d'un bail commercial tacite depuis le 15 novembre 2006, s'étant maintenue dans les lieux, la Ville de Paris a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à ce qu'il prononce l'expulsion de cette société du parc de stationnement en litige et à ce qu'il la condamne à lui verser une indemnité de 20 583 euros par mois pour occupation sans titre du domaine public. Par un jugement du 22 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a fait droit à ces demandes. La société Parking Convention se pourvoit en cassation contre l'article 2 de l'arrêt du 21 mars 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.

2. D'une part, en application des règles codifiées à l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public des personnes publiques mentionnés à l'article L.1 de ce code, au nombre desquelles figurent les collectivités territoriales comme la Ville de Paris, est constitué des biens leur appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public, pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable ou, pour les biens entrés dans le domaine public avant le 1er juillet 2006, d'un aménagement spécial pour l'exécution des missions de ce service public. Aux termes de l'article L. 2111-14 du même code : " Le domaine public routier comprend l'ensemble des biens appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 1 et affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l'exception des voies ferrées ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'un espace souterrain appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques, accessible aux véhicules terrestres à moteur circulant sur la voie publique et abritant des places de stationnement temporaire ouvertes à tout automobiliste, même s'il comporte par ailleurs des places faisant l'objet d'une location de longue durée, doit être regardé, dans son ensemble, comme affecté aux besoins de la circulation terrestre. Un tel espace appartient donc, en totalité, au domaine public routier de la personne publique qui en est propriétaire.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière : " La répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier est poursuivie devant la juridiction judiciaire sous réserve des questions préjudicielles relevant de la compétence de la juridiction administrative ". Aux termes de l'article R. 116-2 du même code : " Seront punis d'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ceux qui : / 1° Sans autorisation, auront empiété sur le domaine public routier ou accompli un acte portant ou de nature à porter atteinte à l'intégrité de ce domaine ou de ses dépendances, ainsi qu'à celle des ouvrages, installations, plantations établis sur ledit domaine ; (...) / ° 3° Sans autorisation préalable et d'une façon non conforme à la destination du domaine public routier, auront occupé tout ou partie de ce domaine ou de ses dépendances (...) ".

5. En vertu de ces dispositions, ressortissent à la compétence de la juridiction judiciaire, seule compétente pour statuer sur la répression des infractions à la conservation de la police du domaine public routier et pour condamner les auteurs de ces infractions à réparer les atteintes portées à ce domaine, tant les demandes tendant à l'expulsion des occupants sans titre de dépendances du domaine public routier que celles tendant à ce qu'ils soient condamnés à réparer les préjudices, y compris pécuniaires, causés par leur occupation du domaine.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le parc de stationnement en litige est la propriété de la Ville de Paris, qu'il est accessible aux véhicules terrestres à moteur circulant sur la voie publique et qu'il abrite, outre des places destinées aux locataires des appartements des immeubles en surface et des places faisant l'objet d'une location de longue durée, des places de stationnement temporaire ouvertes à tout automobiliste. Dès lors, ce parc de stationnement doit être regardé, dans son ensemble, comme appartenant au domaine public routier de la Ville de Paris. La juridiction judiciaire était, par suite, seule compétente pour statuer tant sur les conclusions de la Ville de Paris tendant à l'expulsion de la société Parking Convention de l'espace souterrain en litige au motif que le contrat conclu le 6 août 1968 était arrivé à expiration et que cette société ne disposait d'aucun titre d'occupation, que sur les conclusions de la Ville de Paris tendant à ce que la société Parking Convention soit condamnée à lui verser des indemnités en réparation du préjudice causé par cette occupation et compensant les revenus qu'elle aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période. Dès lors, en s'abstenant de relever d'office l'incompétence de la juridiction administrative, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi, l'article 2 de l'arrêt attaqué doit être annulé.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître des conclusions de la demande de la Ville de Paris. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a retenu la compétence de la juridiction administrative. Son jugement doit dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de la requête, être annulé.

10. Il y a lieu d'évoquer l'affaire et, statuant immédiatement sur la demande présentée par la Ville de Paris devant le tribunal administratif de Paris, de la rejeter comme portée devant un ordre de juridictions incompétent pour en connaître.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Parking Convention, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme à verser au titre de ces mêmes dispositions à la société Parking Convention.


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 21 mars 2024 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 22 mai 2023 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par la Ville de Paris devant le tribunal administratif de Paris est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Parking Convention et à la Ville de Paris.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 17 septembre 2025.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle



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