Conseil d'État
N° 436441
ECLI:FR:CECHR:2025:436441.20250930
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Julien Boucher, rapporteur
SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du mardi 30 septembre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 14 avril 2023, le Conseil d'État, statuant au contentieux sur la requête de la société The Betting and Gaming Council tendant à l'annulation du décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'État sur la société La Française des jeux, a sursis à statuer jusqu'à la décision finale de la Commission européenne dans le cadre des procédures SA.56399 et SA.56634.
La Commission européenne a clos ces procédures par une décision (UE) 2025/892 du 31 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'État, statuant au contentieux, du 14 avril 2023 ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la décision 2021/C 487/03 de la Commission européenne d'ouvrir la procédure formelle d'examen à l'égard de la mesure SA.56399 et SA.56634 (2021/C) (ex 2020/FC) ;
- la décision (UE) 2025/892 de la Commission européenne du 31 octobre 2024 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, notamment son article 137 ;
- l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 ;
- le décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Boucher, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la société The Betting and Gaming Council et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 septembre 2025, présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
Considérant ce qui suit :
Sur l'intervention de la société Betclic Enterprises Limited :
1. La société Betclic Enterprises Limited justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur le moyen relatif à l'existence d'une aide d'État illégale :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. " Aux termes de l'article 108 du même traité : " 1. La Commission procède avec les États membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces États. (...) / 2. Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ".
3. Aux termes de l'article 15, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " L'examen d'une éventuelle aide illégale débouche sur l'adoption d'une décision au titre de l'article 4, paragraphe 2, 3 ou 4. Dans le cas d'une décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen, la procédure est close par voie de décision au titre de l'article 9 (...) ". Aux termes de l'article 9 du même règlement : " 1. (...) la procédure formelle d'examen est close par voie de décision conformément aux paragraphes 2 à 5 du présent article. / 2. Lorsque la Commission constate que la mesure notifiée, le cas échéant après modification par l'État membre concerné, ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision. / 3. Lorsque la Commission constate, le cas échéant après modification par l'État membre concerné, que les doutes concernant la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur sont levés, elle décide que l'aide est compatible avec le marché intérieur (...). / 4. La Commission peut assortir sa décision positive de conditions (...). / 5. Lorsque la Commission constate que l'aide notifiée est incompatible avec le marché intérieur, elle décide que ladite aide ne peut être mise à exécution (...) ".
4. Il résulte des textes cités aux points 2 et 3, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne notamment par son arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa AG (C-284/12), que, lorsque, en application de l'article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Commission européenne a ouvert la procédure formelle d'examen prévue au paragraphe 2 de cet article à l'égard d'une mesure non notifiée en cours d'exécution, les juridictions nationales, saisies d'une demande tendant à la cessation de l'exécution de cette mesure et à la récupération des sommes déjà versées, sont tenues, sans avoir à apprécier si la mesure en cause constitue effectivement une aide d'État, d'adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'obligation de suspension de son exécution, et peuvent, à cette fin, décider de suspendre l'exécution de la mesure en cause et d'enjoindre la récupération des montants déjà versés, mais aussi d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d'une part, les intérêts des parties concernées et, d'autre part, l'effet utile de la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen. Il incombe en outre aux juridictions nationales de s'abstenir de prendre des décisions allant à l'encontre de la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen, même si celle-ci revêt un caractère provisoire, et de tirer ensuite toutes les conséquences de la décision par laquelle la Commission clôt cette même procédure, pour autant que ces décisions de la Commission n'aient pas été annulées ou déclarées invalides par les juridictions de l'Union.
5. Ainsi, si l'ouverture de la procédure formelle d'examen à l'égard d'une mesure non notifiée en cours d'exécution n'implique pas nécessairement, par elle-même, l'annulation d'un acte administratif intervenu antérieurement à cette ouverture pour mettre à exécution la mesure soumise à cet examen, mais seulement que soient ordonnées, sur demande en ce sens, les mesures propres à assurer le respect de l'obligation de suspension de cette exécution, rappelées au point 4, il appartient au juge administratif, le cas échéant après avoir sursis à statuer, d'apprécier le respect par cet acte de l'interdiction de mise à exécution résultant de l'article 108, paragraphe 3, du même traité au regard de la conclusion de la Commission, dans la décision par laquelle elle clôt la procédure, quant au caractère d'aide d'État de la mesure soumise à son examen.
6. L'article 17 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, prise sur le fondement de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, prévoit que la société La Française des jeux s'acquitte d'un versement à l'État en contrepartie de l'octroi des droits exclusifs, pour une durée de 25 ans, sur les jeux de loterie et sur les paris sportifs en réseau physique de distribution. En application de ces dispositions, l'article 3 du cahier des charges de la société La Française des jeux, approuvé par le décret du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'État sur la société La Française des jeux à la suite de l'avis conforme de la Commission des participations et des transferts du 7 octobre 2019, a fixé à 380 millions d'euros le montant de l'indemnité ainsi prévue. La contrepartie financière due par la société La Française des jeux a été évaluée non pas sur la base de la valeur théorique des droits exclusifs eux-mêmes mais sur celle du surcroît de leur valeur résultant pour cette société du nouveau cadre juridique issu de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 tel que comparé à l'état du droit antérieur. Il a été procédé, à cette fin, à la comparaison entre la valeur de l'activité sous droits exclusifs de la société avant et après la réforme, à travers la mesure, d'une part, des impacts négatifs liés à la limitation à 25 ans de la durée du monopole, à la fiscalité et aux coûts additionnels supportés par la société, et d'autre part, des impacts positifs résultant de la sécurisation accrue des droits exclusifs et du nouveau cadre fiscal applicable à la société La Française des jeux.
7. Par décision du 26 juillet 2021 (2021/C 487/03), la Commission européenne a décidé d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne " en ce qui concerne la rémunération due à l'État par la Française des Jeux (...) en échange des droits exclusifs qui lui ont été attribués ". Par décision du 14 avril 2023, le Conseil d'État, statuant au contentieux sur la requête de la société The Betting and Gaming Council tendant à l'annulation du décret du 17 octobre 2019, a sursis à statuer jusqu'à la décision finale de la Commission européenne dans le cadre de cette procédure.
8. En cours de procédure, la Commission a estimé justifié le recours à la méthode différentielle exposée au point 6, au motif que les droits exclusifs de la société La Française des jeux existaient avant l'entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019, qui a seulement modifié les conditions d'exercice de ces droits, notamment en limitant leur durée, mais a demandé que les autorités françaises procèdent à une évaluation de la rémunération due à l'État en retenant l'hypothèse selon laquelle, en l'absence d'intervention de cette loi, les droits exclusifs de la Française des jeux auraient tout de même pris fin au bout de 25 ans. Par sa décision (UE) 2025/892 du 31 octobre 2024, prise à l'issue de la procédure formelle d'examen, la Commission a noté l'engagement des autorités françaises d'augmenter la valeur de la soulte de 97 millions d'euros " afin de conforter l'absence d'aide " et conclue que l'octroi des droits exclusifs à la Française des jeux par la loi ne lui a pas conféré d'avantage économique et que " par conséquent, la mesure ne constitue pas une aide d'Etat au sens de l'article 107, paragraphe 1 du TFUE ". La Commission a ainsi décidé, par l'article 1er de sa décision du 31 octobre 2024, que " la mesure mise à exécution par la République française en faveur de la Française des Jeux, augmentée de 97 millions d'euros, ne constitue pas une aide au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ". Par la suite, un décret du 30 avril 2025 a approuvé l'avenant n° 1 à la convention entre l'État et la société La Française des jeux relative à l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution, qui prévoit le versement par la Française des jeux d'un complément de rémunération de 97 millions d'euros.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 qu'il y a lieu d'apprécier le respect par le décret attaqué de l'interdiction de mise à exécution résultant de l'article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en tenant compte de la conclusion de la Commission, dans sa décision du 31 octobre 2024 par laquelle elle a clos la procédure formelle d'examen, quant au caractère d'aide d'État de la mesure soumise à son examen. Or, dès lors que, par cette décision, la Commission a conclu, en notant notamment l'engagement pris au cours de la procédure par les autorités françaises de mettre à la charge de la société La Française des jeux un versement complémentaire de 97 millions d'euros, d'ailleurs concrétisé par le décret du 30 avril 2025, que ne constituait pas une aide d'État l'octroi de droits exclusifs à cette société pour une durée de 25 ans, prévu par la loi du 22 mai 2019 et l'ordonnance du 2 octobre 2019 et mis à exécution par le décret attaqué, le moyen tiré de ce que ce décret mettrait à exécution une telle aide, illégale faute d'avoir été préalablement notifiée à la Commission, ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que la requête de la société The Betting and Gaming Council doit être rejetée.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société The Betting and Gaming Council les sommes de 3 000 euros à verser à l'État et de 3 000 euros à verser à la société La Française des jeux, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle, en revanche et en tout état de cause, à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de la société Betclic Enterprises Limited est admise.
Article 2 : La requête de la société The Betting and Gaming Council est rejetée.
Article 3 : La société The Betting and Gaming Council versera une somme de 3 000 euros à l'État et une somme de 3 000 euros à la société La Française des jeux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Betclic Enterprises Limited au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société The Betting and Gaming Council, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la société La Française des jeux et à la société Betclic Enterprises Limited.
N° 436441
ECLI:FR:CECHR:2025:436441.20250930
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Julien Boucher, rapporteur
SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du mardi 30 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 14 avril 2023, le Conseil d'État, statuant au contentieux sur la requête de la société The Betting and Gaming Council tendant à l'annulation du décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'État sur la société La Française des jeux, a sursis à statuer jusqu'à la décision finale de la Commission européenne dans le cadre des procédures SA.56399 et SA.56634.
La Commission européenne a clos ces procédures par une décision (UE) 2025/892 du 31 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'État, statuant au contentieux, du 14 avril 2023 ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la décision 2021/C 487/03 de la Commission européenne d'ouvrir la procédure formelle d'examen à l'égard de la mesure SA.56399 et SA.56634 (2021/C) (ex 2020/FC) ;
- la décision (UE) 2025/892 de la Commission européenne du 31 octobre 2024 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, notamment son article 137 ;
- l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 ;
- le décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Boucher, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la société The Betting and Gaming Council et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 septembre 2025, présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
Considérant ce qui suit :
Sur l'intervention de la société Betclic Enterprises Limited :
1. La société Betclic Enterprises Limited justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur le moyen relatif à l'existence d'une aide d'État illégale :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. " Aux termes de l'article 108 du même traité : " 1. La Commission procède avec les États membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces États. (...) / 2. Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ".
3. Aux termes de l'article 15, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " L'examen d'une éventuelle aide illégale débouche sur l'adoption d'une décision au titre de l'article 4, paragraphe 2, 3 ou 4. Dans le cas d'une décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen, la procédure est close par voie de décision au titre de l'article 9 (...) ". Aux termes de l'article 9 du même règlement : " 1. (...) la procédure formelle d'examen est close par voie de décision conformément aux paragraphes 2 à 5 du présent article. / 2. Lorsque la Commission constate que la mesure notifiée, le cas échéant après modification par l'État membre concerné, ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision. / 3. Lorsque la Commission constate, le cas échéant après modification par l'État membre concerné, que les doutes concernant la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur sont levés, elle décide que l'aide est compatible avec le marché intérieur (...). / 4. La Commission peut assortir sa décision positive de conditions (...). / 5. Lorsque la Commission constate que l'aide notifiée est incompatible avec le marché intérieur, elle décide que ladite aide ne peut être mise à exécution (...) ".
4. Il résulte des textes cités aux points 2 et 3, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne notamment par son arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa AG (C-284/12), que, lorsque, en application de l'article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Commission européenne a ouvert la procédure formelle d'examen prévue au paragraphe 2 de cet article à l'égard d'une mesure non notifiée en cours d'exécution, les juridictions nationales, saisies d'une demande tendant à la cessation de l'exécution de cette mesure et à la récupération des sommes déjà versées, sont tenues, sans avoir à apprécier si la mesure en cause constitue effectivement une aide d'État, d'adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'obligation de suspension de son exécution, et peuvent, à cette fin, décider de suspendre l'exécution de la mesure en cause et d'enjoindre la récupération des montants déjà versés, mais aussi d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d'une part, les intérêts des parties concernées et, d'autre part, l'effet utile de la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen. Il incombe en outre aux juridictions nationales de s'abstenir de prendre des décisions allant à l'encontre de la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen, même si celle-ci revêt un caractère provisoire, et de tirer ensuite toutes les conséquences de la décision par laquelle la Commission clôt cette même procédure, pour autant que ces décisions de la Commission n'aient pas été annulées ou déclarées invalides par les juridictions de l'Union.
5. Ainsi, si l'ouverture de la procédure formelle d'examen à l'égard d'une mesure non notifiée en cours d'exécution n'implique pas nécessairement, par elle-même, l'annulation d'un acte administratif intervenu antérieurement à cette ouverture pour mettre à exécution la mesure soumise à cet examen, mais seulement que soient ordonnées, sur demande en ce sens, les mesures propres à assurer le respect de l'obligation de suspension de cette exécution, rappelées au point 4, il appartient au juge administratif, le cas échéant après avoir sursis à statuer, d'apprécier le respect par cet acte de l'interdiction de mise à exécution résultant de l'article 108, paragraphe 3, du même traité au regard de la conclusion de la Commission, dans la décision par laquelle elle clôt la procédure, quant au caractère d'aide d'État de la mesure soumise à son examen.
6. L'article 17 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, prise sur le fondement de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, prévoit que la société La Française des jeux s'acquitte d'un versement à l'État en contrepartie de l'octroi des droits exclusifs, pour une durée de 25 ans, sur les jeux de loterie et sur les paris sportifs en réseau physique de distribution. En application de ces dispositions, l'article 3 du cahier des charges de la société La Française des jeux, approuvé par le décret du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'État sur la société La Française des jeux à la suite de l'avis conforme de la Commission des participations et des transferts du 7 octobre 2019, a fixé à 380 millions d'euros le montant de l'indemnité ainsi prévue. La contrepartie financière due par la société La Française des jeux a été évaluée non pas sur la base de la valeur théorique des droits exclusifs eux-mêmes mais sur celle du surcroît de leur valeur résultant pour cette société du nouveau cadre juridique issu de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 tel que comparé à l'état du droit antérieur. Il a été procédé, à cette fin, à la comparaison entre la valeur de l'activité sous droits exclusifs de la société avant et après la réforme, à travers la mesure, d'une part, des impacts négatifs liés à la limitation à 25 ans de la durée du monopole, à la fiscalité et aux coûts additionnels supportés par la société, et d'autre part, des impacts positifs résultant de la sécurisation accrue des droits exclusifs et du nouveau cadre fiscal applicable à la société La Française des jeux.
7. Par décision du 26 juillet 2021 (2021/C 487/03), la Commission européenne a décidé d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne " en ce qui concerne la rémunération due à l'État par la Française des Jeux (...) en échange des droits exclusifs qui lui ont été attribués ". Par décision du 14 avril 2023, le Conseil d'État, statuant au contentieux sur la requête de la société The Betting and Gaming Council tendant à l'annulation du décret du 17 octobre 2019, a sursis à statuer jusqu'à la décision finale de la Commission européenne dans le cadre de cette procédure.
8. En cours de procédure, la Commission a estimé justifié le recours à la méthode différentielle exposée au point 6, au motif que les droits exclusifs de la société La Française des jeux existaient avant l'entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019, qui a seulement modifié les conditions d'exercice de ces droits, notamment en limitant leur durée, mais a demandé que les autorités françaises procèdent à une évaluation de la rémunération due à l'État en retenant l'hypothèse selon laquelle, en l'absence d'intervention de cette loi, les droits exclusifs de la Française des jeux auraient tout de même pris fin au bout de 25 ans. Par sa décision (UE) 2025/892 du 31 octobre 2024, prise à l'issue de la procédure formelle d'examen, la Commission a noté l'engagement des autorités françaises d'augmenter la valeur de la soulte de 97 millions d'euros " afin de conforter l'absence d'aide " et conclue que l'octroi des droits exclusifs à la Française des jeux par la loi ne lui a pas conféré d'avantage économique et que " par conséquent, la mesure ne constitue pas une aide d'Etat au sens de l'article 107, paragraphe 1 du TFUE ". La Commission a ainsi décidé, par l'article 1er de sa décision du 31 octobre 2024, que " la mesure mise à exécution par la République française en faveur de la Française des Jeux, augmentée de 97 millions d'euros, ne constitue pas une aide au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ". Par la suite, un décret du 30 avril 2025 a approuvé l'avenant n° 1 à la convention entre l'État et la société La Française des jeux relative à l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution, qui prévoit le versement par la Française des jeux d'un complément de rémunération de 97 millions d'euros.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 qu'il y a lieu d'apprécier le respect par le décret attaqué de l'interdiction de mise à exécution résultant de l'article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en tenant compte de la conclusion de la Commission, dans sa décision du 31 octobre 2024 par laquelle elle a clos la procédure formelle d'examen, quant au caractère d'aide d'État de la mesure soumise à son examen. Or, dès lors que, par cette décision, la Commission a conclu, en notant notamment l'engagement pris au cours de la procédure par les autorités françaises de mettre à la charge de la société La Française des jeux un versement complémentaire de 97 millions d'euros, d'ailleurs concrétisé par le décret du 30 avril 2025, que ne constituait pas une aide d'État l'octroi de droits exclusifs à cette société pour une durée de 25 ans, prévu par la loi du 22 mai 2019 et l'ordonnance du 2 octobre 2019 et mis à exécution par le décret attaqué, le moyen tiré de ce que ce décret mettrait à exécution une telle aide, illégale faute d'avoir été préalablement notifiée à la Commission, ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que la requête de la société The Betting and Gaming Council doit être rejetée.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société The Betting and Gaming Council les sommes de 3 000 euros à verser à l'État et de 3 000 euros à verser à la société La Française des jeux, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle, en revanche et en tout état de cause, à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de la société Betclic Enterprises Limited est admise.
Article 2 : La requête de la société The Betting and Gaming Council est rejetée.
Article 3 : La société The Betting and Gaming Council versera une somme de 3 000 euros à l'État et une somme de 3 000 euros à la société La Française des jeux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Betclic Enterprises Limited au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société The Betting and Gaming Council, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la société La Française des jeux et à la société Betclic Enterprises Limited.