Conseil d'État
N° 495549
ECLI:FR:CECHR:2025:495549.20251001
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Cyril Noël, rapporteur
CABINET MUNIER-APAIRE, avocats
Lecture du mercredi 1 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
La société Max Mara a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 mai 2017 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé la pénalité financière prévue à l'article L. 2242-9 du code du travail, le titre de perception du 15 avril 2019 mettant à sa charge la somme de 72 452 euros, ainsi que les décisions de rejet de son recours hiérarchique et, à titre subsidiaire, de ramener la pénalité à la somme de 31 704 euros. Par un jugement nos 2011919, 2016606 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA05558 du 29 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel de la société Max Mara, annulé ce jugement en tant qu'il statue sur ses conclusions à fin d'annulation du titre de perception du 15 avril 2019, puis rejeté ces conclusions ainsi que le surplus des conclusions d'appel.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 juin, 27 septembre 2024 et 22 avril 2025, la société Max Mara demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Max Mara ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a, le 16 mai 2017, décidé d'appliquer à la société Max Mara la pénalité prévue à l'article L. 2242-9 du code du travail au taux de 0,5 % jusqu'à la réception d'un accord en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou, à défaut d'accord, d'un plan d'action conforme à la loi. Le 15 avril 2019, un titre de perception d'un montant de 72 452 euros a été émis à l'encontre de cette société pour le paiement de cette pénalité. Par un jugement du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de la société Max Mara tendant à l'annulation ou, à défaut, la réformation de ces décisions, ainsi que du rejet de ses recours administratifs. Par un arrêt du 29 avril 2024, contre lequel la société Max Mara se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement en tant qu'il statuait sur les conclusions de cette société dirigées contre le titre de perception, puis rejeté ces conclusions ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
Sur le cadre juridique du litige :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 2242-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision prononçant la pénalité en litige : " Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives, l'employeur engage : (...) 2° Chaque année, une négociation sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail (...) ". L'article L. 2242-8 du même code prévoit, dans sa rédaction applicable, que : " La négociation annuelle sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail porte sur : (...) 2° Les objectifs et les mesures permettant d'atteindre l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment en matière de suppression des écarts de rémunération, d'accès à l'emploi, de formation professionnelle, de déroulement de carrière et de promotion professionnelle, de conditions de travail et d'emploi, en particulier pour les salariés à temps partiel, et de mixité des emplois. Cette négociation s'appuie sur les données mentionnées au 1° bis de l'article L. 2323-8. (...) En l'absence d'accord prévoyant les mesures prévues au présent 2°, l'employeur établit un plan d'action destiné à assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Après avoir évalué les objectifs fixés et les mesures prises au cours de l'année écoulée, ce plan d'action, fondé sur des critères clairs, précis et opérationnels, détermine les objectifs de progression prévus pour l'année à venir, définit les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre et évalue leur coût. Ce plan d'action est déposé auprès de l'autorité administrative. (...) " Aux termes de l'article L. 2323-8 du même code, alors applicable, l'employeur met à disposition du comité d'entreprise et, à défaut, des délégués du personnel ainsi que du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, une base de données économiques et sociales rassemblant un ensemble d'informations, notamment sur les thèmes suivants : " 1° bis Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l'entreprise : diagnostic et analyse de la situation comparée des femmes et des hommes pour chacune des catégories professionnelles de l'entreprise en matière d'embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de sécurité et de santé au travail, de rémunération effective et d'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, analyse des écarts de salaires et de déroulement de carrière en fonction de l'âge, de la qualification et de l'ancienneté, évolution des taux de promotion respectifs des femmes et des hommes par métiers dans l'entreprise, part des femmes et des hommes dans le conseil d'administration ". L'article R. 2242-2 de ce code précise, dans sa rédaction applicable, que : " L'accord collectif ou, à défaut, le plan d'action prévu au 2° de l'article L. 2242-8 fixe les objectifs de progression et les actions permettant de les atteindre portant sur au moins trois des domaines d'action mentionnés au 1° bis de l'article L. 2323-8 pour les entreprises de moins de 300 salariés (...). Ces objectifs et ces actions sont accompagnés d'indicateurs chiffrés. / La rémunération effective est obligatoirement comprise dans les domaines d'action retenus par l'accord collectif ou, à défaut, le plan d'action mentionnés au premier alinéa. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2242-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable : " Les entreprises d'au moins cinquante salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité professionnelle portant sur les objectifs et les mesures mentionnées au 2° de l'article L. 2242-8 ou, à défaut d'accord, par les objectifs et les mesures constituant le plan d'action mentionné au même 2°. (...) / Le montant de la pénalité prévue au premier alinéa du présent article est fixé au maximum à 1 % des rémunérations et gains (...) versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours des périodes au titre desquelles l'entreprise n'est pas couverte par l'accord ou le plan d'action mentionné au premier alinéa du présent article. Le montant est fixé par l'autorité administrative, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, en fonction des efforts constatés dans l'entreprise en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que des motifs de sa défaillance quant au respect des obligations fixées au même premier alinéa (...) ". L'article R. 2242-7 du code du travail précise que : " La pénalité mentionnée à l'article L. 2242-9 (...) est due jusqu'à la réception par l'inspection du travail de l'accord relatif à l'égalité professionnelle ou du plan d'action mentionnés au 2° de l'article L. 2242-8 ". L'article R. 2242-8 du code du travail dispose, dans sa rédaction applicable, que : " Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi adresse à l'employeur qui n'a pas rempli les obligations en matière d'égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes définies à l'article L. 2242-9, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une notification motivée du taux de la pénalité qui lui est appliqué, dans le délai d'un mois à compter de la date d'expiration de la mise en demeure prévue à l'article R. 2242-3, et lui demande de communiquer en retour le montant des gains et rémunérations servant de base au calcul de la pénalité (...) dans le délai d'un mois. A défaut, la pénalité est calculée sur la base de deux fois la valeur du plafond mensuel de la sécurité sociale par mois compris dans la période mentionnée à l'article R. 2242-7. / Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi établit un titre de perception et le transmet au trésorier-payeur général (...). "
4. Il résulte des dispositions citées aux points précédents que l'accord ou, en l'absence d'accord, le plan d'action établi par l'employeur sur le fondement du 2° de l'article L. 2242-8 du code du travail, doivent, premièrement, fixer des objectifs en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, deuxièmement, des actions permettant de les atteindre, lesquelles doivent porter, pour les entreprises de moins de 300 salariés, sur au moins trois des domaines mentionnés au 1° bis de l'article L. 2323-8 du code du travail, dont obligatoirement celui de la rémunération effective et, enfin, des indicateurs chiffrés, correspondant aux objectifs et actions retenus. Il en résulte également, ainsi que l'éclairent les travaux préparatoires de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, que les entreprises d'au moins cinquante salariés qui ne sont pas couvertes par un accord portant sur les objectifs et les mesures permettant d'atteindre l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes sont, alors même qu'aucune section syndicale d'organisation représentative ne serait constituée en leur sein qui en rendrait la négociation obligatoire, soumises à une pénalité à la charge de l'employeur en l'absence de plan d'action établi par celui-ci destiné à assurer cette égalité. A ce titre, il revient à l'administration, sous le contrôle du juge administratif, de s'assurer, sans porter d'appréciation sur l'opportunité des choix opérés par l'entreprise, que l'accord ou le plan d'action comportent l'ensemble des mesures mentionnées ci-dessus.
Sur le litige :
5. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en jugeant que, dès lors que la société Max Mara était au nombre des entreprises d'au moins cinquante salariés, elle pouvait, alors même qu'il n'existait pas de section syndicale en son sein, faire l'objet, en l'absence de plan d'action établi conformément aux dispositions de l'article L. 2242-8 du code du travail, de la pénalité prévue à l'article L. 2242-9 du même code, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. En jugeant, par ailleurs, que cette société ne pouvait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, d'une interprétation contraire qui aurait résulté des termes de l'instruction du 4 avril 2017 du directeur général du travail relative à la mise en oeuvre du dispositif de pénalité financière et à la mise en place d'une procédure dite de rescrit en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la cour, qui ne s'est pas méprise sur la portée de cette instruction, n'a pas davantage commis d'erreur de droit.
6. En deuxième lieu, en estimant que le plan d'action adressé par la société Max Mara à l'administration le 26 décembre 2016 ne pouvait être regardé comme définissant les actions permettant d'atteindre les objectifs qu'il fixait en matière d'égalité de rémunération effective, la cour a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation. Elle n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant, par un arrêt suffisamment motivé et dépourvu de toute contradiction, que l'administration était fondée à infliger une pénalité à la société Max Mara, alors même que celle-ci lui avait transmis ce plan dans le délai imparti par la mise en demeure qui lui avait été adressée.
7. En troisième lieu, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, dès lors que la société n'avait pas communiqué à l'administration, comme celle-ci le lui avait demandé, le montant des gains et rémunérations servant de base au calcul de la pénalité, elle n'était pas fondée à contester devant le juge administratif, nonobstant son office de pleine juridiction et alors même qu'elle aurait communiqué ces montants en cours d'instance, que ce calcul ait été opéré, comme le prévoit l'article R. 2242-8 du code du travail, sur la base de deux fois la valeur du plafond mensuel de la sécurité sociale.
8. Toutefois, pour juger que le titre de perception émis le 15 avril 2019 n'était pas entaché d'illégalité en ce que ce montant couvrait une période postérieure au 29 juin 2017, la cour a estimé, en se bornant à se référer à l'appréciation portée par l'inspecteur du travail, que ni le plan d'action communiqué à cette dernière date par l'entreprise, ni les deux plans d'action suivants, communiqués les 21 novembre 2018 et 25 février 2019, ne comportaient les mesures prévues par l'article L. 2242-8 du code du travail. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que le plan d'action transmis le 29 juin 2017, de même au demeurant que celui transmis le 21 novembre 2018 figurant également au dossier, mentionnait des objectifs de progression, des actions et des indicateurs chiffrés dans au moins trois des domaines d'action mentionnés au 1° bis de l'article L. 2323-8 du code du travail, la cour a entaché son arrêt de dénaturation.
9. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Max Mara est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 29 avril 2024 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Max Mara au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Max Mara et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 septembre 2025 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, Mme Anne Courrèges, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 1er octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Denis Piveteau
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Noël
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 495549
ECLI:FR:CECHR:2025:495549.20251001
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Cyril Noël, rapporteur
CABINET MUNIER-APAIRE, avocats
Lecture du mercredi 1 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Max Mara a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 mai 2017 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé la pénalité financière prévue à l'article L. 2242-9 du code du travail, le titre de perception du 15 avril 2019 mettant à sa charge la somme de 72 452 euros, ainsi que les décisions de rejet de son recours hiérarchique et, à titre subsidiaire, de ramener la pénalité à la somme de 31 704 euros. Par un jugement nos 2011919, 2016606 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA05558 du 29 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel de la société Max Mara, annulé ce jugement en tant qu'il statue sur ses conclusions à fin d'annulation du titre de perception du 15 avril 2019, puis rejeté ces conclusions ainsi que le surplus des conclusions d'appel.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 juin, 27 septembre 2024 et 22 avril 2025, la société Max Mara demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Max Mara ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a, le 16 mai 2017, décidé d'appliquer à la société Max Mara la pénalité prévue à l'article L. 2242-9 du code du travail au taux de 0,5 % jusqu'à la réception d'un accord en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou, à défaut d'accord, d'un plan d'action conforme à la loi. Le 15 avril 2019, un titre de perception d'un montant de 72 452 euros a été émis à l'encontre de cette société pour le paiement de cette pénalité. Par un jugement du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de la société Max Mara tendant à l'annulation ou, à défaut, la réformation de ces décisions, ainsi que du rejet de ses recours administratifs. Par un arrêt du 29 avril 2024, contre lequel la société Max Mara se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement en tant qu'il statuait sur les conclusions de cette société dirigées contre le titre de perception, puis rejeté ces conclusions ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
Sur le cadre juridique du litige :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 2242-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision prononçant la pénalité en litige : " Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives, l'employeur engage : (...) 2° Chaque année, une négociation sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail (...) ". L'article L. 2242-8 du même code prévoit, dans sa rédaction applicable, que : " La négociation annuelle sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail porte sur : (...) 2° Les objectifs et les mesures permettant d'atteindre l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment en matière de suppression des écarts de rémunération, d'accès à l'emploi, de formation professionnelle, de déroulement de carrière et de promotion professionnelle, de conditions de travail et d'emploi, en particulier pour les salariés à temps partiel, et de mixité des emplois. Cette négociation s'appuie sur les données mentionnées au 1° bis de l'article L. 2323-8. (...) En l'absence d'accord prévoyant les mesures prévues au présent 2°, l'employeur établit un plan d'action destiné à assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Après avoir évalué les objectifs fixés et les mesures prises au cours de l'année écoulée, ce plan d'action, fondé sur des critères clairs, précis et opérationnels, détermine les objectifs de progression prévus pour l'année à venir, définit les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre et évalue leur coût. Ce plan d'action est déposé auprès de l'autorité administrative. (...) " Aux termes de l'article L. 2323-8 du même code, alors applicable, l'employeur met à disposition du comité d'entreprise et, à défaut, des délégués du personnel ainsi que du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, une base de données économiques et sociales rassemblant un ensemble d'informations, notamment sur les thèmes suivants : " 1° bis Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l'entreprise : diagnostic et analyse de la situation comparée des femmes et des hommes pour chacune des catégories professionnelles de l'entreprise en matière d'embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de sécurité et de santé au travail, de rémunération effective et d'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, analyse des écarts de salaires et de déroulement de carrière en fonction de l'âge, de la qualification et de l'ancienneté, évolution des taux de promotion respectifs des femmes et des hommes par métiers dans l'entreprise, part des femmes et des hommes dans le conseil d'administration ". L'article R. 2242-2 de ce code précise, dans sa rédaction applicable, que : " L'accord collectif ou, à défaut, le plan d'action prévu au 2° de l'article L. 2242-8 fixe les objectifs de progression et les actions permettant de les atteindre portant sur au moins trois des domaines d'action mentionnés au 1° bis de l'article L. 2323-8 pour les entreprises de moins de 300 salariés (...). Ces objectifs et ces actions sont accompagnés d'indicateurs chiffrés. / La rémunération effective est obligatoirement comprise dans les domaines d'action retenus par l'accord collectif ou, à défaut, le plan d'action mentionnés au premier alinéa. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2242-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable : " Les entreprises d'au moins cinquante salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité professionnelle portant sur les objectifs et les mesures mentionnées au 2° de l'article L. 2242-8 ou, à défaut d'accord, par les objectifs et les mesures constituant le plan d'action mentionné au même 2°. (...) / Le montant de la pénalité prévue au premier alinéa du présent article est fixé au maximum à 1 % des rémunérations et gains (...) versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours des périodes au titre desquelles l'entreprise n'est pas couverte par l'accord ou le plan d'action mentionné au premier alinéa du présent article. Le montant est fixé par l'autorité administrative, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, en fonction des efforts constatés dans l'entreprise en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que des motifs de sa défaillance quant au respect des obligations fixées au même premier alinéa (...) ". L'article R. 2242-7 du code du travail précise que : " La pénalité mentionnée à l'article L. 2242-9 (...) est due jusqu'à la réception par l'inspection du travail de l'accord relatif à l'égalité professionnelle ou du plan d'action mentionnés au 2° de l'article L. 2242-8 ". L'article R. 2242-8 du code du travail dispose, dans sa rédaction applicable, que : " Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi adresse à l'employeur qui n'a pas rempli les obligations en matière d'égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes définies à l'article L. 2242-9, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une notification motivée du taux de la pénalité qui lui est appliqué, dans le délai d'un mois à compter de la date d'expiration de la mise en demeure prévue à l'article R. 2242-3, et lui demande de communiquer en retour le montant des gains et rémunérations servant de base au calcul de la pénalité (...) dans le délai d'un mois. A défaut, la pénalité est calculée sur la base de deux fois la valeur du plafond mensuel de la sécurité sociale par mois compris dans la période mentionnée à l'article R. 2242-7. / Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi établit un titre de perception et le transmet au trésorier-payeur général (...). "
4. Il résulte des dispositions citées aux points précédents que l'accord ou, en l'absence d'accord, le plan d'action établi par l'employeur sur le fondement du 2° de l'article L. 2242-8 du code du travail, doivent, premièrement, fixer des objectifs en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, deuxièmement, des actions permettant de les atteindre, lesquelles doivent porter, pour les entreprises de moins de 300 salariés, sur au moins trois des domaines mentionnés au 1° bis de l'article L. 2323-8 du code du travail, dont obligatoirement celui de la rémunération effective et, enfin, des indicateurs chiffrés, correspondant aux objectifs et actions retenus. Il en résulte également, ainsi que l'éclairent les travaux préparatoires de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, que les entreprises d'au moins cinquante salariés qui ne sont pas couvertes par un accord portant sur les objectifs et les mesures permettant d'atteindre l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes sont, alors même qu'aucune section syndicale d'organisation représentative ne serait constituée en leur sein qui en rendrait la négociation obligatoire, soumises à une pénalité à la charge de l'employeur en l'absence de plan d'action établi par celui-ci destiné à assurer cette égalité. A ce titre, il revient à l'administration, sous le contrôle du juge administratif, de s'assurer, sans porter d'appréciation sur l'opportunité des choix opérés par l'entreprise, que l'accord ou le plan d'action comportent l'ensemble des mesures mentionnées ci-dessus.
Sur le litige :
5. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en jugeant que, dès lors que la société Max Mara était au nombre des entreprises d'au moins cinquante salariés, elle pouvait, alors même qu'il n'existait pas de section syndicale en son sein, faire l'objet, en l'absence de plan d'action établi conformément aux dispositions de l'article L. 2242-8 du code du travail, de la pénalité prévue à l'article L. 2242-9 du même code, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. En jugeant, par ailleurs, que cette société ne pouvait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, d'une interprétation contraire qui aurait résulté des termes de l'instruction du 4 avril 2017 du directeur général du travail relative à la mise en oeuvre du dispositif de pénalité financière et à la mise en place d'une procédure dite de rescrit en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la cour, qui ne s'est pas méprise sur la portée de cette instruction, n'a pas davantage commis d'erreur de droit.
6. En deuxième lieu, en estimant que le plan d'action adressé par la société Max Mara à l'administration le 26 décembre 2016 ne pouvait être regardé comme définissant les actions permettant d'atteindre les objectifs qu'il fixait en matière d'égalité de rémunération effective, la cour a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation. Elle n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant, par un arrêt suffisamment motivé et dépourvu de toute contradiction, que l'administration était fondée à infliger une pénalité à la société Max Mara, alors même que celle-ci lui avait transmis ce plan dans le délai imparti par la mise en demeure qui lui avait été adressée.
7. En troisième lieu, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, dès lors que la société n'avait pas communiqué à l'administration, comme celle-ci le lui avait demandé, le montant des gains et rémunérations servant de base au calcul de la pénalité, elle n'était pas fondée à contester devant le juge administratif, nonobstant son office de pleine juridiction et alors même qu'elle aurait communiqué ces montants en cours d'instance, que ce calcul ait été opéré, comme le prévoit l'article R. 2242-8 du code du travail, sur la base de deux fois la valeur du plafond mensuel de la sécurité sociale.
8. Toutefois, pour juger que le titre de perception émis le 15 avril 2019 n'était pas entaché d'illégalité en ce que ce montant couvrait une période postérieure au 29 juin 2017, la cour a estimé, en se bornant à se référer à l'appréciation portée par l'inspecteur du travail, que ni le plan d'action communiqué à cette dernière date par l'entreprise, ni les deux plans d'action suivants, communiqués les 21 novembre 2018 et 25 février 2019, ne comportaient les mesures prévues par l'article L. 2242-8 du code du travail. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que le plan d'action transmis le 29 juin 2017, de même au demeurant que celui transmis le 21 novembre 2018 figurant également au dossier, mentionnait des objectifs de progression, des actions et des indicateurs chiffrés dans au moins trois des domaines d'action mentionnés au 1° bis de l'article L. 2323-8 du code du travail, la cour a entaché son arrêt de dénaturation.
9. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Max Mara est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 29 avril 2024 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Max Mara au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Max Mara et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 septembre 2025 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, Mme Anne Courrèges, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 1er octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Denis Piveteau
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Noël
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber