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Ariane Web: Conseil d'État 503737, lecture du 2 octobre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:503737.20251002

Décision n° 503737
2 octobre 2025
Conseil d'État

N° 503737
ECLI:FR:CECHR:2025:503737.20251002
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Julia Flot, rapporteure
SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON, avocats


Lecture du jeudi 2 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un jugement nos 2202740-2301185 du 15 avril 2025, enregistré le 23 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Poitiers, avant de statuer sur la demande de M. C... B... et Mme A... B... tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Champagne-Mouton (Charente) sur leur demande tendant à ce qu'un procès-verbal d'infraction soit dressé à l'encontre de la société Nadouya pour la réalisation de travaux de construction d'une terrasse couverte et d'un cabanon sans autorisation d'urbanisme et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au maire de Champagne-Mouton de dresser un tel acte à l'encontre de cette société et d'en transmettre copie au ministère public, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) L'effet utile de l'annulation du refus du maire de Champagne-Mouton de dresser un procès-verbal d'infraction en application de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme et de procéder à sa transmission au ministère public impose-t-il que le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de ce refus au regard de la situation de droit et de fait prévalant à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue ou au regard de la situation de droit et de fait prévalant à la date de sa propre décision '

2°) Dans l'hypothèse où le juge de l'excès de pouvoir doit apprécier la légalité du refus contesté au regard de la situation de droit et de fait prévalant à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue, y-a-t-il lieu d'enjoindre à l'autorité administrative, chargée de dresser un procès-verbal en application de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme, de procéder à l'établissement d'un tel acte et à sa transmission au ministère public '


Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Flot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. et Mme B... ;



REND L'AVIS SUIVANT :

1. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie, en principe, la légalité d'un acte administratif à la date de son édiction. Si, par exception, il se place à la date à laquelle il statue, c'est afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait.

2. Aux termes de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme : " Les infractions aux dispositions des titres Ier, II, III, IV et VI du présent livre sont constatées par tous officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de l'Etat et des collectivités publiques commissionnés à cet effet par le maire ou le ministre chargé de l'urbanisme suivant l'autorité dont ils relèvent et assermentés. Les procès-verbaux dressés par ces agents font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) Lorsque l'autorité administrative et, au cas où il est compétent pour délivrer les autorisations, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent ont connaissance d'une infraction de la nature de celles que prévoient les articles L. 480-4 et L. 610-1, ils sont tenus d'en faire dresser procès-verbal. Copie du procès-verbal constatant une infraction est transmise sans délai au ministère public. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 480-4 du même code : " Le fait d'exécuter des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 et L. 421-5-3 en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable est puni d'une amende comprise entre 1 200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d'une surface de plancher, une somme égale à 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable au sens de l'article L. 430-2, soit, dans les autres cas, un montant de 300 000 euros. En cas de récidive, outre la peine d'amende ainsi définie un emprisonnement de six mois pourra être prononcé. "

3. Il résulte de ces dispositions que le maire est tenu de faire dresser un procès-verbal en application de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme lorsqu'il a connaissance d'une infraction mentionnée à l'article L. 480-4, résultant soit de l'exécution de travaux sans les autorisations prescrites par le livre IV du code, soit de la méconnaissance des autorisations délivrées et d'en transmettre une copie au ministère public. Cette obligation, qui a notamment pour objet d'informer le ministère public auquel il appartient de décider de la poursuite de l'infraction, n'est pas susceptible de s'éteindre par l'effet de l'écoulement du temps. Si des travaux irrégulièrement exécutés peuvent être régularisés, notamment par la délivrance ultérieure d'une autorisation, un tel changement de circonstances ne fait pas disparaitre l'infraction et ne saurait priver d'objet l'action publique.

4. Dans ces conditions, l'effet utile de l'annulation du refus du maire de faire dresser un procès-verbal d'infraction en application de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme et de procéder à la transmission d'une copie au ministère public impose que le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une demande d'annulation de ce refus, en apprécie la légalité au regard de la situation de droit et de fait à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue, et non au regard de la situation de droit et de fait existant à la date de sa propre décision.

5. Lorsque le juge administratif annule une telle décision de refus au motif qu'une infraction mentionnée à l'article L. 480-4 était caractérisée à la date de ce refus, il lui incombe en principe d'enjoindre au maire de faire dresser procès-verbal de cette infraction et d'en transmettre une copie au ministère public. Il en va cependant différemment lorsque l'action publique est prescrite à la date à laquelle le juge statue.

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Poitiers, à M. C... B..., à Mme A... B... et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.


Il sera publié au Journal officiel de la République française.



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