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Ariane Web: Conseil d'État 496114, lecture du 8 octobre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:496114.20251008

Décision n° 496114
8 octobre 2025
Conseil d'État

N° 496114
ECLI:FR:CECHR:2025:496114.20251008
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Benoît Chatard, rapporteur
SARL DELVOLVE ET TRICHET, avocats


Lecture du mercredi 8 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 juillet et 4 octobre 2024 et les 31 mars et 10 septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Hellio Solutions demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 5 juillet 2024 par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a prononcé à son encontre l'annulation, publiée au journal officiel de la République française, d'un volume de certificats d'économies d'énergie de 384 653 500 kWh cumac " classique " et de 2 397 900 kWh cumac " précarité énergétique ", une sanction pécuniaire d'un montant de 2 396 844 euros, la suspension à titre de sanction de certaines de ses demandes de certificats en cours et la mise en demeure d'acquérir dans le délai d'un mois les certificats d'économies d'énergie manquants pour exécuter la sanction ;

2°) d'enjoindre au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de publier au journal officiel de la République française la décision à intervenir ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :
- le code de l'énergie ;
- l'arrêté du 4 septembre 2014 fixant la liste des éléments d'une demande de certificats d'économies d'énergie et les documents à archiver par le demandeur ;
- l'arrêté du 24 juillet 2020 modifiant l'arrêté du 22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d'économies d'énergie ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Hellio Solutions ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 septembre 2025, présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;



Considérant ce qui suit :

1. Les articles L. 221-1 à L. 222-10 du code de l'énergie instituent un dispositif soumettant les fournisseurs d'énergie dont les ventes excèdent un certain seuil à des obligations d'économies d'énergie, dont ils s'acquittent par la détention, à la fin de chaque période de référence, de certificats d'économies d'énergie. Les fournisseurs d'énergie peuvent réunir les certificats soit en réalisant eux-mêmes des économies d'énergie, soit en obtenant de leurs clients qu'ils en réalisent, soit en les acquérant auprès d'un autre fournisseur d'énergie ou d'une personne morale éligible qui, en application de l'article L. 221-7 de ce code, est susceptible d'obtenir des certificats en contrepartie de mesures d'économies d'énergie réalisées volontairement. Aux termes de l'article R. 221-5 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Une personne soumise à une obligation d'économies d'énergie en application de l'article R. 221-3 peut, pour chaque période définie à l'article R. 221-1 et pour les obligations définies à l'article R. 221-4 ou à l'article R. 221-4-1 : / 1° Déléguer la totalité de son obligation d'économies d'énergie de la période à un tiers ; / 2° Déléguer une partie de son obligation d'économies d'énergie de la période à un ou plusieurs tiers. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 222-1 du code de l'énergie : " Dans les conditions définies aux articles suivants, le ministre chargé de l'énergie peut sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du présent titre ou aux dispositions réglementaires prises pour leur application. " Aux termes de l'article L. 222-2 du même code dans sa rédaction applicable au litige, lorsque des certificats d'économies d'énergie ont été indûment délivrés, " le ministre chargé de l'énergie peut : / 1° Prononcer (...) une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et à la situation de l'intéressé, sans pouvoir excéder le double de la pénalité prévue au premier alinéa de l'article L. 221-4 par kilowattheure d'énergie finale concerné par le manquement et sans pouvoir excéder 4 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos, porté à 6 % en cas de nouveau manquement à la même obligation ; / 2° Le priver de la possibilité d'obtenir des certificats d'économies d'énergie selon les modalités prévues au premier alinéa de l'article L. 221-7 et à l'article L. 221-12 ; / 3° Annuler des certificats d'économies d'énergie de l'intéressé, d'un volume égal à celui concerné par le manquement ; / 4° Suspendre ou rejeter les demandes de certificats d'économies d'énergie faites par l'intéressé / (...) ".

3. Il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un contrôle initié le 10 mai 2022 concernant la situation de la société Hellio Solutions, qui, en qualité de délégataire d'obligations d'économies d'énergie auprès d'acteurs obligés au sens de l'article R. 221-5 du code de l'énergie, réalise et finance des travaux d'économies d'énergie, le Pôle national des certificats d'économies d'énergie a constaté un taux de non-conformité de l'échantillon des opérations vérifiées de 99,06 %. Par décision du 5 juillet 2024, le ministre chargé de l'énergie a, sur le fondement des dispositions de l'article L. 222-2 du même code citées au point 2, prononcé à l'encontre de la société Hellio Solutions une sanction pécuniaire d'un montant de 2 396 844 euros correspondant à la valeur financière des certificats d'économies d'énergie qui lui ont été délivrés au titre des opérations non-conformes pour lesquelles des manquements d'une particulière gravité ont été relevés, annulé un volume de certificats égal à celui délivré au titre des opérations déclarées non-conformes, soit 384 653 500 kWh cumac dits " classiques " et 2 397 900 kWh cumac dits " précarité ", mis en demeure la société d'acquérir, dans le délai d'un mois, le volume de certificats nécessaire à l'exécution de cette sanction d'annulation, et suspendu la délivrance des certificats au titre de certaines demandes en cours. La société Hellio Solutions demande, à titre principal, l'annulation de cette décision de sanction, et à titre subsidiaire, sa réformation, ainsi que la publication de la présente décision au journal officiel.

Sur les manquements relatifs aux opérations réalisées au profit de la société Les Fabriques Bio au titre de la fiche d'opération standardisée " IND-UT-117 " :

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 221-14 du code de l'énergie : " Les actions menées par les personnes mentionnées à l'article L. 221-7 qui peuvent donner lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie sont : / 1° La réalisation d'opérations standardisées définies par arrêté du ministre chargé de l'énergie et assorties d'un volume forfaitaire d'économies d'énergie déterminé par rapport à la situation de référence de performance énergétique mentionnée à l'article R. 221-16. / (...) ". Aux termes de l'article R. 222-6 de ce code : " Est considéré comme un manquement le fait pour un premier détenteur de certificats d'économies d'énergie d'avoir obtenu des certificats sans avoir respecté les dispositions de la section 2 du chapitre Ier, notamment celles relatives aux opérations standardisées mentionnées à l'article R. 221-14 (...) ".

5. Il résulte des termes de la décision attaquée que, pour déclarer les quatre opérations en cause non-conformes et regarder les manquements comme étant d'une particulière gravité, le ministre s'est fondé sur ce que la société Hellio Solutions n'établissait pas que les équipements acquis par la société Les Fabriques Bio et ayant donné lieu à la délivrance, sur la base de la fiche d'opération standardisée " IND-UT-117 ", de certificats d'économies d'énergie correspondant à un volume global de 384 109 600 kWh cumac dits " classiques " avaient effectivement fonctionné et que, par suite, la réalité des économies d'énergie attendues n'était pas établie.

6. Toutefois, il résulte de l'instruction, d'une part, que la fiche " IND-UT-117 ", dans sa rédaction issue de l'arrêté du 24 juillet 2020 modifiant l'arrêté du 22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d'économies d'énergie, concerne la seule " mise en place d'un système de récupération de chaleur sur un groupe de production de froid afin de chauffer ou préchauffer un fluide caloporteur sur site " et d'autre part, que cette fiche se borne à indiquer que " la preuve de la réalisation de l'opération mentionne la mise en place d'un système de récupération de chaleur sur un groupe de production de froid et la puissance du système de récupération de chaleur en kW thermique. À défaut, la preuve de réalisation de l'opération mentionne la mise en place, sur un groupe de production de froid, d'un équipement avec ses marque et référence et elle est complétée par un document issu du fabricant indiquant que l'équipement de marque et référence installé est un système de récupération de chaleur et mentionnant sa puissance en kW thermique. / Le document justificatif spécifique à l'opération est l'étude de dimensionnement préalable à la mise en place du système de récupération de chaleur répondant aux attendus ci-dessus ". Dans ces conditions, la décision attaquée est entachée d'illégalité en ce qu'elle subordonne la délivrance des certificats d'économies d'énergie afférents à l'installation des équipements mentionnés dans la fiche " IND-UT-117 " à la réalisation effective des économies d'énergie attendues.

7. En second lieu, aux termes de l'article 3.3 de l'annexe 5 de l'arrêté du 4 septembre 2014 fixant la liste des éléments d'une demande de certificats d'économies d'énergie et les documents à archiver par le demandeur : " Un contrat établi entre le demandeur et le bénéficiaire (...) par lequel le demandeur s'engage à accompagner le bénéficiaire dans la réalisation d'opérations d'économies d'énergie en lui apportant une contribution (...) comporte a minima : / (...) / - l'engagement du demandeur à apporter sa contribution dont il précise la nature (prime, bon d'achat, prêt bonifié, audit ou conseil personnalisé, produit ou service offert) et sa valeur financière (...) / - la description des opérations d'économies d'énergie qui entrent dans le champ du contrat / (...) ".

8. Il ressort des termes de la décision attaquée que les quatre opérations mentionnées au point 5 étaient également regardées comme non conformes au motif que le contrat d'incitation financière signé le 29 avril 2020 par la société Lefebvre, devenue Hellio Solutions, avec la société Les Fabriques Bio ne mentionnait pas le montant de la prime versée par la première à la seconde au titre, respectivement, de chacune de ces opérations mais seulement un montant global de prime pour l'ensemble des opérations, dont les quatre en cause, réalisées au profit de cette société, en méconnaissance des dispositions de l'article 3.3 de l'annexe 5 de l'arrêté du 4 septembre 2014 citées au point 7.

9. Toutefois, il ne résulte pas de ces dispositions qu'elles exigeraient que la valeur financière de la contribution apportée par le demandeur au profit du bénéficiaire des opérations d'économies d'énergie réalisées soit détaillée, opération par opération, dans le contrat. Par suite, en fondant la non-conformité des opérations en cause sur le caractère incomplet du contrat signé le 29 avril 2020 avec la société Les Fabriques Bio, le ministre a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation erronée.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 9 que les deux manquements retenus par la décision attaquée en ce qui concerne les quatre opérations réalisées au profit de la société Les Fabriques Bio au titre de la fiche d'opération standardisée " IND-UT-117 " et qui ont donné lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie correspondant à un volume de 384 109 600 kWh cumac dits " classiques " ne sont pas constitués.

Sur la conformité de l'échantillon :

11. Aux termes de l'article R. 222-7 du code de l'énergie, dans sa rédaction applicable au litige : " Le ministre chargé de l'énergie notifie au premier détenteur de certificats d'économies d'énergie la liste des opérations visées par le contrôle ou le périmètre du contrôle, qui peut être défini par l'intitulé et la référence d'une opération standardisée (...). / Cette notification vaut mise en demeure d'adresser au ministre chargé de l'énergie, dans un délai d'un mois, pour chaque opération de l'échantillon contrôlé, les documents justificatifs définis par l'arrêté mentionné à l'article R. 222-4 ". Aux termes de l'article R. 222-8 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour chaque opération d'économies d'énergie de l'échantillon mentionné à l'article R. 222-7, le ministre chargé de l'énergie établit le volume de certificats d'économies d'énergie correspondant. Si le ministre ne constate aucun manquement dans les éléments nécessaires à l'établissement de ce volume et si le volume de certificats d'économies d'énergie qu'il établit n'est pas inférieur à celui qui a été attribué, le volume de certificats d'économies d'énergie délivrés pour l'opération est confirmé. Dans tous les autres cas, il est ramené à zéro. / (...) / (...) L'échantillon est réputé conforme si le rapport entre la somme des volumes de certificats d'économies d'énergie établis pour les opérations de l'échantillon et la somme des volumes de certificats d'économies d'énergie délivrés pour les mêmes opérations est supérieur à 95 % ". Aux termes de l'article R. 222-10 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Si la conformité de l'échantillon n'est pas établie dans les conditions prévues à l'article R. 222-8, le ministre chargé de l'énergie peut, après la notification des griefs prévue à l'article L. 222-3, prononcer les sanctions prévues à l'article L. 222-2. (...) ".

12. Il résulte de l'instruction que le volume de certificats d'économies d'énergie délivrés au titre des quatre opérations réalisées au profit de la société Les Fabriques Bio au titre de la fiche d'opération standardisée " IND-UT-117 " représente plus de 95 % du volume des certificats délivrés au titre de la totalité de l'échantillon contrôlé. Les manquements retenus concernant ces opérations n'étant pas constitués, ainsi qu'il a été dit au point 10, il résulte des dispositions combinées des articles R. 222-8 et R. 222-10 du code de l'énergie cités au point précédent que l'échantillon contrôlé est réputé, dans son ensemble, conforme, et ne peut donner lieu à sanction.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, la société Hellio Solutions est fondée à demander l'annulation de la décision du 5 juillet 2024 qu'elle attaque.

Sur les conclusions aux fins de publication de la présente décision :

14. La publication de la décision du 4 juillet 2024 au Journal officiel implique que la présente décision, qui en prononce l'annulation, fasse l'objet de la même publication.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Hellio Solutions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 5 juillet 2024 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à la société Hellio Solutions la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Il est enjoint à l'Etat de publier la présente décision au Journal officiel.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Hellio Solutions et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.

Rendu le 8 octobre 2025.


Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


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