Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 496667, lecture du 17 octobre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:496667.20251017

Décision n° 496667
17 octobre 2025
Conseil d'État

N° 496667
ECLI:FR:CECHR:2025:496667.20251017
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François-Xavier Bréchot, rapporteur
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats


Lecture du vendredi 17 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise (Soléam) a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société Fradin Weck Architecture, devenue la société Panorama Architecture, la société Espagno-Milani, la société WSP France, la société Ingéco, la société Viriot-Haubout, la société Bureau Veritas Construction, la société Travaux du Midi, la société Europ'Elec Engineering International et la société Europ'Elec à lui verser la somme de 2 000 000 euros, à parfaire en fonction du rapport d'expertise, au titre des désordres affectant la bibliothèque interuniversitaire et le regroupement des laboratoires en économie publique et de la santé de la commune de Marseille. Par un jugement n° 1800804 du 20 décembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a notamment condamné la société Travaux du Midi à verser à la société Soléam la somme de 432 600 euros et a mis à la charge de cette société 70 % des frais d'expertise, liquidés et taxés aux sommes de 71 262 euros et 18 461,52 euros.

Par un arrêt n° 23MA00410 du 3 juin 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Travaux du Midi, annulé ce jugement en tant que, par son article 1er, il la condamne à verser à la société Soléam la somme de 432 600 euros, et en tant que, par son article 5, il met à sa charge 70 % des frais d'expertise, puis a condamné cette société à verser la somme de 432 600 euros à la société Soléam et à supporter la charge des dépens à hauteur de 70 % des frais d'expertise liquidés et taxés aux sommes de 71 262 euros et 18 461,52 euros.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 août et 5 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Travaux du Midi demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Soléam la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-Xavier Bréchot, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;


La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Jérôme Ortscheidt, avocat de la société Travaux du Midi, à la SAS Hannotin avocats, avocat de la société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise (soléam), à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Panorama Architecture, de la société Espagno-Milani et de la société Bureau Veritas Construction et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la société Assurances Pilliot et de la société MS Amlin Insurance, venant aux droits de la société Amlin Europe NV;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Marseille a confié à la société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise (Soléam), agissant en qualité de maître d'ouvrage délégué, la réalisation de l'opération de construction d'une bibliothèque interuniversitaire et d'un regroupement des laboratoires en économie publique et de la santé. Le lot n° 1 " gros oeuvre " de ce marché public a été confié à la société Travaux du Midi, sous maîtrise d'oeuvre d'un groupement conjoint d'entreprises constitué de la société Fradin Weck Architecture, mandataire solidaire, devenue Panorama Architecture, de la société Espagno-Milani, de la société WSP France et de la société Ingeco. Après la réception des travaux prononcée le 28 février 2017, la société Soléam a constaté des températures anormalement élevées en façade. Après avoir sollicité, le 30 janvier 2018, du tribunal administratif de Marseille la désignation d'un expert et l'avoir obtenu, la société Soleam a saisi, le 31 janvier 2018, le même tribunal d'une demande tendant à la condamnation des sociétés Panorama Architecture, Espagno-Milani, WSP France, Ingeco, Viriot-Hautbout, Bureau Veritas Construction, Travaux du Midi, Europ'Elec Engineering International et Europ'Elec à lui verser la somme de 2 000 000 euros à parfaire en réparation des désordres affectant les ouvrages en cause. Par un jugement du 20 décembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a condamné les sociétés Travaux du Midi, Panorama Architecture, Espagno-Milani et WSP France à verser à la société Soléam respectivement les sommes de 432 600 euros, 114 240 euros, 9 270 euros et 64 890 euros. Par un arrêt du 3 juin 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Travaux du Midi, annulé les articles 1er et 5 du jugement attaqué en tant qu'ils faisaient grief à la société Travaux du Midi, condamné cette société à verser à la société Soléam la somme de 432 600 euros, mis à sa charge une part des frais d'expertise et rejeté le surplus des conclusions des parties, dont les appels incidents des sociétés membres du groupement de maîtrise d'oeuvre. Par les moyens qu'elle invoque, la société Travaux du Midi doit être regardée comme demandant l'annulation des articles 5, 6 et 7 de l'arrêt attaqué.

2. L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. Toutes les conséquences financières de l'exécution du marché sont retracées dans ce décompte, même lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales.

3. Lorsque des réserves ont été émises lors de la réception et n'ont pas été levées, il appartient au maître d'ouvrage soit de surseoir à l'établissement du décompte, soit d'assortir celui-ci de réserves. Il lui appartient de faire de même lorsqu'il a connaissance, avant la notification du décompte général, de désordres apparus postérieurement à la réception qui sont susceptibles d'engager la responsabilité contractuelle du titulaire du marché, au titre de la garantie de parfait achèvement ou de toute autre stipulation contractuelle prolongeant la responsabilité contractuelle du titulaire postérieurement à la réception. A défaut, dans l'un comme dans l'autre cas, le caractère définitif du décompte a pour effet de lui interdire toute réclamation au titre de la responsabilité contractuelle des sommes correspondant à ces réserves et désordres. Le caractère définitif du décompte ne saurait en revanche faire obstacle ni à ce qu'il recherche, au titre de la garantie de parfait achèvement ou de toute autre stipulation contractuelle prolongeant la responsabilité contractuelle du titulaire postérieurement à la réception, la responsabilité contractuelle du titulaire pour les désordres apparus postérieurement à la réception dont il n'avait pas connaissance au moment de la notification du décompte général, ni à ce qu'il recherche, si les conditions en sont réunies, la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie décennale.

4. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le caractère intangible et définitif du décompte général ne faisait pas obstacle à ce que la société Soléam, maître d'ouvrage délégué, demande l'engagement de la garantie de parfait achèvement de la société Travaux du Midi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que la société Soléam avait eu connaissance des désordres en litige antérieurement à l'établissement de ce décompte et qu'elle était ainsi en mesure d'en faire état dans celui-ci, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.

5. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Travaux du Midi est fondée à demander l'annulation des articles 5, 6 et 7 de l'arrêt qu'elle attaque.

6. La présente décision, qui annule cet arrêt en tant seulement qu'il est défavorable à la société Travaux du Midi, n'aggrave pas la situation des sociétés Panorama Architecture et Espagno-Milani. Dès lors, leurs conclusions, présentées après l'expiration du délai de recours contentieux et tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il leur est défavorable, ne sont pas recevables.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Soléam la somme de 3 000 euros à verser à la société Travaux du Midi au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions présentées par les sociétés Bureau Veritas Construction, Espagno-Milani et Panorama Architecture sur le fondement des mêmes dispositions. Enfin, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Travaux du Midi qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 5, 6 et 7 de l'arrêt du 3 juin 2024 de la cour administrative d'appel de Marseille sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La société Soléam versera à la société Travaux du Midi la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Travaux du Midi, à la société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise et aux sociétés Panorama Architecture, Espagno-Milani, WSP France, Ingéco, Bureau Veritas Construction, MS Amlin Insurance et Assurances Pilliot.


Voir aussi