Conseil d'État
N° 498049
ECLI:FR:CECHS:2025:498049.20251023
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Liza Bellulo, rapporteure
SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du jeudi 23 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 septembre et 20 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 13 juin 2024 rapportant le décret du 26 mai 2021 lui accordant la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Liza Bellulo, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes des dispositions de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., ressortissant marocain, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture des Hauts-de-Seine le 16 décembre 2019, par laquelle il a indiqué être célibataire. Il a été naturalisé par décret le 26 mai 2021, publié au Journal officiel de la République française du 28 mai 2021. Par un bordereau reçu le 28 juin 2022, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre de l'intérieur, chargé des naturalisations, de ce que M. C... avait épousé à Casablanca (Maroc), le 3 octobre 2020, antérieurement à sa naturalisation, Mme B... D..., ressortissante marocaine, résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 13 juin 2024, publié au Journal officiel de la République française du 15 juin 2024, le Premier ministre a rapporté le décret du 26 mai 2021 de naturalisation de M. C... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, un décret rapportant un décret de naturalisation doit respecter la procédure énoncée aux articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. Il ressort des pièces du dossier que la lettre par laquelle le ministre de l'intérieur a informé M. C... de son intention de retirer le décret lui accordant la nationalité française lui a été adressée par pli recommandé avec demande d'avis de réception à l'adresse indiquée par lui aux services instructeurs de sa demande. Ce pli a été présenté à cette adresse le 12 février 2024, n'a pas été réclamé pendant le délai imparti puis est retourné à l'administration avec la mention " pli avisé et non réclamé ". M. C..., qui ne fait état d'aucun élément susceptible de mettre en cause l'acheminement de ce pli par les services postaux, n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations dans les conditions prévues par les dispositions des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait, de ce fait, été pris au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.
4. En deuxième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressée a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs au mariage de l'intéressé, transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères du 28 juin 2022, reçu par le service instructeur des demandes de naturalisation du ministre de l'intérieur du 5 juillet 2022, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur ce bordereau. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 13 juin 2024, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
5. En troisième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a contracté un mariage avec Mme B... D..., ressortissante marocaine résidant habituellement dans son pays d'origine, le 3 octobre 2020 à Casablanca (Maroc). Ce mariage, intervenu au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation aurait dû être porté à la connaissance des services instructeurs comme M. C... s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. L'intéressé, dont la maîtrise de la langue française est constante, ne pouvait se méprendre sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande. Il ne fait par ailleurs état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de la réalité de sa situation familiale au service compétent avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. Dans ces conditions, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 code civil en retenant la dissimulation volontaire de son mariage par l'intéressé pour rapporter sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude.
7. En cinquième lieu, le décret attaqué se fonde sur le fait que la réalité de la situation familiale de M. C..., si elle avait été portée à la connaissance des services instructeurs, était de nature à modifier l'appréciation de la condition de résidence prévue à l'article 21-16 du code civil. Par suite, le moyen tiré de la violation combinée des articles 27-2 et 21-16 du code civil ne peut qu'être écarté.
8. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. C... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 13 juin 2024 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 26 mai 2021. Ses conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
N° 498049
ECLI:FR:CECHS:2025:498049.20251023
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Liza Bellulo, rapporteure
SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du jeudi 23 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 septembre et 20 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 13 juin 2024 rapportant le décret du 26 mai 2021 lui accordant la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Liza Bellulo, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes des dispositions de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., ressortissant marocain, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture des Hauts-de-Seine le 16 décembre 2019, par laquelle il a indiqué être célibataire. Il a été naturalisé par décret le 26 mai 2021, publié au Journal officiel de la République française du 28 mai 2021. Par un bordereau reçu le 28 juin 2022, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre de l'intérieur, chargé des naturalisations, de ce que M. C... avait épousé à Casablanca (Maroc), le 3 octobre 2020, antérieurement à sa naturalisation, Mme B... D..., ressortissante marocaine, résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 13 juin 2024, publié au Journal officiel de la République française du 15 juin 2024, le Premier ministre a rapporté le décret du 26 mai 2021 de naturalisation de M. C... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, un décret rapportant un décret de naturalisation doit respecter la procédure énoncée aux articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. Il ressort des pièces du dossier que la lettre par laquelle le ministre de l'intérieur a informé M. C... de son intention de retirer le décret lui accordant la nationalité française lui a été adressée par pli recommandé avec demande d'avis de réception à l'adresse indiquée par lui aux services instructeurs de sa demande. Ce pli a été présenté à cette adresse le 12 février 2024, n'a pas été réclamé pendant le délai imparti puis est retourné à l'administration avec la mention " pli avisé et non réclamé ". M. C..., qui ne fait état d'aucun élément susceptible de mettre en cause l'acheminement de ce pli par les services postaux, n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations dans les conditions prévues par les dispositions des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait, de ce fait, été pris au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.
4. En deuxième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressée a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs au mariage de l'intéressé, transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères du 28 juin 2022, reçu par le service instructeur des demandes de naturalisation du ministre de l'intérieur du 5 juillet 2022, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur ce bordereau. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 13 juin 2024, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
5. En troisième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a contracté un mariage avec Mme B... D..., ressortissante marocaine résidant habituellement dans son pays d'origine, le 3 octobre 2020 à Casablanca (Maroc). Ce mariage, intervenu au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation aurait dû être porté à la connaissance des services instructeurs comme M. C... s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. L'intéressé, dont la maîtrise de la langue française est constante, ne pouvait se méprendre sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande. Il ne fait par ailleurs état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de la réalité de sa situation familiale au service compétent avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. Dans ces conditions, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 code civil en retenant la dissimulation volontaire de son mariage par l'intéressé pour rapporter sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude.
7. En cinquième lieu, le décret attaqué se fonde sur le fait que la réalité de la situation familiale de M. C..., si elle avait été portée à la connaissance des services instructeurs, était de nature à modifier l'appréciation de la condition de résidence prévue à l'article 21-16 du code civil. Par suite, le moyen tiré de la violation combinée des articles 27-2 et 21-16 du code civil ne peut qu'être écarté.
8. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. C... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 13 juin 2024 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 26 mai 2021. Ses conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.