Conseil d'État
N° 499006
ECLI:FR:CECHS:2025:499006.20251023
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Charline Nicolas, rapporteure
VIEILLEMARINGE, avocats
Lecture du jeudi 23 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 19 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 20 septembre 2024 rapportant le décret du 26 juillet 2018 lui accordant la nationalité française ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer son dossier dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant guinéen, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture d'Indre et Loire le 23 février 2017, par laquelle il a indiqué être célibataire et sans enfant. Il a été naturalisé par décret le 26 juillet 2018. Par un bordereau du 16 septembre 2022, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations que M. A... était père d'un enfant né avant sa naturalisation, M. C... A..., né le 15 juin 2017 à Matam centre, commune de Matam-Conakry (Guinée). Par décret du 20 septembre 2024, le Premier ministre a rapporté le décret du 26 juillet 2018 prononçant la naturalisation de M. A... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, un décret rapportant un décret de naturalisation doit respecter la procédure énoncée aux articles 59 et 62 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. Le décret du 20 septembre 2024 mentionne les considérations de fait et de droit sur lesquelles il se fonde, il est donc suffisamment motivé.
4. En deuxième lieu, il ressort du visa du décret attaqué que celui-ci a bien été pris après avis conforme du Conseil d'Etat. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la communication à l'intéressé de l'avis émis par le Conseil d'Etat sur le projet de décret portant refus d'acquisition de la nationalité française.
5. En troisième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation de M. A... a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs à son enfant, transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que le 21 septembre 2022. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 20 septembre 2024, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.
6. En quatrième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressée à la date du décret lui accordant la nationalité française.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'a, à aucun moment, mentionné l'existence de son fils. S'il soutient avoir douté de sa paternité, il reconnaît cependant avoir eu connaissance de la naissance de son fils dès le mois de décembre 2017, et avoir par la suite entretenu une relation durable avec Mme A..., mère de deux autres de ses enfants, nés après le décret de naturalisation. La naissance de son premier fils aurait dû être portée à la connaissance des services instruisant sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. L'intéressé, dont la maîtrise la langue française est attestée par le compte-rendu de son entretien d'assimilation ainsi que par le fait qu'il réside en France depuis 2013 et qu'il y travaille, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27- 2 du code civil.
8. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. A... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 septembre 2024 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 26 juillet 2018. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 23 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
La rapporteure :
Signé : Mme Charline Nicolas
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge
N° 499006
ECLI:FR:CECHS:2025:499006.20251023
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Charline Nicolas, rapporteure
VIEILLEMARINGE, avocats
Lecture du jeudi 23 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 19 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 20 septembre 2024 rapportant le décret du 26 juillet 2018 lui accordant la nationalité française ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer son dossier dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant guinéen, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture d'Indre et Loire le 23 février 2017, par laquelle il a indiqué être célibataire et sans enfant. Il a été naturalisé par décret le 26 juillet 2018. Par un bordereau du 16 septembre 2022, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations que M. A... était père d'un enfant né avant sa naturalisation, M. C... A..., né le 15 juin 2017 à Matam centre, commune de Matam-Conakry (Guinée). Par décret du 20 septembre 2024, le Premier ministre a rapporté le décret du 26 juillet 2018 prononçant la naturalisation de M. A... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, un décret rapportant un décret de naturalisation doit respecter la procédure énoncée aux articles 59 et 62 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. Le décret du 20 septembre 2024 mentionne les considérations de fait et de droit sur lesquelles il se fonde, il est donc suffisamment motivé.
4. En deuxième lieu, il ressort du visa du décret attaqué que celui-ci a bien été pris après avis conforme du Conseil d'Etat. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la communication à l'intéressé de l'avis émis par le Conseil d'Etat sur le projet de décret portant refus d'acquisition de la nationalité française.
5. En troisième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation de M. A... a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs à son enfant, transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que le 21 septembre 2022. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 20 septembre 2024, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.
6. En quatrième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressée à la date du décret lui accordant la nationalité française.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'a, à aucun moment, mentionné l'existence de son fils. S'il soutient avoir douté de sa paternité, il reconnaît cependant avoir eu connaissance de la naissance de son fils dès le mois de décembre 2017, et avoir par la suite entretenu une relation durable avec Mme A..., mère de deux autres de ses enfants, nés après le décret de naturalisation. La naissance de son premier fils aurait dû être portée à la connaissance des services instruisant sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. L'intéressé, dont la maîtrise la langue française est attestée par le compte-rendu de son entretien d'assimilation ainsi que par le fait qu'il réside en France depuis 2013 et qu'il y travaille, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27- 2 du code civil.
8. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. A... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 septembre 2024 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 26 juillet 2018. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 23 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
La rapporteure :
Signé : Mme Charline Nicolas
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge